Est-ce que l’amour, c’est suivre l’autre même si on pense que ses idées, ses projets sont complètement fous ? Ou bien agit-on juste par peur de se rebeller, de dire enfin non, et sans doute, de voir se rompre d’un coup les années de vie commune et de partage ?

Une question que se pose Irène, qui accepte de suivre Gary et de l’aider à construire la cabane dont il rêve sur Caribou Island en Alaska, une île perdue et inhabitée, inhospitalière au possible. Les éléments se déchaînent contre eux et elle est consciente que cette cabane n’est pour son mari qu’une fuite en avant de plus, une utopie à laquelle se raccrocher pour (se) faire croire qu’il est capable de réaliser ses rêves. Mais Irène s’accroche, au péril même de sa vie. Des maux de têtes insupportables l’assaillent qui la laissent épuisée, quasiment aveugle et impotente, mais elle participe à l’obsession de la cabane comme un automate qu’on n’arriverait pas à débrancher…

Leur fille observe et ne comprend pas ses parents, mais a déjà bien du mal à s’occuper de son propre couple vacillant pour leur apporter son aide, qui n’est de toute façon pas souhaitée.

Pas de page 113 ici, la fameuse page qui nous a fait sursauter dans Sukkwan Island. Mais une lente montée de la folie et du drame qui pèse, pèse… Si j’ai beaucoup aimé ce roman, il m’a cependant paru extrêmement déprimant. Vous le savez, amis lecteurs, j’ai un mal fou avec les gens qui se laissent vivre, qui se laissent mener par le bout du nez et acceptent leur propre malheur sans ruer dans les brancards. Cette Irène, comme j’avais envie de la secouer, de lui botter les fesses en lui disant « barre toi, mais barre toi de là, ton homme aura ta perte ! ». Rhoda également se voile la face… de même que le père. Chacun d’eux continue sur une voie qu’il sait périlleuse, dangereuse, mais ne veut pas s’en détourner, accepter qu’on puisse se tromper, et renoncer parfois aussi par sagesse.

Ici, on est seul face à la nature, qui n’a rien d’accueillant et de chaleureux. Mais les protagonistes de l’histoire sont également seuls face à eux-mêmes, dans leur folie, dans leur obsession, leur volonté bornée. La désolation, c’est celle du paysage aride et violent, mais aussi celle des cœurs, secs et racornis. C’est l’angoisse insidieuse qui monte au fil des pages, qui se diffuse dans les pensées, qui fait craindre le pire. C’est la menace de la tragédie qui plane sur les têtes, l’attente d’une fin inévitablement violente et malheureuse, implacable et à laquelle il est vain de tenter d’échapper…

La virginité du territoire, de cette île isolée pourra-t-elle rendre jeunesse et amour au couple ? La vie au contact de la nature les ramènera-t-elle vers leurs racines ? C’est ce que veut croire Gary, mais la nature ici est rebelle et sauvage et ne s’en laisse pas conter…

Un roman magnifique, mais bien désolant. Tant de gâchis dans les vies…

 Alix Bayart

 

Désolations David Vann, Gallmeister (25 août 2011), Nature Writing, 23,40€
David Vann est né en 1966 sur l’île Adak, en Alaska. Il a travaillé à l’écriture de son premier roman, Sukkwan Island, pendant plus de dix ans. Publié en France en 2010, ce livre a obtenu le prix Médicis étranger et est aujourd’hui traduit en quinze langues dans plus de cinquante pays.
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