Dans un entretien donné au Nouvel Obs, le linguiste Alain Bentolila est venu défendre bec et ongles Macron. Emmanuel Macron ? Le ministre de la Polémique – une activité macro-momentanée visant à éviter de parler du fond grâce à de frétillants conseillers en communication. Aujourd’hui, les « pauvres voyageront plus facilement » (en train, en car, en auto ou à pied).

 

Je félicite Emmanuel Macron de tenir ces propos, d’utiliser correctement la langue française et ses mots. Le ministre de l’Economie passe aujourd’hui, à tort, pour un affreux cynique réactionnaire. Déplorer la démesure des millions de pauvres en France, qui sont un scandale pour la République, est plutôt positif. Il ne s’est pas réjoui de cette situation, il la dénonce au contraire.

Bravo Alain Bentolila ! « Nous vivons dans un monde où l’usage des mots n’est plus orienté vers la volonté de donner un sens juste et précis à une situation, mais où ils sont instrumentalisés par une foule de bien-pensants, de droite comme de gauche, pour gagner du temps et se positionner politiquement. »  Certes. Toutefois, faire la leçon de morale à l’envers – soit jeter une moraline consanguine à la face de ceux que l’on décrète ex abrupto être des donneurs de leçons – constitue un exemple de déminage du langage médiatique consensuel et affadi d’un courage peu exemplaire.

Oui, Alain Bentolila, le monde politique est plus cruel que celui de la linguistique… Reste, un point qui nous chiffonne. Il est curieux que cet éminent savant ne s’offusque pas du destin réservé aux pauvres en matière de transports : affronter des durées de trajet longues avec des autocars polluants. Heu, où est passée la délicate sensibilité environnementale censée être de mise ? Qui plus est, où est passé le réseau ferroviaire français – un réseau unique au monde par sa densité et par sa rapidité ? Ah, les fameux manques de moyens ! Oui, mais voilà : les grands établissements publics RFF et SNCF – dirigés par des dirigeants pantouflants et servis par des employés longtemps gavés de privilèges  – auront tellement brûlé l’argent public qu’ils laissent une situation inextricable aujourd’hui. Résultat : il n’y a plus de moyens parce qu’il n’y a plus depuis longtemps de gestion bonne, juste et équitable. Résultat : le tarif global du train a augmenté de manière exponentielle depuis une vingtaine d’années, bien au-delà de l’inflation.

Voilà une bonne raison de s’offusquer : la fabrication d’un marché du transport voyageur, fruit de l’incompétence et la couardise de l’administration française et visant une iniquité conforme au Yield Management. Bonjour les billets qui ne se remboursent plus, même préalablement payés au prix fort, adieu les réductions pour les jeunes et les vieux, les tarifs subventionnés qui se muent en tarifs conventionnés avec à la clef la fin programmée des cartes familles nombreuses, etc.

Heu, vous êtes vraiment sûrs que les pauvres vont voyager plus facilement ? Heu, cela ne serait pas plutôt le contraire : les pauvres, cela fait longtemps que les régimes dits de droite ou de gauche s’emploient à les écarter des lignes ferroviaires. Bonjour les vielles autos de pauvres bien polluantes rentabilisés au maximum, bonjour les véhicules des transporteurs routiers bien polluants rentabilisés au maximum, adieu les petites lignes propres qui innervent et vivifient les zones périurbaines et rurales en transportant les hommes, les biens, le courrier…

Alors, la turlutaine sur le-sens-des-mots-pas-beaux, oui. Mais bon. Elle ne devrait pas cacher que derrière les pauvres qui s’appauvrissent il y a un système de transport public (mutualisant les coûts de fonctionnement et l’organisant au profit de tous) qui se délite à cause du manque de vision et d’intérêt des élus et des hauts fonctionnaires français. Résultat : les Français continueront à payer longtemps la dette d’infrastructure de RFF et SNCF tandis que les gains issus des lignes lucratives (qu’aucune entreprise privée n’aurait jamais pris le risque de construire) iront dans l’escarcelle d’heureux gros actionnaires. C’est malheureux tout de même, car (osons la mal-pensance) une infrastructure d’intérêt public gérée par une convention juridique et salariale qui empêcherait le pantouflage, le gavage, l’inefficacité et la gabegie profiterait même aux plus riches.

C’est vraiment étonnant qu’Alain Bentolila n’ait pas abordé cet aspect de la question. Ben oui, il est tout de même administrateur de la fondation de la SNCF…  « Il n’y a rien de stigmatisant à dire de quelqu’un qu’il est pauvre », affirme-t-il avec raison. Certes, mais n’y a-t-il rien de stigmatisant à le prendre pour un con ?

Interview Nouvel Observateur

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