Mardi 4 février 2020, le festival Waterproof invite la chorégraphe Anne Nguyen (Compagnie par Terre) sur la scène du Triangle – Cité de la danse. Une occasion de découvrir sa nouvelle création, À mon bel amour. Entre krump et danse contemporaine, popping et waacking, huit danseurs virtuoses convoquent leur individualité dans un défilé de mode singulier. Entretien avec la chorégraphe.

danse anne n'guyen
La chorégraphe Anne N’Guyen © Philippe Gramard

Unidivers – Dans votre travail, les gestuelles du break et des arts martiaux se mettent au service d’une écriture contemporaine. De quelle manière avez-vous réalisé la transition entre l’univers break et celui de la création contemporaine au plateau ?

Anne Nguyen – J’ai commencé le break pendant mes études, en 1998. Après trois ans de pratique, j’ai commencé à auditionner et à être interprète pour des compagnies de hip hop et de danse contemporaine, notamment pour la compagnie Black Blanc Beur ou le chorégraphe Faustin Linyekula.

J’écrivais également un journal de bord poétique à cette période, Le manuel du guerrier de la ville. Ces textes d’analyse de la danse abordent l’état d’un danseur en mouvement, la relation du corps à l’architecture, etc. Faustin a trouvé l’approche intéressante et m’a incité à chorégraphier un solo autour de ces poèmes. Racine Carré est né peu de temps après (2005).

Je ne pensais pas devenir chorégraphe, ni diriger des danseurs. J’aime particulièrement le freestyle et l’univers du break crée des individualités fortes, les danseurs n’aiment pas forcément être dirigés. Cependant, un groupe de danseurs s’est rapproché de moi pour les aider à donner une ambiance plus scénique à leur spectacle, Keep it Funky ! (2007). À partir de ce moment, je ne me suis plus arrêtée et j’ai continué à réaliser des chorégraphies.

Unidivers – Votre formation scientifique nourrit aussi votre approche de la scène. Grâce à des principes mathématiques et géométriques, vous composez des motifs de danse dans un espace différent de celui du break. De quelle manière pensez-vous la scène ?

Anne Nguyen – Cette réflexion m’accompagne depuis Racine Carrée. Le break est une forme de danse circulaire, centrifuge et individuelle. Il se danse sans frontalité, sans interlocuteur ou partenaire de danse. Cette dimension circulaire est présente même dans les battles, face à un adversaire. Habiter un espace circulaire et un espace carré sont deux approches différentes et j’ai moi-même été confrontée à cette difficulté. En tant que breakeuse, j’entrais sur scène pour un passage de danse circulaire habituel, puis une mise en scène théâtrale justifiait mes déplacements et ainsi de suite. L’objectif de Racine Carrée était de montrer les possibilités de déplacements avec le break sans avoir à justifier sa présence sur scène. Je me suis interrogée sur la manière de transformer le cercle en carré ou le centrifuge en ligne, à l’image d’une opération mathématique de base qui transforme le break.

anne n'guyen promenade obligatoire
Promenade Obligatoire, Marche pour huit poppeurs – Création 2012 © Philippe Gramard

Unidivers – Avec votre dernière création À mon bel amour (pour la première fois sur scène en octobre 2019 au Théâtre de Bretagne à Rennes), vous vous intéressez au « geste comme symbole, au mouvement comme besoin primaire et à la scène comme lieu de partage privilégié ».

Anne Nguyen – Chaque création aborde une discipline du hip hop en particulier – le break avec Yonder Woman et Kata, le popping avec PROMENADE OBLIGATOIRE et bal.exe – en utilisant toujours la technique en point de départ. Ces premières réflexions m’ont amené à découvrir les symboliques ancrées dans chaque style de danse. Que signifie t-il réellement ? La mise en scène, les principes géométriques et chorégraphiques subliment ce sens.

J’aime pousser la technique jusqu’à ses retranchements, permettre aux interprètes de transformer la gestuelle, en restant dans une certaine pureté, sans l’hybrider avec d’autres styles de danse.

À mon bel amour est construit différemment. Il aborde l’intention de la danse avant la technique. J’ai cherché à travailler la danse comme symbole universel avec cette idée de partir de la naissance du mouvement dans l’intention. J’ai traité divers styles au travers de leurs représentations en utilisant l’image du défilé de mode, antinomique à l’univers des danses hip hop. Il n’y a pas de côté démonstratif et déambulatoire dans le hip hop, c’est plus intime. M’aventurer sur ce terrain inconnu m’a permis de me demander de quelle manière ce principe pouvait justement traverser la danse hip hop, mais aussi d’autres disciplines. Dans l’idée, il était question de donner les mêmes contraintes aux danseurs et de voir les points communs entre les danses, ce qui les lient et de quelle manière elles peuvent se compléter.

Cette nouvelle création utilise les danses hip hop, mais aussi la danse classique, contemporaine ou le krump ; des danses avec un travail important de postures et de significations des gestes afin d’interroger la danse elle-même. Vient-elle du symbole de l’envie de transmettre, de l’envie de parler ? Qu’est-ce que le symbole et comment construit-il la danse ?

