Mis en scène par Jean-François Sivadier, le Dom Juan de Molière est arrivé le mardi 22 mars au TNB dans une salle Jean Vilar bondée. Les errances et aventures du séducteur mythique sont éternelles, tout comme le sont les pitreries de son valet Sganarelle. La pièce aussi séduira-t-elle ? Le théâtre, comme Dom Juan, est-il menteur ?

 

Dom Juan Rennes« Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? » Jean-François Sivadier ne cache pas sa constance envers Molière. Après avoir mis en scène la version inachevée du Dom Juan de Didier-Georges Gabily et monté en 2013, au TNB, Le Misanthrope, le voici de nouveau en prise avec le mythe Dom Juan. On aurait tort de penser que le chef-d’œuvre de Molière ait toujours connu le succès. Sivadier rend d’ailleurs honneur, grâce à un panneau défilant, à la scène censurée du Pauvre (acte 2, scène 3). Parce que Dom Juan Tenorio est un mythe, il circule dans la culture : Sivadier ne se gêne donc pas pour en donner sa propre interprétation, il est vrai vague, et le situer plus largement dans le courant de pensée dit libertin. En gros, ça lit du Marquis de Sade sur scène et ça chante du Sexual Healing en guise d’entracte.

Heureusement, tout ne repose pas sur l’intellection ! Sivadier a choisi de pousser l’aspect comique jusque dans ses retranchements, jusqu’à l’outrance. Les exégètes du Dom Juan de Molière y ont décelé ici du baroque, là du burlesque ou de la farce. La version de Sivadier exploite toutes ces ficelles. Le roulement de batterie qui ponctue le gag fait penser au stand-up. De même, lorsque Dom Juan interpelle les femmes du public (en altérant donc le texte), il brise le quatrième mur comme dans un one-man-show. Sganarelle pratique le mime, il s’apparente moins au valet traditionnel qu’à un Chaplin ou un Buster Keaton. Bien sûr, le texte de Molière est déjà une comédie. La scène 1 de l’acte 2, qui met en scène les paysans Pierrot et Charlotte, reste un classique que la direction artistique a réussi à magnifier. Le patois a provoqué un rire franc dans la salle. Tous les personnages, jusqu’à Done Elvire, jouent leur rôle de manière excessive. Dom Juan se met à chanter Sexual Healing de Marvin Gaye, comme un crooner, et voilà que la comédie devient musicale.

Dom Juan RennesLa deuxième moitié de la pièce s’avère plus sombre. Sganarelle, quant à lui, chante Les Passantes de Georges Brassens. « La pièce met en scène, dans un chant d’une ambivalence permanente, des clowns qui font froid dans le dos à force de manipuler joyeusement des idées noires. Devant la statue, on peut rire comme Dom Juan ou trembler avec Sganarelle. Ou les deux à la fois. Une pièce qui marche sur deux jambes. Le rire et l’effroi. Pas l’un après l’autre, mais simultanément » nous explique Sivadier. Un étrange compte à rebours ne cesse de tourner, le tragique se fait palpable. Néanmoins, pour éluder le caractère exemplaire de la chute terminale de Dom Juan, le metteur en scène choisit d’insister sur l’aspect illusoire et factice du théâtre. C’est, sur ce point, la ressemblance de Sivadier et de ses contemporains du TNB : le quatrième mur tombe à chaque fois, au moins une cigarette est allumée, au moins une poitrine et un pénis sont dévoilés.

La mise en scène se voulait spectaculaire. À plusieurs moments, les spectateurs ont été plongés dans une épaisse fumée blanche. Après tout, la pièce des origines porte en elle cette dimension carnavalesque, faite de machines, de rouages, de deus ex machina. Ici, on pense parfois aux Temps Modernes de Chaplin. La scène était investie d’un décor sidéral : étoiles, planètes, lunes. Comme si la lutte de Dom Juan contre son valet, son père, « sa femme », et finalement contre la société et le monde, avait quelque chose de cosmique. Mais surtout, de païen. C’est ainsi qu’il faut comprendre les écrits de La Philosophie dans le boudoir, insérés à même le texte : « Rendez-nous les dieux du paganisme. Nous adorerons volontiers Jupiter, Hercule ou Pallas ; mais nous ne voulons plus du fabuleux auteur d’un univers qui se meut lui-même ». L’esthétique de la mise en scène demeure certes baroque, mais aussi païenne : le splendide tombeau du Commandeur le prouve. Jusqu’au bout, jusqu’à la disparition de Dom Juan, triviale dans la version de Sivadier, le rire prévaut sur l’exemplarité. La statue du Commandeur s’apparente plus à Dark Vador qu’à une intervention divine. Il convient aussi de saluer la superbe performance de Nicolas Bouchaud dans le rôle de Dom Juan. À l’image du personnage mythique qu’il met en scène, Sivadier séduit, en inspirant, malgré tout, une certaine méfiance…

