Quai des Bulles 2016 ou comment obtenir un dessin dédicacé. Que se passe-t-il dans la tête de ces centaines de personnes capables d’attendre des heures pour obtenir une dédicace de BD, un dessin signé ? Début de réponse. Dédicaces mode d’emploi…

Quai des bullesSaint-Malo, samedi 29 octobre, 18 h 30, le chapiteau de Quai des Bulles. La foule du milieu d’après-midi est partie se promener sur les remparts. Il reste quelques centaines de personnes, les joues rougies par la chaleur et la tension, les yeux hagards. Certains traînent de lourdes valises, d’autres portent des sacs plastiques prêts à exploser. La journée du passionné de BD et collecteur de dédicaces s’achève. Un des intérêts de ces festivals réside en effet dans la possibilité offerte pour les lecteurs de rencontrer leurs auteurs préférés. Et d’obtenir d’eux une dédicace dessinée et personnalisée. Sans atteindre le phénomène d’idolâtrie des chanteurs ou sportifs, rencontrer un auteur fétiche et pouvoir échanger quelques mots avec lui reste pour le passionné de BD un moment important.

Quai des bullesCertains dessinateurs, comme Emmanuel Lepage ou Catherine Meurisse, racontent dans certains de leurs albums des moments de leur vie parfois très intimes. Ils invitent le lecteur à partager une partie de leur privée. En retour, celui-ci peut s’adresser à eux pour évoquer le voyage aux îles de la Désolation ou l’attentat à Charlie Hebdo comme dans la BD La légèreté. Une connivence même infime et éphémère se lie ainsi. Cette proximité, ce partage, Catherine Meurisse les évoque quand elle confie en tête à tête qu’elle a beaucoup de mal à retrouver le plaisir de la lecture depuis « l’attentat ». La lecture de La Légèreté se prolonge ainsi quelques instants, avec un regard, un silence. On peut aussi communiquer à l’auteur la joie que la lecture de son ouvrage a procurée, celui-ci vous confiant alors qu’il travaille aussi pour ce moment de partage. Parfois, le dessinateur pourra vous donner quelques précisions techniques comme Sébastien Morice, coauteur avec Didier Quella-Guyot de Facteur pour femmes, qui explique que « dessiner un vélo est ce qu’il y’a de plus difficile ». Il dira alors comment il utilise la 3D pour modéliser l’engin et lui permettre de trouver les justes perspectives. Quand vous lui confierez que les robes bretonnes du début du siècle sont parfaitement documentées, il avouera qu’elles étaient très lourdes et qu’il a du les dessiner plus légères pour « dessiner le vent ». Chacun se confie un peu, avoue ses petits secrets, ses difficultés, ses exigences comme Pierre Henry Gomont qui précise que c’est son éditeur qui lui a proposé d’illustrer le roman de Antonio Tabucchi « Péreira prétend »

Mais il fallait qu’il me convienne ! Impossible de travailler sur une commande ! D’ailleurs un premier roman m’avait été proposé, je l’ai refusé

Déclare-t-il avec un large sourire qui ne laisse aucune place au compromis.

Quai des bullesCes échanges qui ne confinent jamais à l’idolâtrie, mais plutôt au dialogue, au respect, à l’admiration, trouvent leur concrétisation dans le dessin final, car contrairement à l’écrivain qui appose un petit mot et une signature sur la première page du roman, le dessinateur de BD vous offre en plus un dessin, une création, même reproduits déjà à des dizaines d’exemplaires et qui par votre prénom, une date, un lieu, resteront uniques. Certains, taiseux comme Labiano ou Manuele Fior, ne chercheront pas à partager avec vous, mais respectueux de leurs lecteurs, ils vous donneront un dessin abouti, une œuvre peaufinée, passant plusieurs minutes à retoucher inlassablement une couleur, un trait, soucieux de vous offrir par le dessin un remerciement silencieux à votre admiration. Ce sera alors votre Madeleine de Proust, le dessin que vous extirperez souvent de votre bibliothèque, admiratif, rappelant le jour et le moment précis de son obtention. Vous suivez simultanément toutes les étapes de la création, car là aussi réside l’intérêt d’une dédicace : voir se construire devant vous un dessin que vous aimez, découvrir un peu les mystères de la création. Un trait de crayon à droite, une tache de couleur à gauche, un rond au milieu vont peu à peu s’articuler pour devenir un chef indien dressé devant une colline au soleil couchant. Vous ne perdez rien et vous mémorisez toutes les étapes.

Quai des bullesParfois une lassitude légitime gagne le dessinateur comme Emmanuel Lepage occupé « de 10 heures du matin à 19 heures avec juste 20 minutes de pause méridienne » et les lecteurs se réjouissent tout en s’inquiétant: la file d’attente s’accélère, bon signe, mais en même temps, le dessin va être probablement moins léché, moins travaillé. Et perce alors une petite déception, que l’on a un peu de mal à s’avouer. Tant pis on se console en se disant que l’on a quand même pu enfin aborder un de ses dessinateurs préférés ce que tant d’autres n’ont pu réaliser.

Car il faut de la patience. Et un peu de courage. Et même de la chance. Et aussi de l’expérience pour recueillir les précieux Graal. Les mieux organisés repèreront sur les sites des maisons d’édition, avant de venir, les heures de dédicaces des auteurs préférés. Il faudra alors foncer pour connaître les conditions d’obtention du précieux ticket ouvrant droit à la file d’attente.

Quai des bulles
Martin Veyron

Tirage au sort (souvent pour les plus grandes figures comme Fabiano, Marini ou Loisel), réservation sur le stand à partir d’une heure donnée, qu’il faut avoir la chance de connaître (« venez un peu avant, vers 13 h 30, ou 14 h ou… 14 h 30 »), placement selon le numéro du ticket ou selon l’ordre d’arrivée : les défis à relever sont nombreux et variés. Les maisons d’édition ont quand même tenté de rationaliser au maximum les dédicaces pour éviter les colères des lecteurs faisant une heure d’attente, ou plus, pour se voir « fermer la porte » au nez au dernier moment. Avec l’achat d’un album donnant droit à l’attribution d’un ticket qui vous permet de rentrer dans la file d’attente, les règles sont plus claires et plus régulières. Généralement un auteur dédicace 15 à 20 ouvrages. À vous alors de calculer vos chances et de bien choisir vos auteurs, car vous ne pourrez pas aller à la rencontre de tous.

Quai des bullesCes files d’attente sont des moments de fatigue (un conseil: se munir d’un petit siège pliant !), de nervosité parfois, mais aussi de convivialité avec vos voisins aussi passionnés que vous et pour passer le temps (il faut compter au moins une heure par dédicace), vous parlerez de votre dernier coup de cœur, de la manière de classer vos livres, de la façon d’aménager vos étagères, du manque de place dans votre maison qui explose sous les BD. Bref vous partagerez votre passion.

Quai des bullesIl s’agit bien de passion même si quelques mauvais, mais rares esprits mercantiles cherchent parfois à exploiter l’esprit irraisonné de quelques collectionneurs compulsifs. Comme cet admirateur qui montre à Étienne Davodeau un exemplaire d’une dédicace de lui trouvée chez un bouquiniste parisien, dédicace que l’auteur s’offusque de n’avoir jamais réalisée. Faussaires ou marchands sans scrupule qui revendent le lundi des ouvrages dédicacés le samedi, ces cas demeurent heureusement rares.

L’essentiel dans ces heures passées à attendre, fébrile, mais aussi heureux sont avant tout des moments intenses de joie, celle d’emmener avec soi, sous le bras, dans une valise, ou encore dans de lourds sacs plastiques, un peu de mystère du processus créatif de personnes avec qui vous partagez assis dans votre fauteuil de longues heures de dialogue silencieux et de connivence. Alors, c’est certain, je reprendrai mon petit siège de pêcheur à Eauze, Darnétal, Angoulême, St Malo ou Dieppe pour découvrir devant mes yeux ce qu’un créateur voudra bien m’offrir.

Séance de dédicaces à Saint-Malo au festival Quai des bulles 2016

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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