Sylvain Chauveau est un musicien et un compositeur talentueux, habitué des musiques électroniques et expérimentales. Il y a dix ans, Down to the bone, son album acoustique de reprises de Depeche Mode avait surpris et réjouis un large public par sa richesse et sa toute puissante délicatesse. Le label français Ici d’Ailleurs en propose une nouvelle édition et, pour la première fois, une édition en vinyle.

 

Du sensuel Stripped à l’incontournable Enjoy the silence en passant par l’intimiste Death’s door ou l’épique Never let me down again, Sylvain Chauveau, accompagné de l’ensemble Nocturne, a revisité 11 chansons de Depeche Mode. Par une épure pudique et des arrangements incroyablement subtils, elles nous révèlent leur saveur cachée et, plus que leur substantifique moelle, leur plus volatile essence. Les tubes ultra efficaces des génies de Basildon prennent une autre dimension, se rapprochent sans doute de leur forme naissante, une dentelle obscure, à la fois très simple et très ouvragée.

Sa connaissance et sa maîtrise des musiques instrumentales et expérimentales permettent à Sylvain Chauveau (admirablement épaulé par les musiciens de l’Ensemble Nocturne) d’éviter les écueils du maniérisme et des mièvreries néo-classiques. Les compositions de Martin Lee Gore, dont les arrangements de Depeche Mode masquent souvent la suave sensualité et la rigueur mélodique, sont bel et bien ramenées « à l’os ». Leur nouvelle robe est aussi stricte que mouvante, la voix de Sylvain Chauveau, qui navigue entre les tessitures de Dave Gahan et de M.L. Gore, en épouse admirablement les contours. Forte, chaleureuse, souple, profonde elle se pose avec la justesse d’un rayon de soleil noir sur les sonorités mates des instruments acoustiques, elle révèle, en les frôlant, par une diction nette et sensible, la profondeur des textes (mention spéciale pour les versions de Death’s door et Freelove dont les arrangements et la voix évoquent, par anticipation, les plus récentes réalisations du génial David Sylvian, pour ne rien dire du rendu si émouvant de l’incontournable Blasphemous rumours). Nul doute que la chaleur acoustique du microsillon apportera à ces perles de reprises (qui sont bien plus que cela) des dimensions plus surprenantes et agréables encore !

down to the boneUnidivers : Sylvain quel est votre sentiment à l’heure de la réédition de cet album inclassable ? Votre regard sur lui après dix années ? Comment abordez-vous l’idée de jouer (et chanter) à nouveau ce répertoire sur scène ?

Sylvain Chauveau : Cette réédition signifie beaucoup pour moi. Cet album était le fruit de 8 ans de conception, son aboutissement m’importait énormément. Il a beaucoup circulé, été épuisé, réédité, ré-épuisé, et maintenant il parait pour la première fois sur vinyle, un support très adapté à ce disque, que j’aurais rêvé de publier ainsi il y a dix ans. Artistiquement, je respecte toujours le résultat de l’époque. C’est toujours imparfait et on devient critique avec les années, mais sans doute le fait qu’il s’agisse de morceaux qui ne sont pas les miens, mais ceux de Depeche Mode, aide à accepter le vieillissement du disque. Et puis le choix de l’orchestration acoustique, musique de chambre, fait que cela vieillit plus facilement, car c’est moins dans le son d’une époque. Alors naturellement, quand Ici d’Ailleurs m’a proposé cette réédition, j’ai moi-même proposé de refaire quelques concerts : il y avait un vrai plaisir à chanter ces chansons sur scène accompagné par de bons musiciens.

U : À quel moment avez-vous pris la décision de réinterpréter des chansons de Depeche Mode ? Et pourquoi ?

Sylvain Chauveau : J’ai eu l’idée en 1997, période où je commençais à plonger vers les musiques instrumentales et expérimentales. J’avais déjà l’envie de croiser ça avec le format pop. Alors j’ai pensé à Depeche Mode parce qu’il y avait un gros répertoire et beaucoup de chansons des années 80 me plaisaient. Et ça n’a finalement abouti qu’en 2005.

U : Quel fut le processus de création de l’album ? Une chanson d’abord puis les autres ont suivi ? Comment et pourquoi les avez-vous choisies ?

Sylvain Chauveau : J’ai choisi tout simplement les chansons que j’aimais. Ca correspond un peu à mon adolescence, d’où la présence essentiellement de morceaux 80’s. J’ai suivi les mélodies, enlevé les rythmiques, ralenti les tempi. Ça s’est fait très lentement, plutôt dans la douleur : ce n’était pas facile à réarranger, les originaux sont vraiment bien foutus, en fait. Mais avec l’aide des musiciens de l’époque, on a petit à petit réussi à arriver où je voulais.

U : On sent, à l’écoute et à la réécoute de chaque pièce une grande affection, un grand respect aussi pour les compositions. Mais également pour le compositeur Martin Lee Gore. Comme si le but était de rendre ces chansons, célèbres sous leur forme « électro » à leur essence, mélodiques, harmoniques, mais aussi et surtout textuelles ?

Sylvain Chauveau : C’est assez vrai. Martin Gore est le héros de l’ombre, celui qui écrivait tout, mais restait en retrait. Alors que sa voix est magnifique et je la préfère à celle de Gahan – ce qui est, je le sais une hérésie pour les fans du groupe (dont je ne suis pas). Grand respect pour lui, oui. Et volonté de montrer que ces chansons ont avant tout une grande force mélodique. Quant aux textes, je me suis aperçu ainsi qu’ils prenaient parfois un sens différent en changeant l’ambiance musicale.

U : Bien qu’essentiellement acoustique et épuré, l’album présente une impressionnante cohésion au niveau des arrangements, subtils et précis même quand l’expérimentation s’en mêle, ces œuvres, en particulier ne peuvent souffrir, selon vous, l’approximation… ?

Sylvain Chauveau : Je pense que si. Ces morceaux sont très bien écrits et peuvent être adaptés dans tous les genres. C’est la force des classiques. En salsa ou en loti désaccordé, ça pourrait marcher aussi. Mais en musique de chambre, comme je l’ai fait, il faut en effet un gros travail de précision.

U : Si vous deviez renouveler l’expérience aujourd’hui… Quelles chansons de D.M produite ces dix dernières années choisiriez-vous ?

Sylvain Chauveau : Je ne suis pas leur discographie. La seule chanson de la dernière décennie que j’ai entendue et aimée, c’est « Precious » que je reprenais déjà sur scène à l’époque de la sortie de Down To The Bone, et qui m’évoquais des ressemblances nettes avec leur chef d’oeuvre Enjoy The Silence.

Sylvain Chauveau & Ensemble Nocturne Down to the bone, Ici d’Ailleurs, 2015

LP (+MP3) 15 €

Article précédentJon Kalman Stefansson, D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds – mais la poésie si !
Article suivantDans Profession du père Sorj Chalandon transfigure l’absence d’amour
Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici