Il est rare dans les chroniques littéraires d’Unidivers de parler d’une revue. En ouvrant le volume d’Europe consacré aux « Écrivains et reporters dans la guerre d’Espagne », l’évidence d’une note m’a pourtant sauté aux yeux pour plusieurs raisons.

Cette guerre menée par Franco contre l’Espagne républicaine reste une douleur que j’ai partagée avec mon ami Mariano Otero dans son combat pour la mémoire. La concomitance avec les évènements que nous connaissons depuis le 24 février ne pouvait aussi que m’interpeller bien qu’un tel numéro suppose une décision éditoriale remontant loin dans le temps pour sa préparation. Et puis, donner la parole à des reporters, photographes, écrivains, traducteurs, dessinateurs, cinéastes ou les ramener à la lumière en reproduisant leurs témoignages publiés dans les années 30 me semble pour le moins inédit. Qu’ils soient espagnols, français, italiens, suédois, russes, américains, communistes, anarchistes ou simplement esprits libres, ils ont été nombreux en effet à faire battre le cœur de l’Espagne pendant cette guerre.

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Dessin de Mariano Otero paru dans le livre Affiches d’un engagement, Éditions La Part Commune

Impossible de tous les citer dans cette chronique bien sûr. Si le lecteur trouvera avec émotion des poèmes de Luis Cernuda et César Vallejo dans les premières pages après le puissant éditorial d’Anne Mathieu, les plus de 200 pages du dossier permettent de revenir sur l’histoire des oubliés comme Rosario del Olmo, Juan Chabás, Max Aub. Nous croisons André Cayatte et Philippe Lamour, journalistes dans les tranchées, Pierre Brossolette, proche d’Aristide Briand et de Blum, un pacifiste devenu par la suite un partisan convaincu de la résistance active, Giuseppe Bogoni qui rejoindra la résistance à Lyon en 1940. De Robert Fuzier, dessinateur au quotidien Le Populaire, à Nancy Cunard, infatigable antifasciste et lanceuse d’alerte avant l’heure, beaucoup prennent fait et cause pour la République espagnole. Et ce n’est pas tout, car au-delà la frontière… « Où s’arrêtera-t-on dans l’horreur ? » questionne Madeleine Jacob1 en parlant des camps de réfugiés en France. « C’est ici le bout de la nuit », dit-elle d’Argelès.

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Robert Capa, Réfugiés marchant sur la route entre Barcelone et la frontière franco-espagnole, 25-27 janvier 1939

Quel renversement des choses avec aujourd’hui cette invasion de l’Ukraine ! Quand les Brigades internationales venaient du monde entier pour défendre la liberté, la démocratie contre le fascisme, contre la dictature et que l’URSS était bien seule à soutenir les républicains. Les correspondants de guerre en Espagne s’interrogeaient déjà sur ce qui se préfigurait pour le monde à Carthagène, Tolède, Madrid, Barcelone et ailleurs. Marta Gellhorn l’énonçait sans ambages. « Les démocraties avaient deux obligations impératives : elles devaient sauver leur honneur en portant assistance à une jeune démocratie attaquée et elles devaient sauver leur peau en combattant immédiatement Hitler et Mussolini en Espagne, plutôt que de différer cet affrontement quand le coût en termes de souffrance humaine serait incroyablement supérieur. »2 Annie Bourguignon rappelle dans son article « Good bye Hamlet » le constat en Octobre 1936 de Nordhal Grieg : « le gouvernement espagnol légalement élu par le peuple s’est vu refuser des armes par les États démocratiques d’Europe ; les rebelles fascistes reçoivent tout l’équipement militaire possible de ceux qui partagent leurs opinions en Italie et en Allemagne. »

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Robert Capa, Madrid, 1936

Oui les images d’hier sont aujourd’hui encore les mêmes et nous les voyons tous les jours. Impacts de balles sur les murs, maisons dévastées, immeubles éventrés, écoles en flammes. Des étagères encore accrochées aux murs, un miroir, un fauteuil, des lits suspendus au-dessus du vide, des bouts d’escaliers. Il y avait ici des gens qui riaient de leurs blagues, des enfants à jouer au ballon, à la poupée ou occupés à bâtir des châteaux de sable. Ils chantaient, pleuraient, ils aimaient la vie, une vie dure certainement, mais une vie avec les leurs, chez eux. Ces hommes et ces femmes sortant hagards des caves, ces silhouettes errant dans les ruines, ces corps étendus sur le sol, n’accusent-ils pas ? Combien de survivants ici ? Et là-bas ? Ilya Ehrenbourg écrivait « la mort parcourt le pays » dans Regards en mai 1937. Après la Syrie et ailleurs, cette folie se crie en Ukraine. Comment certains peuvent-ils prétendre que les deux causes en présence se défendent de manière égale ? Nous avons entendu de tels propos, mot pour mot, sur l’Espagne ! Et comment est-il possible d’affirmer que nous ne savons rien de l’horreur qui se répand à notre porte ?

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Henri Cartier-Bresson, image issue du documentaire l’Espagne vivra, 1938, 44 minutes

L’histoire se répète, entendons-nous souvent. Mais jusqu’où ira-t-elle dans la négation de la culture, dans la barbarie et la destruction du monde ? Le documentaire d’Henri Cartier-Bresson en 1938 s’intitulait L’Espagne vivra. Reprenons-le ici. L’Ukraine vivra.                

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Europe, n°1118-1120, juin-juillet-août 2022. 20€

Retrouvez la revue ici

Notes de bas de page :

1 Messidor, 17 février 1939
2 Citation reprise de l’article de Paul Preston, « Reporters anglais et américains pendant la guerre d’Espagne », pp 65-77

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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