Dom Juan de Molière, mise en scène Jean-François Sivadier, TNB
du 22 mars au 2 avril 2016, 20 heures

 

Les rendez-vous

Soirée Au théâtre en bus en partenariat avec Rennes Métropole et STAR le mardi 29 mars 2016
Rencontre avec Jean-François Sivadier le jeudi 31 mars à l’issue de la représentation

Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit

Avec Nicolas Bouchaud (Dom Juan Tenorio), Vincent Guédon (Sganarelle), Stephen Butel (Pierrot, Dom Alonse, Monsieur Dimanche), Marc Arnaud (Gusman, Dom Carlos, Dom Louis) Marie Vialle (Elvire, Mathurine), Lucie Valon (Charlotte, Le Pauvre, La Violette)
Scénographie Daniel Jeanneteau, Christian Tirole, Jean-François Sivadier
Lumières Philippe Berthomé assisté de Jean-Jacques Beaudouin
Costumes Virginie Gervaise assistée de Morganne Legg
Maquillages, Perruques Cécile Kretschmar
Son Eve-Anne Joalland
Assistants à la mise en scène Véronique Timsit, Maxime Contrepois (dans le cadre du dispositif de compagnonnage de la DRAC île-de France)
Assistant de tournée Rachid Zanouda
Construction du décor Atelier du Grand T à Nantes,
Alain Burkarth (suspensions), Yann Chollet – ARTE FAB
Confection des costumes Catherine Coustère, Sylvestre Ramos, Anne-Sophie Polack et Julien Humeau Clotaire / Atelier du TNB – Rennes (Sarah Bruchet, Myriam Rault)
Régie Générale Dominique Brillault
Régie Lumières Jean-Jacques Beaudouin
Régie son Eve-Anne Joalland
Régie Plateau Christian Tirole, Nicolas Marchand
Accessoires Julien Le Moal
Habillage Valérie de Champchesnel
Machinistes François Aubry, Eric Becdelièvre, Stéphane Potiron, Électriciens Jean Chrétien, Stéphane Geslot, Gwendal Mollo, Manon Pesquet, Raymond Renouvin

Technicien Son Baptiste Tarlet Habilleuse Isabelle Beaudouin
Restauration Nathalie Viard
Stagiaires Seyed Mahdi Alaghebandi Hosseini Toussi, Sixtine Lebaindre, Lara Maleval, Iliona Morvan, Elsa Pierry Grammare
Remerciements Maison de l’Arbre, Christian Biet, Bertrand et Romans Suarez-PasosAvec l’aide de toute l’équipe du Théâtre National de Bretagne
Production déléguée Théâtre National de Bretagne / Rennes
Coproduction Italienne avec Orchestre ; Odéon – Théâtre de l’Europe ; MC2 : Grenoble ; CNCDC Châteauvallon ; Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique ; Le Printemps des Comédiens

**************************

La tournée:

Théâtre national de Bordeaux Aquitaine du 5 au 9 avril 2016
Cergy-Pontoise, l’Apostrophe du 12 au 14 avril 2016
Le Mans, les Quinconces du 20 au 22 avril 2016
Châteauvallon, CNCDC du 26 au 30 avril 2016
La Roche-sur-Yon, Le Grand R du 11 au 13 mai 2016
La Rochelle, la Coursive du 18 au 20 mai 2016
Villeneuve d’Ascq, la Rose des vents, du 24 au 27 mai 2016

Article précédentFilm Médecin de campagne, Une vibrante piqûre de rappel
Article suivantRennes, Ronan et Erwan Bouroullec ou les rêveries de designers du quotidien

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici