Le roman d’Olivier Guez, La Disparition de Josef Mengele, prix Renaudot 2017, réédité en 2018 dans la collection Livre de Poche, aurait pu tout aussi bien recevoir un prix de journalisme d’investigation.

Le texte en effet déroule une véritable enquête menée par Olivier Guez lui-même pendant trois années pour retrouver, en Amérique latine, la trace et le parcours de fuyard et de bête traquée de Josef Mengele, sinistre médecin nazi du camp d’Auschwitz, qui a échappé pendant 70 ans aux recherches des services secrets américains, allemands et israéliens.

Olivier Guez use d’une langue sobre, sans commentaires, sans effets ni métaphores, une langue directe, simple voire sèche, faite de phrases aussi brèves qu’incisives qui nous tiennent en haleine du début à la fin du livre.

Mengele, ce fils de riches propriétaires de l’industrie mécanique allemande, était un bourgeois cultivé, amateur de poésie et d’opéra, très attaché à son épouse et à ses enfants, avec lesquels il menait une vie de fidèle époux et de bon père de famille, tout cela, chose ahurissante, dans le périmètre même du camp d’Auschwitz ! « Les chambres à gaz tournaient à plein régime ; Irene [sa femme] et Joseph se baignaient dans la Sola. Les SS brûlaient des hommes, des femmes et des enfants vivants dans les fosses ; Irene et Josef ramassaient des myrtilles dont elle faisait des confitures ».

Mengele est un médecin SS d’un type très singulier. Parmi les 20 médecins officiant à Auchwitz, lui-même s’attache à réaliser des expériences « scientifiques » très particulières sur les juifs. Il fait brûler, par centaines de milliers, les cadavres des déportés après les avoir minutieusement disséqués, tels des rats de laboratoire : « Injecter, mesurer, saigner, découper, assassiner, autopsier : à sa disposition un zoo d’enfants cobayes afin de percer les secrets de la gémellité, de produire des surhommes et de rendre les Allemandes plus fécondes pour peupler un jour de paysans soldats les territoires de l’Est arrachés aux Slaves et défendre la race nordique ».

Mengele, figurant en 1945 sur la liste américaine des criminels de guerre, fuira sa planque bavaroise, sans ses enfants qui resteront en Allemagne, ni sa femme qui lui préférera, « la chienne ! », un marchand de chaussures de Fribourg. Il filera vers l’Argentine du trouble président Juan Perón, un homme qui accueillera avec bienveillance nombre de criminels nazis dont le fameux Adolf Eichmann que le Mossad israélien réussira à retrouver et exfiltrer du pays :

« Les Argentins se foutent des chamailleries européennes et en veulent toujours aux juifs d’avoir crucifié le Christ ».

En Argentine, avec la complicité d’anciens nazis qui s’y sont réfugiés, il retrouvera une certaine liberté, changera d’identité, refera sa vie, connaîtra une certaine aisance financière, par son travail, mais aussi par la générosité de sa riche famille restée en Allemagne qui, à distance, aidera généreusement à améliorer son train de vie espérant ainsi qu’il finisse sa vie dans l’anonymat de la lointaine Amérique du Sud. Ne ressuscitons surtout pas une figure du nazisme assurément nuisible à l’image et aux prospères affaires commerciales de cette famille allemande pendant et après la guerre !

L’arrestation de l’imprudent Eichmann, qui, lui, ne se cachait guère en Argentine, réveillera les cauchemars paranoïaques de Mengele et l’incitera à fuir le pays pour le Paraguay puis le Brésil. Il sera alors la proie d’une chasse à l’homme incessante, prélude à son inéluctable descente aux enfers. Il vivra à son tour la détresse et la solitude des juifs eux-mêmes qu’il massacrait à Auchwitz.

Sentant sa fin prochaine, reclus dans une pestilentielle masure perdue au fin fond du Brésil, il suppliera l’un de ses fils, Rolf, jeune avocat du barreau allemand, de venir lui rendre visite. Après moult hésitations, le fils y consentira, mais pour lui poser les seules questions qui comptent à ses yeux : « Papa, qu’as-tu fait à Auchwitz ? […] Et les juifs, alors, qu’est-ce qu’ils t’ont fait les juifs ? […] Tu as torturé et jeté des nouveaux-nés dans le feu ? ».

Josef Mengele, à tout jamais fermé à la moindre forme de remords, niera jusqu’au bout toute responsabilité personnelle au nom de l’idéal national-socialiste. Son fils, désespéré, repartira en Allemagne sans même un dernier salut. Josef Mengele se suicidera par noyade peu après cette visite. Ainsi, jamais la justice n’aura pu traduire ce grand criminel nazi devant un tribunal.

Ce livre douloureux et bouleversant est comme un rappel essentiel à tous ceux qui pourraient oublier que le totalitarisme et le racisme, aidés par un populisme et un nationalisme jamais éteints, peuvent toujours « remettre le couvert ». « Toutes les deux ou trois générations, écrit Olivier Guez à la fin de son livre, lorsque la mémoire s’étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent, la raison s’éclipse et des hommes reviennent propager le mal ».

Un livre à lire absolument.

La disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez, Le Livre de Poche, 256 p., 2018 ISBN 978-2-253-07380-2, prix : 7.20 euros.

Lire un extrait ici.

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