« François pensa: si elle commande un déca, je me lève et je m’en vais. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. On sent qu’on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire: chez les beaux-parents. Finalement, il se dit qu’un jus, ça serait bien. Oui, un jus, c’est sympathique. C’est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et équilibrée. Mais quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands classiques: évitons la pomme ou l’orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans être toutefois excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je l’épouse…
 – Je le vis prendre un jus… Un jus d’abricot, je crois, répondit Nathalie. 
Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité. »

 

À quelques jours de la sortie de l’adaptation cinématographique de ce livre par les frères Foenkinos, la lecture donne-t-elle envie de se jeter dans une salle de cinéma ? La réponse est oui.

Avant de commencer, sachez que cette histoire n’a rien d’extraordinaire. Elle est somme toute très banale et susceptible d’arriver à chacun de nous.
 C’est l’histoire de Nathalie, une jeune femme mariée à François. Leur amour file son petit bonhomme de chemin jusqu’un dimanche où François ne revient pas de son jogging. Renversé par une voiture. Coma. Décès. Dès lors, Nathalie va tenter de continuer sa vie comme elle le peut. Un jour, elle fait la connaissance de Markus sur son lieu de travail.

Où est l’originalité, le petit plus qui fait de l’ensemble un beau livre ? Il repose au sein de l’écriture et dans la façon dont l’auteur conte cette histoire.

Au début du roman, le deuil est exprimé non pas crument, non pas avec jugement, mais d’une façon très douce. Nathalie tente de s’en sortir en acceptant qu’elle ne reverra pas son mari. Très entourée par son entourage, chaque jour voit son lot de bonnes âmes qui viennent lui parler, la distraire. Difficile pour les proches d’imaginer que l’on peut se remettre doucement en restant seule. Oui, il faudrait qu’elle retravaille et non qu’elle végète. Mais comment fera-t-elle après une journée de travail normal, quand François ne sera pas là pour l’accueillir ?

Des mots simples, des réflexions touchantes, pour exprimer un désarroi, pour tenter de comprendre la reconstruction après une mort violente.

Tout au long des 209 pages du roman, le lecteur suit l’évolution de cette femme qui se réfugie dans le monde professionnel pour s’occuper l’esprit. La délicatesse : un titre tout à fait approprié, puisque les personnages autour d’elle font montre d’attentions délicates ou, au contraire, en sont dénués.

Les nombreux chapitres du livre sont souvent entrecoupés de didascalies telles que : Résultats de ligue 1 le soir où Charles comprit qu’il ne plairait jamais à Nathalie. Les petits riens du quotidien prennent un autre dimension à la faveur d’un évènement qui marque la vie d’une personne. C’est si juste que ces petits riens deviennent simplement lumineux passée l’insignifiance première.

Un roman d’une délicatesse magnifique. Certes, banal, mais ancré dans un quotidien qui pourrait être celui de chacun. C’est bien écrit et fluide dans l’enchaînement.

Marylin Millon

Non nous n’allons pas parler de l’adaptation cinéma mais bien du livre qui en est à l’origine et sorti il y a quelques années. L’idée était de comprendre comment une histoire à l’apparence aussi banale peut amener un succès puis une adaptation cinématographique.

Quand je dis banale, j’exagère à peine tant la bande annonce cinéma nous vend une histoire d’amour entre une jolie jeune femme sortant d’une dépression et un homme jugé moche par ses pairs. Le roman nous montre quelque chose d’un peu plus complexe que cette publicité simpliste. En effet, cette jeune femme est veuve et reprend son travail après une période de deuil. Son patron est amoureux d’elle et cédant à une pulsion elle embrasse un jour ce collègue suédois (joué par un Belge au ciné!! ) qu’elle ignorait totalement, comme tout le monde d’ailleurs.

C’est vite résumé et là encore, ça ne donne pas forcément envie, même à un amateur de comédie romantique (oui, il y en a aussi parmi le public masculin). En réalité, le livre est original dans sa forme plus que dans son fond. Les nombreux chapitres sont en effets entrecoupés par des listes, des classements, des remarques qui ont un lien avec le contexte et y rajoute une note d’humour tout en apportant un coté “journal”. Forme car ici, le narrateur est omniscient et même plus car il sait tout, sent tout, voit tout, bien plus que n’importe quel personnage. Alors il passe des pensées et actes de l’héroine à ceux de notre anti-héros ou même de ce satané patron.

Le succès de ce livre tient aussi dans le style employé et un certain talent pour les dialogues et les petits commentaires de ce narrateur. Mais à trop vouloir nous faire attendre, il y a quelques longueurs inutiles. Car une histoire d’amour, c’est des hauts, des bas, des attirances, des répulsions soudaines, de la découverte et de ce coté, on peut être un peu déçu. L’auteur se focalise finalement plus sur son héroïne, dont on sent qu’il en est lui même amoureux. Il en oublie un peu son opposé suédois, et donc l’opposition qui finalement n’en est pas une. Il traite plus du veuvage et de la rupture que d’autre chose et sous un dehors de comédie, il traite un drame. En cela, le livre (et donc le film) peut décevoir ou surprendre agréablement.

Ice

David Foenkinos, La délicatesse, Editions Gallimard (20 août 2009), 200 pages, 16€

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