L’inconnue est la mère de Cyril Roger-Lacan, fauchée à 36 ans sur une route du Var en 1973. Depuis ce jour, son fils, orphelin inconsolé, traverse « le pays du deuil ». Un livre bref et bouleversant, d’une poésie dense, pure et éclatante comme le diamant.

L'INCONNUE CYRIL ROGER LACAN

Ce mince récit s’ouvre sur la déambulation, ou l’errance, d’un fils perdu dans le cimetière du Montparnasse, à la recherche, plusieurs années après sa disparition, de la tombe de sa mère, Caroline Roger-Lacan, fille de l’illustre psychanalyste, tuée par un chauffard un jour de mai 1973 sur une route du sud de la France. Cyril avait neuf ans et « l’empreinte de la stupeur » qui a saisi alors le fils n’a cessé de laisser sa trace, après ce jour de noir printemps ouvrant sur le vide abyssal de l’absence, l’incommensurable douleur et l’infini « pays neigeux du deuil ».

Cyril, à tout jamais, se sentira « comme un intrus dans ce monde qui bruisse autour de lui », un monde où « la mort a posé ses scellés sur tout ce qui sera désormais », un monde devenu « cathédrale inhabitable », un monde où une femme ne sera plus son soleil, disparu à jamais, « lumière d’une étoile éteinte », un monde où « un bibelot insignifiant, s’il parle d’elle, devient une relique ».

Ce texte, bref, d’un homme anéanti de chagrin est un chant et une prière, un poème en prose, précieux et sombre comme un diamant noir, pur comme le cristal. C’est là toute première fois que l’auteur, cinquantenaire à présent, prend la plume pour parler de celle qui fut la femme de sa vie. Pourquoi avoir tant attendu pour traduire cette infinie tendresse, cette tristesse « sans contours » avec des mots dont la beauté nous éblouit, nous autres, lecteurs admiratifs, émerveillés de découvrir un trésor d’écriture, joyau unique dont on se prend et surprend à lire et relire à haute voix nombre de ses courtes pages ? Qu’importe cette question après tout.

L’important est ce livre, fait de la cendre du chagrin et du souvenir, « matière même d’une vie » désormais, un livre inoubliable de douceur et de douleur dont Cyril partage le fardeau avec Malou, sa grand-mère, « longue Antigone vieillie, aux yeux d’un éclat tendre. Le bord des larmes, tout proche, s’y laissait deviner. En eux elle accueillait sa fille disparue, et la conque de cette étreinte vibrait de l’immense écho des heures perdues, des heures pleurées, ressac où le souvenir entrait comme l’orage ».

Jacques lacan
Jacques lacan (1901-1981)

Petit-fils de Jacques Lacan, Cyril Roger-Lacan, comme son grand-père, a cherché l’intime et le mystère lui aussi, mais à sa manière, autrement plus douce, avec ses mots infiniment poétiques, dans la musique d’un voyage d’hiver schubertien, et cette grâce, comme chantait Mallarmé, enivrée « d’un parfum de tristesse ».

Ma vie de la tienne s’éloigne comme l’onde née du choc. Parfaitement circulaire, elle entame ce voyage dont la forme, désormais, doit tout à l’accident. Un rivage un jour l’arrêtera et ce sera la fin, la mienne, la tienne en moi, mais il ne paraît pas : l’onde ne joint aucun bord, elle court, inaperçue de tous, sur le lac qui s’étend à perte de vue, portant seule, dans son dessin, la mémoire de ce qui fut.

Tout est dit, de la séparation et de la perte.

L’inconnue de Cyril Roger-Lacan. Éditions Grasset. Octobre 2018. 93 pages. 12 €.

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