Unidivers – À partir d’une danse, chaque danseur développe son propre style en y apportant une singularité. À mon bel amour révèle les individualités des interprètes autant en solos, en duos qu’en groupes. Il s’agit d’interroger la place de l’individu, mais également la place de chacun au sein d’un collectif au final…

Anne Nguyen – Le sujet de l’individualité anime mes créations depuis le début, même quand huit breakeurs sont au plateau. Je veux que chaque interprète soit différent. À mon bel amour rassemble des danseurs aux styles différents et atypiques, un peu à la manière d’une expérience sociale : je les oblige à interagir, compose ensemble afin de voir s’ils conservent leur individualité. L’imprégnation des autres est-elle si forte qu’ils finissent par se ressembler ? Le collectif permet-il de rester soi-même ou au contraire, la dynamique de groupe efface t-elle les singularités de chacun ? Ce spectacle tend à montrer qu’il n’est pas nécessaire d’oublier son identité pour interagir avec d’autres personnes. Plus on se connaît, plus on s’affirme et il est ainsi plus facile de s’exprimer au sein d’un collectif sans perdre sa voix.

Cette création met en scène un collectif où chaque interprète affirme sa place et tient un rôle au sein du groupe. Leurs différences fait leur force, car ils sont complémentaires. S’il s’agissait d’un collectif de breakeurs à la technique identique, À mon bel amour raconterait une autre histoire et ce n’est pas ma vision de la danse et de l’art. Il est possible de trouver une unité dans la diversité.

Mes interprètes sont des danseurs aux personnalités fortes, je ne cherche pas à les uniformiser. C’est à l’opposé de ma définition de l’art.

anne n'guyen danse
A mon bel amour, création octobre 2019 © Patrick Berger

Unidivers – Avec cette référence au défilé de mode et au monde cinématographique, il est également question de beauté. La beauté n’est-elle pas subjective, culturelle et propre à chacun selon sa perception du monde ?

Anne Nguyen – Qu’est-ce que la beauté ? C’est la grande question. Existe t-il des critères universels propre au sublime ? Très peu de personnes donneront la même réponse. Si je devais répondre personnellement à la question, je dirais que c’est le cas. Je pense qu’il existe un principe profond, quasi transcendantal relatif au beau et au sublime.

danse anne n'guyen
A mon bel amour, création octobre 2019 © Patrick Berger

Biographie d’Anne Nguyen (issue de l’espace pro du site de la compagnie) :

Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, lauréate du Prix Nouveau Talent Chorégraphie SACD 2013, Anne Nguyen a été artiste associée à Chaillot – Théâtre national de la Danse de 2015 à 2018. Racine Carrée, Yonder Woman, PROMENADE OBLIGATOIRE, bal.exe, Autarcie (….), Kata, À mon bel amour… Les titres des spectacles d’Anne Nguyen évoquent ses multiples influences : les mathématiques et les arts martiaux mais aussi les utopies et les mythes. Elle se destine à une carrière dans le domaine de la physique, mais abandonne cette perspective quand elle découvre le monde du break et des battles. C’est d’abord en écrivant qu’elle exprime sa volonté de libérer l’esprit par le corps, avec les poèmes du Manuel du Guerrier de la Ville. Elle chorégraphie son premier solo, Racine Carrée, autour de ces poèmes. Ses chorégraphies subliment l’essence des différentes danses hip-hop : le break avec Yonder Woman et Kata, le popping avec PROMENADE OBLIGATOIRE et bal.exe. Elles portent une réflexion sur l’idée du collectif, à travers le quatuor féminin Autarcie (….) ou la pièce de groupe À mon bel amour. Anne Nguyen associe une gestuelle brute et virtuose à une écriture chorégraphique géométrique, déstructurée et épurée, qui exalte le pouvoir de l’abstraction.

En parallèle de ses chorégraphies, Anne Nguyen écrit, met en scène et chorégraphie des spectacles de danse-théâtre où elle fait de la danse hip-hop le support d’une réflexion plus large sur notre société. Le Procès de Goku, créé en 2020, aborde le thème de la propriété intellectuelle. Le diptyque Héraclès sur la tête et Phallophorie, prévu pour 2021/2022, s’articule autour de l’adoption du break aux futurs Jeux 2024. Anne Nguyen est régulièrement sollicitée pour son expertise sur la danse hip-hop. Depuis 2012, elle enseigne un atelier artistique sur la danse hip-hop à Sciences Po Paris. Convaincue de la valeur positive de la danse dans la société, elle crée en 2016 Danse des guerriers de la ville, un parcours d’installations interactives qui offre au public une immersion numérique et physique dans l’univers de la danse hip-hop.

À mon bel amour, d’Anne Nguyen. Mardi 4 févr. 2020 à 20h30 – Le Triangle
(durée 1 h)

Distribution
Chorégraphie : Anne Nguyen
Danseurs : Sonia Bel Hadj Brahim (waacking, popping), Arnaud Duprat (popping), Stéphane Gérard (voguing), Pascal Luce (popping, locking, waacking), Andréa Moufounda (danse contemporaine), Sibille Planques (danse contemporaine), Emilie Ouedraogo (krump), Tom Resseguier (danse classique)
Musiques originales : Jack Prest
Stylisme : Manon Del Colle
Création lumière : Ydir Acef

Compagnie par Terre

Festival Waterproof

Tarifs
12€ tarif unique
8€ waterpass
4€ SORTIR !
Billetterie

Article précédentFESTIVAL WATERPROOF. CULTURE CLUB DANSE AU CCNRB DE RENNES
Article suivantDICTIONNAIRE DE MOTS CHOISIS POUR EMBELLIR VOS CONVERSATIONS

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici