Lancée en avril 2015 sur Netflix, Daredevil, dernière série TV en date de l’écurie Marvel revient sur la genèse de l’Homme sans peur. Oubliée la performance de Ben Affleck en 2003, c’est désormais au peu connu Charlie Cox d’endosser le costume du vengeur de Hell’s Kitchen (aveugle, comme le furent Homère et quelques autres grands poètes épiques) dans un feuilleton criminel d’une rare efficacité. Une réussite noire, sobre et servie bien frappée; idéale pour contraster avec la « canicule » de l’été.

Qui douterait encore, après autant d’adaptations, de la densité de l’univers Marvel ? L’univers des Super-héros ne cesse de prouver qu’il est capable de s’adapter à tous les genres – épique, comique, dramatique, etc. – et à tous les formats – bandes dessinées, blockbusters ou dessins animés. Celui des séries TV avait déjà été exploré. On se souviendra des (très) récents Agents of Shield ou Agent Carter. Mais jamais encore les studios n’avaient collaboré avec Netflix, le géant américain du format sérialisé. Jamais encore non plus l’univers Marvel ne s’était ouvert à ce genre particulier qu’est le Noir… Il faut dire qu’aucune des figures jusqu’ici (ré) adaptées ne se prêtait réellement au polar. Daredevil ouvre donc le bal et livre une série particulièrement sombre, aux rares concessions. Diablement percutant !

stan lee On y suit Matt Murdock (Charlie Cox), jeune avocat au barreau de New York, bien décidé à défendre la veuve et l’orphelin dans l’enfer urbain du quartier de Hell’s Kitchen. Un jeune avocat, plein de fougue et d’idéaux comme il y en a beaucoup, enfin pas tout-à-fait semblable … Devenu aveugle à neuf ans à la suite d’un accident de la route, sa cécité l’a doté de sens inouïs et d’une clairvoyance surhumaine, un don qu’il met à profit la nuit pour venger aux poings les victimes de Hell’s Kitchen, jusqu’à ce que se profilent derrière un inoffensif projet de reconstruction les sombres desseins d’une organisation criminelle. S’ensuit une course folle pour mettre à jour et neutraliser chacun des maillons du cartel, une entreprise suicidaire qui ne laissera d’autres choix à Matt, que d’accepter le démon qui l’habite et devenir Daredevil.

D’emblée, la série s’affiche sans compromis, et assume ce parti pris apocalyptique, sombre, et violent qu’elle n’abandonnera plus par la suite. Elle lâche son assistance au milieu des fauves, dans une banlieue malfamée, obscure et angoissante où il n’est pas un travers de l’âme humaine qui n’ait pas son courtier. On ne pourra s’empêcher de voir en Daredevil le Dark Knight de Marvel, et dans Hell’s Kitchen une autre Gotham, à ceci près que Matt Murdock n’est pas étranger à la ville qu’il veut défendre. Il y a grandi, il y vit et tout comme les meurtriers et les trafiquants qu’il empêche de nuire, il en a lui aussi été perverti. C’est définitivement à un public plus adulte que Marvel destine cette nouvelle série, car il faut savoir apprécier cet univers étouffant, glauque, presque gore, pour la suivre jusqu’au bout. daredevilLes concessions à l’humour et à la légèreté, portées par Foggy (Elden Henson) et Karen (Debora Ann Woll), les complices et amis de Matt Murdock, sont rares, mais salutaires dans cet univers, malsain, obscur et corrompu. L’esthétique de la série a de quoi rendre paranoïaque, mais ce réalisme violent propulsé dans l’univers fantasque de Thor, Hulk et consorts paradoxalement s’avère bienvenu. Il faudra reconnaître le travail effectué sur les décors, les costumes et surtout la qualité de la réalisation. Mention spéciale aux plans séquences qui enverraient se rhabiller plus d’un super-héros et laisse toute sa place à la subjectivité.

Mais ce qu’on appréciera surtout de cette nouvelle série, c’est le temps qu’elle consacre à multiplier les intrigues et à n’épargner aucun de ses personnages (à l’image du comics originel signé Stan Lee et Bill Everett). On les suit les uns après les autres, criminels ou justiciers, dans leurs erreurs et leurs interrogations, jouant chacun au mieux leurs cartes dans une partie de poker où toute erreur est fatalement condamnée.

Menaces et violences physiques sont omniprésentes, quoique (à l’instar du comics) judicieusement dosées pour laisser aussi toutes leurs places aux digressions psychologiques. Flashbacks et confessions offrent une intelligente dialectique entre présent et passé et révèlent toute la profondeur et les antagonismes de Daredevil et de son ennemi juré. Campé par un Vincent d’Onofrio exceptionnel, ce dernier personnage, dont le nom n’est pas immédiatement révélé, est traité avec une attention toute particulière qui nous ferait parfois oublier Matt Murdock et achève de donner à la série toute son intensité.

Sérieuse, mais jamais arrogante, la série Daredevil s’impose par son style comme une des plus grandes réussites des studios Marvel. On en viendrait presque à regretter que le format série ne se soit pas imposé dès le départ pour adapter sur écran les super-héros de bande dessinée.

Daredevil Série Marvel 2015 sur Netflix

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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