La figure de Dora Maar fascina et fascine encore artistes et écrivains. En 2003, la biographe Alicia Dujovne Ortiz écrivit un très beau texte, Dora Maar, prisonnière du regard, un peu avant, en 2000, c’est Mary Ann Caws qui s’attela à écrire Les vies de Dora Maar : Bataille, Picasso et les surréalistes et tout récemment Brigitte Benkemoun s’est penchée sur le Carnet de Dora Maar dont Unidivers vient de parler avec enthousiasme dans ses colonnes.

ZOE VALDES LA FEMME QUI PLEURE

Zoé Valdés, romancière cubaine exilée, à présent Franco-Espagnole, s’est elle aussi attachée à cette femme singulière dans un poignant et magnifique livre, La Mujer que llora (Prix Azorín 2013), paru en France en 2014 aux éditions Arthaud dans une très belle traduction d’Albert Bensoussan sous le titre La Femme qui pleure, rééditée en format de poche en 2016. C’est sous ce titre, on le sait, que Pablo Picasso a peint une série de portraits de Dora Maar, cette femme photographe et peintre surréaliste, dont le génie malaguène avait fait sa muse.

DORA MAAR MAN RAY

Picasso fit la connaissance de Dora Maar en 1936, à travers une photo de Man Ray, celle où elle apparaît « la tête emplumée et le regard adouci […]. Tout s’est alors transformé, mon indépendance a été abolie, et je me suis annulée comme artiste » nous dit Dora Maar par la plume de Zoé Valdés. Le magnétisme qu’exercera dès lors Picasso sur cette femme sera total au point que le peintre de Malaga lui demandera même de se détourner de la photographie, sa source et force créatrice, au profit de la peinture.

FEMME QUI PLEURE PICASSO
La femme qui pleure, Picasso. 1937

Zoé Valdés, tout au long du livre, va nous dépeindre une femme en proie à une passion dévorante et aux caprices, amoureux et artistiques, du Maître. La vie avec Picasso deviendra vite une succession de souffrances et d’humiliations, de sacrifices et d’abandons, d’affrontements et de déchirements.

Comment une femme aussi intelligente qu’elle pouvait être aussi insupportablement soumise ? écrit Zoé Valdés.

DORA MAAR MINOTAURE
Dora et le minotaure. Picasso, 1936.

Dora Maar, dans l’ombre (ou la lumière ?) de Picasso, côtoie artistes et écrivains, issus du surréalisme, tous complices et acteurs d’échanges et de rencontres où le cercle d’amis s’adonne à des jeux souvent sexuels au cours desquels, tel le Minotaure qu’il a coutume de dessiner, Picasso s’unit dans la même rage et violence aussi bien à Dora qu’à Nusch, la femme de Paul Éluard. Sous les yeux du poète… Qu’importe,

Éluard aimait Nusch ce qui ne représentait pas un obstacle pour partager sa femme avec Picasso !

Dora découvre aussi, dans ce monde d’artistes et d’écrivains, la lâcheté politique, celle d’Éluard, précisément, vis-à-vis d’un camarade russe envoyé à la mort par Staline, la lâcheté humaine, celle de Picasso qui laisse partir vers la mort son vieil ami Max Jacob sans faire un geste qui pourrait le sauver de l’enfer des camps nazis.

DORA MAAR ATELIER
Dora Maar dans son atelier rue de Savoie

La vie de Dora avec Picasso durera dix ans. Dix années de sacrifices, de contraintes, de vexations et de larmes. Picasso aimera cette femme-là, « cassée, brisée, défaite », souffrante et pleurante, et il fera d’elle une œuvre d’art. Pour l’éternité, elle sera

la femme qui pleure.

Au bout de ces dix ans, Picasso, lassé du charme de sa maîtresse – « Elle ne sert plus à rien » dira-t-il avec cruauté – la fera même interner à l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, avec la complicité de Paul Éluard, encore lui, et l’aide de Jacques Lacan. Puis la mettra à la porte « comme on dépose un vieux meuble déglingué à l’intention des éboueurs » écrit Zoé Valdés.

