Quand la danse s’émancipe des codes et des contraintes pour circuler de corps en corps, cela donne Earthbound, un spectacle signé Johanna Faye et Saïdo Lehlouh visible au Théâtre National de Bretagne, du 12 au 21 octobre 2021. L’approche originale que les deux artistes entretiennent avec la danse hip hop permet à différents langages artistiques de cohabiter sur scène. Un plaisir visuel et sonore à découvrir.

Johanna Faye et Saïdo Lehlou sont deux danseurs issus du hip hop et membres de FAIR-E, un collectif à la tête du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne depuis janvier 2019, qui met au centre la diversité et l’individualité de chacun de ses artistes. C’est au duo que l’on doit les créations Iskio en 2015 et Fact en 2017, deux spectacles qui explorent la question de l’environnement, du corps et de l’espace, où la prise de parole devient alors possible dans le dialogue chorégraphique. Cette fois-ci, ils nous présentent Earthbound, une mise en scène riche et puissante où la musique et la danse explorent l’individualité de chacun et provoquent un échange entre différents langages artistiques. Une manière d’exposer toute l’étendue de la danse et de la musique hip hop.

Littéralement le terme anglais earthbound signifie ce qui est terrestre, ce qui se dirige vers la terre. Ici, Earthbound définit et illustre ce qui valorise la terre, ce qui est déjà existant et possède une richesse qui peut nourrir chacun d’entre nous. C’est ainsi que le perçoivent les deux chorégraphes qui souhaitent, à travers cette création, valoriser l’individualité de chaque membre. Cette singularité propre à chacun est une richesse qui nourrit l’ensemble, dans un dialogue cohérent alimenté par la danse et la musique.

« Cette rencontre entre dix interprètes soulève la vaste question contenue dans le titre : qu’est-ce qui nous appartient sur la terre ? Quelle beauté portons-nous en commun ? », présentation du spectacle.

Les sept danseurs au plateau sont issus de cultures et d’esthétiques très différentes. Ils se donnent la réplique, accompagnés de musiciens présents sur le projet. Ces derniers sont aussi des entités musicales et artistiques très distinctes. Earthbound les invite à se rencontrer et à raisonner le corps des danseurs qui évoluent sur scène.

Rester soi-même pour former une communauté

Avec cette envie d’exposer l’étendue du monde du hip hop, Johanna Faye et Saïdo Lehlou célèbrent cette diversité des danses qui s’adaptent et évoluent en fonction de la musique. Car danse et musique sont étroitement liées, raison pour laquelle cette création va de pair avec la présence de musiciens qui donnent corps à ces réflexions.

Pour leur exploration, les chorégraphes sont allés puiser leur inspiration auprès de danseurs qui explorent les différents styles de la danse dite hip hop, en référence à son genre singulier et son évolution. « Au plateau, il n’y a pas un style de danse, mais plusieurs gestes qui se confrontent, s’écoutent, apprennent à se défier tout en se respectant », est-il précisé dans la présentation du spectacle. Chacun avec ses singularités, les danseurs se caractérisent par cette envie et ce désir d’explorer les nuances de ce genre particulier.

On en trouve l’exemple avec la danseuse Mounia Nassangar, issue du waacking (une forme de danse née au début des années 70 dans les clubs gay et afro-latino de Los Angeles) et du voguing (autre forme de danse qui nait 10 ans après le waaacking dans les années 70). Elle déambule dans l’espace aux côtés d’Alesya Dobysh, une danseuse russe venant de la culture house et qui pratique le house dance, mais aussi le UK jazz (danse appelée en France Jazz rock). Les styles s’affrontent et s’harmonisent. Les corps bougent, prennent vie, s’animent et tout prend sens grâce à cette dualité et cette confrontation nécessaire à l’harmonie collective.

« Il y a trois musiciens mais parfois ils disparaissent et c’est trois danseurs qui composent », explique Saïdo lehlou

La danse prend forme sous l’impulsion de la musique comme la musique est une composition née sous la plume des danseurs qui écrivent leurs propres partitions. C’est pour cette raison que certains musiciens sont aussi danseurs. Une manière de souligner la pluridisciplinarité des interprètes ainsi que le caractère indissociable de la danse et de la musique. C’est le cas de Mackenzy Bergile, danseur hip hop qui possède une notion du mouvement contemporain très forte dans sa pratique et sa réflexion musicale et chorégraphique. Sa présence permet la réflection des corps dans sa musique et met en exergue la relation de chaque interprète et à la danse et à la musique. L’équilibre est apporté par la présence Adrien Kanter et son utilisation de la guitare. Il ouvre, grâce au caractère universel de cet instrument, une porte d’entrée qui permet à tous d’accéder à la musique et de former un corps engagé autour des danseurs qui se déploient sur scène.

