Si Emir Kusturica est surtout connu pour son travail de cinéaste, il s’illustre également dans une carrière réussie comme musicien et chanteur avec le No Smoking Orchestra. Depuis les années 90, il œuvre au sein du groupe avec lequel il porte un style unique en son genre, alliant les musiques balkaniques à d’autres répertoires populaires internationaux. Leur dernier album, « Corps diplomatique », est sorti le 30 mars 2018 sur le label H.Y.P. Les musiciens continuent également d’enchaîner les concerts et le 24 août dernier, ils firent un passage décoiffant au Festival du Roi Arthur.

Le samedi 24 août dernier à 19h45 au Festival du Roi Arthur, la scène Excalibur a résonné au son du No Smoking Orchestra, mené par le célèbre musicien, chanteur et réalisateur Emir Kusturica. Cette formation serbe vit le jour à Belgrade en 1994 sur les fondations du groupe Zabranjeno pušenje (en serbe « interdit de fumer »). Ce dernier avait été créée en 1980 à Sarajevo, puis connut une scission au début des années 90 après l’éclatement de la guerre de Croatie. Tandis qu’une partie des musiciens restèrent dans leur formation initiale, d’autres comme le violoniste Dejan Sparavalo rejoignirent Emir Kusturica, ancien bassiste du groupe. Ce dernier poursuivait alors une carrière parallèle de cinéaste très prometteuse et qui connut plus tard le succès que l’on sait. Après avoir participé à la bande originale de son film « Chat noir, chat blanc », le groupe sortit en 2000 son premier album « Unza Unza Time », dans lequel il posa les bases de son esthétique musicale. Depuis, les Serbes ont sorti deux autres albums dont le dernier « Corps diplomatique », sorti en mars 2018. Et poursuivent leurs concerts, avec leur univers détonant qui séduit toujours à chacun de ses passages sur scène.

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Emir Kusturica et Ivan Maksimovic du No Smoking Orchestra au Festival du Roi Arthur.
Photo: Nico M

Ce samedi là sur le Mafeu, c’est ceinturés de cartouchières et sombreros vissés sur la tête qu’ils font leur entrée sur la scène Excalibur. Endossant leurs costumes de guerilleros mexicains, ils sont déterminés à mener la révolution sur le plan musical et attaquent leur prestation par une introduction instrumentale survoltée qui donne le ton énergique pour tout le concert. Leur prestation fut ainsi articulée, pour l’essentiel, sur les chansons issues de leur tout dernier album « Corps diplomatique ». Cependant, elle mit aussi à l’honneur d’autres morceaux que le No Smoking Orchestra avait interprété pour les bandes originales des films d’Emir Kusturica. La première d’entre elle fut « Life is A Miracle », extraite du film du même nom sorti en 2004 et qu’ils ont également repris sur leur récent album. Dans cette version orchestrale, le violon mélancolique et presque élégiaque de Dejan Sparavalo semblait inspiré du jeu tzigane, répertoire que le No Smoking Orchestra a intégré dès ses débuts à son identité musicale. Il y côtoyait également les rythmiques du batteur Zoran Marjanović  qui s’apparentaient à celles des darboukas présentes dans les répertoires musicaux orientaux.

À la première écoute, leur discours musical pourrait sembler partir dans tous les sens et sensiblement déconstruit, mais il n’en est rien. Il allie plutôt de façon inventive et avec un dynamisme indéniable des éléments musicaux divers, issus de différents folklores et styles musicaux internationaux. Une véritable synthèse musicale qu’Emir Kusturica résume lui-même depuis une vingtaine d’années sous un terme bien particulier et de sa propre invention, le « unza unza » (expression présente d’ailleurs sur le titre du premier album du groupe). Les contours de ce style ont ainsi été immédiatement dévoilés par les musiciens serbes pendant toute la durée de leur concert. Ainsi dans « Ja Volim Te Jos (Meine Stadt) » extraite du film « Chat noir, chat blanc », on peut retrouver les rythmiques en contretemps présentes dans le kolo (danse traditionnelle serbe) et qui, associées au tempo effréné du morceau, se rapprochent des skanks du ska jamaïcain. Mais d’autres chansons puisent également certains de leurs éléments dans des répertoires extérieurs à l’Europe et l’Occident. C’est ce qu’on remarque par exemple pendant « Tito Puente (Maria Cervantes) », construit sur une rythmique de style mambo, assurée par Zoran Marjanović, aux mélodies jouées à l’orgue par Nikola Kitanović. Ces dernières, d’ailleurs, comportent des ornementations véritablement étourdissantes qui rappellent les esthétiques musicales du monde arabe.

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Dejan Sparavalo du No Smoking Orchestra et Emir Kusturica au Festival du Roi Arthur 2019.
Photo: Nico M

Si l’ambiance se prêtait plutôt à la fête et à la danse, Emir Kusturica tient également à se faire le reflet, de façon plus ou moins affirmée, d’une certaine contestation et de résistance face au courant dominant et à la société de consommation. Cet aspect ressort de façon néanmoins directe lorsqu’il interpréta avec son groupe la chanson « Fuck you MTV », rythmé par un jeu de batterie presque disco ainsi que des sonorités de synthétiseurs proche de la techno et de la house. Ce morceau ouvertement anti-conformiste permit ainsi à l’artiste serbe d’exprimer son opposition envers le modèle artistique et de divertissement initié dès les années 80 par la fameuse chaîne américaine de télévision musicale. Dans cette chanson, la voix grave d’Emir Kusturica a pris des accents provocateurs qui porte cette révolte, ceci dans un esprit proche de l’expression punk rock des années 70. Cela n’a rien d’étonnant, quand on sait que l’artiste voue depuis longtemps une admiration sans bornes pour Joe Strummer, le regretté leader des Clash qui partageait avec lui cette vision du monde et avec lequel il donna un concert à Venise pendant les années 90 .

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, les musiciens serbes choisirent comme point final « Commandante », chanson pendant laquelle leur énergie débordante n’est pas retombée. Elle fut ponctuée par les applaudissements chaleureux des spectateurs.

Notre prochain et dernier article sur le Festival du Roi Arthur portera sur le concert de Voyou, le dimanche 25 août 2019…

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Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

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