DORA MAAR PICASSO
Dora Maar. Picasso dans le miroir de l’atelier 1940. (C) ADAGP, Paris Photo (C) RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Madeleine Coursaget

Quelques années après cette rupture, et pour tenter de se reconstruire, Dora Maar fera un voyage à Venise de quelques jours, voyage qui « garde un mystère » pour Zoé Valdés qui en fait le fil rouge de son livre. Dora y sera accompagnée de deux de ses amis, intimes eux aussi de Picasso : James Lord et Bernard Minoret. Ils sont homosexuels mais, à leur manière, un peu amoureux aussi de la belle et malheureuse Dora. Au retour d’Italie, Dora se coupera du monde, s’isolant dans son appartement parisien, entouré de tableaux de Picasso et ne manquant chaque jour du reste de sa vie aucun office religieux à Notre-Dame.

Elle est seule et elle le restera. Picasso a fait d’elle une irrémédiable solitaire écrira dans son journal Bernard Minoret.

Zoé Valdés la croisera un jour, par hasard, dans Paris et, dès cet instant, guettera ses allées et venues. Mais la timide Zoé n’osera jamais l’aborder et le jour où elle s’y décidera, elle apprendra la mort de Dora, foudroyée par une attaque, sur le parvis de la cathédrale, un matin de juillet 1997. Elle avait 90 ans et Zoé n’aura donc jamais eu le bonheur de rencontrer cette femme qu’elle admirait par-dessus tout.

LEONOR FINI 1937
Leonor Fini par Dora Maar en 1937

« Je ne me suis pas intéressée à Dora Maar parce qu’elle fut la maîtresse de Picasso, j’étais attirée par sa vie, son art, et surtout son œuvre de photographe, les photos exotiques d’Assia, de Leonor Fini et puis ses photos de Picasso. Je me suis éprise de son œuvre avant de me pencher sur sa vie » écrit Zoé Valdés.

À noter que ce n’est pas la première fois que Zoé Valdés écrit sur une femme artiste. Elle l’avait fait déjà dans La Chasseuse d’astres (« La Cazadora de astros »), publié en 2007, où elle faisait revivre la figure de Remedios Varo, peintre surréaliste catalane, qui vécut, dans une même intensité amoureuse et artistique, l’explosion des avant-gardes des années vingt et trente en Espagne et en France aux côtés de Salvador Dali, André Breton, Benjamin Péret.

La femme qui pleure de Zoé Valdés. Arthaud poche.Arthaud poche
Paru le 31/08/2016. Genre : Littérature étrangère. 432 pages. Genre : Littérature étrangère. ISBN : 9782081391185, prix 7.90 euros.

Titre original : La mujer que llora.
Traduction (Espagnol) : Albert Bensoussan.

ASSIA DORA MAAR
Assia nue sur le dos (1935) © Georges Meguerditchian – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris

DORA MAAR
5 juin 2019 – 29 juil. 2019 de 11h à 21h
Galerie 2 – Centre Pompidou, Paris
Nocturne le jeudi (23h)

La plus grande rétrospective jamais consacrée en France à l’œuvre de Dora Maar (1907-1997) vous invite à découvrir tous les volets de son travail, au travers de plus de cinq cents œuvres et documents. D’abord photographe professionnelle et surréaliste, puis peintre, Dora Maar jouit d’une reconnaissance incontestable. Bien loin du modèle auquel sa relation intime avec Pablo Picasso la limite trop souvent, l’exposition retrace le parcours d’une artiste accomplie, d’une intellectuelle libre et indépendante.

L’exposition est organisée en coproduction avec le J. Paul Getty Museum Los Angeles et en collaboration avec la Tate Modern (Londres).

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