Jean-Michel Delacomptée est un universitaire dix-septiémiste qui nous a offert de brillants essais sur Saint-Simon, Bossuet, ou Madame de Lafayette. Après avoir écrit sur ces grandes figures de notre histoire littéraire, il a fini par écrire aussi sur lui-même. D’une simple et ancienne photographie familiale, retrouvée par hasard, il a écrit un récit magnifique d’émotion sur sa jeunesse et la figure de ses parents, de son père en particulier. Un très beau récit de la mémoire et de la transmission.

La première page du livre s’ouvre sur une photo. Nous sommes dans les années 50. Un père et son fils marchent sur un trottoir de la capitale. L’homme, tête légèrement inclinée, semble écouter avec attention son fils qu’il tient par la main, un garçon souriant, à la mise et coiffure impeccables de l’écolier modèle, qui tourne le regard vers son père. L’enfant sur cette photo, retrouvée par hasard, c’est Jean-Michel Delacomptée quand il avait six ans.

Une photo oubliée, comme toutes celles que ce fils, sa vie durant, a négligé de conserver, préférant à la précision des clichés la mémoire, ténue et fragile, des lieux, des scènes et des visages. « Pour se perpétuer en leur grâce, les souvenirs doivent rester tremblants […], en filigrane de la vie ».

Cette photo, c’est la petite madeleine de Jean-Michel. Elle va faire resurgir « l’inexprimable bonheur de l’enfance », les tendres figures de son père et de sa mère. Et les images de sa prime jeunesse et de la maison familiale dans une ville de la banlieue parisienne désignée dans ce livre sous la seule initiale de « S. ». Sarcelles, peut-être, mais peu importe. Une ville qui, il y a quelques décennies encore, « rassemblaient quelques quartiers environnés de fermes ».

Ce père fut bienveillant, se souvient Jean-Michel Delacomptée, mais strict sur la discipline, redoutant que la paresse et le relâchement, qu’il abhorrait par-dessus tout, ne gagnent irrémédiablement l’esprit de son jeune fils. La maman, plus indulgente, cédait aisément au pardon des fautes de l’enfant.

Des parents que rien ne semblait devoir rapprocher, sauf une bonté et une mansuétude communes à tous deux : un père maladif et solitaire quand il était tout jeune, reclus très longtemps dans l’humble maison parentale d’un bourg à l’écart, en Picardie, et une mère née d’une famille aisée, marquée par l’antisémitisme nazi, grandie au cœur de Paris, loin de la modeste banlieue où elle a fini par rejoindre celui qui est devenu son mari. Et qui a passé là « quarante ans de déplaisir de ne pas vivre ailleurs ».

Cet homme que Jean-Michel n’a guère écouté ou entendu quand il était sous son aile, ce n’est que longtemps après sa disparition, dans ce retour vers l’enfance, et cette forme d’examen de conscience, qu’il prit la juste mesure de ce que fut pour lui la fermeté autant que la bonté de ce père plein d’attentions : « C’est aujourd’hui seulement que je perçois la tendresse qui soutenait l’éducation affable et rigoureuse dont il vantait les bienfaits, désireux de me consolider face aux aléas de l’existence en trempant mon caractère, tout en essayant de faire de moi un honnête homme ».

jean-michel delacomptée
Jean-Michel Delacomptée

Le fils a passé ses années de jeunesse à l’ombre d’un père qui démarchait les libraires –c’était sa profession-, et contribuait ainsi à lui transmettre le goût des mots et des livres. Ses toutes premières lectures furent banalement celles des enfants de son âge, illustrées d’images de « Tintin » ou des « Pieds nickelés ». Plus tard, le roman et la poésie prirent toute leur place dans sa vie. Ne serait-ce que pour séduire les jeunes filles ! Et l’une d’entre elles en particulier, sensible elle aussi à la musique des vers et du verbe que les deux enfants, camarades de classe, adoraient se réciter mutuellement. Nerval l’aura marqué : « J’ai rêvé de l’amour dans « Sylvie ». Nous héritons des livres dont la lecture en notre jeunesse a exercé sur nous son empire. On devient pour une part ce qu’ils ont imprimé en nous. Ils nourrissent les attentes, les émois qui naissent d’une rencontre. Que la littérature vienne à disparaître, nos songes crieront famine. Et l’on apprend à aimer comme on apprend à lire : dans les livres, tôt, parmi d’autres enfants. ».

« Ecrire pour quelqu’un » est l’histoire d’un homme de plume qui a grandi au milieu des ouvrages de la bibliothèque familiale. Et ce livre, célébration d’une enfance, est aussi célébration de la littérature. La chaleur et l’intelligence des parents ont bien aidé le jeune Jean-Michel à se nourrir des lectures que sa mère lui conseillait « comme autant de caresses qu’elle nous auraient données », ou qu’il trouvait dans les volumes qu’il dérobait à la vigilance de son père chargé de les présenter aux libraires ! « J’ai l’impression d’avoir, dans mon enfance, tapissé de livres mon esprit. Et le sentiment, depuis, d’écrire aussi pour eux ».

Jean-Michel Delacomptée, devenu essayiste et romancier, a trouvé la matière de ses ouvrages chez les grands auteurs de notre littérature. Modestement, il n’avait encore rien écrit sur lui-même. Aujourd’hui, le souvenir de son père est venu le visiter, pourrait-on dire à la manière de Modiano (qui parlait ainsi de la figure de Friedo Lampe dans « Dora Bruder »), et une photo exhumée lui aura suffi pour refaire le parcours de sa vie. « Si je n’avais pas retrouvé la photo où je marche auprès de mon père, peut-être ne serais-je pas revenu vers lui, ni vers ma mère, ni vers personne ».

« On n’écrit pas pour soi, mais pour les autres, écrit Jean-Michel Delacomptée. Pour les morts qui subsistent en nous, et pour les vivants qui nous lisent. […] Les livres alors, comme le font les poèmes, dressent des tombeaux. Ils ne recouvrent pas de marbre les morts, ils les revêtent d’une douce ferveur. Ce sont des urnes à portée de mains qu’il nous suffit d’ouvrir, où nous plongeons nos souvenirs, et dont les cendres sont les mots ».

Ultimes phrases d’un livre, admirablement écrit, de la mémoire et de la transmission.

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