La puissance de la chorégraphie puise dans un processus à la fois de composition personnelle, mais aussi de responsabilité collective. C’est dans cette perspective que Johanna Faye et Saïdo Lehlou accompagnent et entourent tous les danseurs et musiciens qui prennent part au projet. Ils veulent que chacun perçoivent ce projet comme la possibilité d’accepter ses ressentis et ses émotions. Un questionnement qui est nécessaire au vue du chemin parcouru ensemble. Il faut, selon le jeune chorégraphe, « déranger les pensées ». Il le place dans la perspective d’une période à la fois intéressante et compliquée pour le milieu artistique, où il a fallu repenser le rapport à la scène et se réapproprier l’espace scénographique. Ces deux dernières années ont amené les artistes à se questionner sur le fonctionnement d’un système et sur leur désir et leur motivation à monter sur scène. C’est pour cette raison que Earthbound interroge aussi ses interprètes. Il les pousse à redonner sens à leur présence sur scène, dans un cadre ou le retour à espace libre d’expressions peut se montrer compliqué.

Avec ce spectacle, les deux chorégraphes veulent que chacun se sentent libre de s’exprimer, selon ce qu’ils souhaitent vivre et ne pas vivre. Cela permet de briser les frontières grâce à la musique et de libérer les corps pour créer un ensemble collectif, « une humanité vivante et vibrante. »

  • spectacle de danse ccnrb
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Un spectacle à retrouver au Théâtre National de Bretagne, Salle Gabily

Durée 1h

SAIDO LEHLOUH

AGENDA

Earthbound de Johanna Faye et Saïdo Lehlouh

Du 12 au 21 octobre (relâche 17, 18)

Théâtre national de Bretagne salle Gabily (TNB hors les murs) Rue Jean-Marie Huchet, Rennes

Mardi 12 octobre – 20h00

Mercredi 13 octobre – 20h00 

Jeudi 14 octobre – 19h30 

Vendredi 15 octobre– 20h00 

Samedi 16 octobre – 15h00

Mardi 19 octobre– 20h00 

Mercredi 20 octobre – 20h00 

Jeudi 21 octobre– 19h30

*

Autres dates :

23 > 25.02.2022 : Kampnagel, Hambourg 

09.04.2022 : Points communs, Cergy-Pontoise

Johanna Faye

Trouver un terrain d’entente par le mouvement : voilà une des préoccupations qui traversent le geste créatif de Johanna Faye. Par le langage non verbal, la chorégraphe ouvre une conversation qui trouve sa source dans ses inspirations plurielles, où le rapport au sol issu de sa pratique du b-girl côtoie la verticalité
et l’approche sensible de la danse contemporaine. Aux côtés de Saïdo Lehlouh, avec qui elle compose la Cie Black Sheep, Johanna Faye explore, en duo dans Iskio, dans la masse pour Fact, et en le trio dans Afastado Em, un monde dans lequel l’environnement, humain comme matériel, conduit les êtres mouvants à dessiner de nouveaux contours à leurs interactions.

Saïdo Lehlouh

Au milieu des années 90, le b-boying parisien fait éclater aux yeux du monde une nouvelle vision du breakWildCat, premier essai chorégraphique de Saïdo Lehlouh met en lumière ce style qui se distingue par sa fluidité et sa « finesse » propre au félin. À travers l’apprivoisement du sol, « Darwin » conduit la recherche continue d’un vocabulaire corporel approprié à l’instant. Aux côtés de Johanna Faye, avec qui il compose la compagnie Black Sheep, Saïdo Lehlouh explore dans Iskio, puis Fact, les possibilités de prise de parole dans le dialogue chorégraphique. En 2019, Apaches, performance à géométrie variable, organise et met en rythme les corps dans un espace de passage où les énergies et l’intention de sincérité constituent un propos en soi.

Avec le collectif FAIR-E, Johanna Faye et Saïdo Lehlouh codirigent le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis janvier 2019.
Un lieu ouvert à de nouvelles formes de circulation, d’itinérance, de partage,
qui rapprochent les auteurs, les œuvres et les habitant·e·s. Un lieu précurseur
et novateur dans le faire et dans l’usage, à l’image du monde de demain, en prise direct avec le réel pour faire de la Bretagne la caisse de résonance internationale de la vitalité et de la créativité de la danse.

DISTRIBUTION

Chorégraphie :

Johanna Faye, Saïdo Lehlouh Inteprétation : Kaê Carvalho, Jerson Diasonama, Alesya Dobysh, Kaide Gonzalez, Mounia Nassangar, Filipe Francisco Pereira Silva, Lumi Sow
Musique : Mackenzy Bergile, Adrien Kanter, NSDOS, Lumi Sow
Lumières : Cyril Mulon
Son : Yoann Mazier
Costumes : Laure Maheo & Johanna Faye

PRODUCTION

Collectif FAIR-E / CCN de Rennes et de Bretagne
Coproduction :
Théâtre de la Ville-Paris, La Villette-Paris, le TNB Théâtre National de Bretagne, L’Onde Théâtre centre d’art, Vélizy.
Avec le soutien de DanceXchange & Birmingham Hippodrome, le CCN de Nantes et la Maison de la Danse, Lyon.
Texte : Thomas Hahn, programme du Théâtre de la Ville-Paris
Photos : Timothée Lejolivet (couverture), Marian Adreani (portraits)

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