Avec cette réédition de chroniques judiciaires, Dimitri Rouchon-Borie nous introduit dans la justice au quotidien, celle des femmes et des hommes qui essaient parfois de faire le mieux comme le pire. Avec leurs moyens.

Nous avions pris une claque. Une sensation de vertige. La lecture de Le Démon de la colline aux loups (voir chronique), cette plongée dans les ténèbres, avait révélé la naissance d’un véritable écrivain. Nous avions découvert à cette occasion que l’auteur, Dimitri Bouchon-Borie était journaliste, spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Quand un écrivain se révèle au grand public, l’occasion est belle de publier de nouveau ses livres antérieurs, passés le plus souvent inaperçus dans le flot des publications annuelles. Le Tripode eut ainsi la bonne idée de rééditer une nouvelle version de Ritournelle (voir chronique) et de compléter le tout avec la réédition aujourd’hui de Fariboles publié une première fois en 2018.

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Dimitri Rouchon-Borie

On ne peut comprendre cette trilogie si on ignore les origines. Rouchon-Borie passe le plus clair de son temps dans les tribunaux, non pas pour des procès retentissants mais pour ce qu’il appelle « la justice ordinaire », celle des tribunaux correctionnels, des comparutions immédiates. De ces heures dans les prétoires, il reconstitue une forme d’humanité, celle des coupables et celle des victimes. Il donne à entendre l’indicible, l’incompréhensible, l’extraordinaire caché dans l’ordinaire. La quatrième de couverture dit à juste titre de Fariboles que ce livre est dans « la lignée de Raymond Depardon et de sa 10e Chambre » dans laquelle le cinéaste a posé simplement sa caméra et filme en plans fixes les accusés. Dimitri Bouchon-Borie remplace la caméra par les mots, ses mots et s’il ne transpose pas la réalité objective, il nous la montre plus concrètement, plus réellement.

Les mots sont essentiels dans une salle d’audience. Ce sont eux qui sont les premiers marqueurs sociaux, eux qui définissent extérieurement un être mieux que son attitude ou ses vêtements.

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« Je suis le bouquet mystère » dit un inculpé, plus sûrement le bouc émissaire d’un milieu social où l’on ne dispose pas du vocabulaire nécessaire pour s’intégrer. Que l’on ne s’y méprenne pas, ce livre n’est pas un recueil de bons mots, une sorte de « Brèves de tribunaux » même si certaines scènes prêtent parfois à sourire tant le réel dépasse l’imaginable. Le presque criminel côtoie l’insignifiant, la colère presque assassine bordure un problème de circulation. Ce n’est pas non plus un livre sociologique, une enquête au cœur de la France Profonde. C’est l’histoire de personnes que l’on ne rencontre guère, ces êtres transparents, ces « gens de peu » dont on ne peut dire s’il faut les plaindre ou les moquer. Certes, on rencontre bien un agent qui « a fait une carrière correcte dans l’univers feutré du conseil en finance » mais beaucoup sont des déclassés, des sans-amour, des alcooliques, des drogués, pour qui le tribunal en comparution immédiate est une étape connue d’un parcours habituel.

Certaines histoires, puisque il faut bien appeler ces violences ou ces incivilités comme cela, à la limite des instances criminelles, dépassent l’imaginable. Rester bloqué une heure dans les toilettes en attendant les gendarmes devant la porte parce que l’on a des principes d’hygiène ou refuser l’arrêt à un stop pour une bande blanche non réglementaire peinte sur le sol laissent pantois. Les attouchements sexuels sont bien entendu fréquents et souvent expliqués par l’alcool. C’est la France des tournées de la BAC du samedi soir qui nous est dite, celle des heurts de voisinage, du racisme ordinaire, de la bêtise ordinaire. De la détresse ordinaire.

Dimitri Rouchon-Borie au sujet de son livre Le Démon de la Colline aux loups

Même les magistrats ici sont à dimension humaine, sidérés parfois par ce qu’ils entendent et les avocats ne sont pas les ténors médiatisés. Ils, elles essaient de défendre l’indéfendable au nom du droit et du respect dus à chaque individu. L’auteur ne prend pas partie, ne dit rien d’autre que sa vérité, celle des attitudes, des expressions, des « à côté » de la salle du tribunal. Il révèle ce qu’il appelle « les plaies de la vie ordinaire » et nous laisse le soin de tenter de les panser, de les penser.

Emmanuel Carrere va publier à la rentrée littéraire un nouvel ouvrage, V13 reprenant les chroniques revues et augmentées, parues dans L’Obs, de son suivi du procès des attentats du 13 novembre 2015. Un procès d’une toute autre échelle, pour des crimes d’une autre dimension mais qui finalement pose toujours la même question: quelle justice pour quels êtres humains ?

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Dimitri Rouchon-Borie, Fariboles, éditions Le Tripode, 160 pages, 16 €.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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