Décès, réanimations, hospitalisations et guérisons. Depuis plusieurs semaines, la vie des Français est rythmée par l’annonce des chiffres quotidiens, révélateurs de la progression de l’épidémie du Coronavirus. Mais, comprendre des chiffres, souvent isolés les uns des autres, est complexe. Christian Caoudal, consultant en management et systèmes de pilotage, et professeur à l’Université de Bretagne Sud réalise et publie des graphiques. En donnant cette nouvelle vision chiffrée de l’épidémie, il prône depuis le début un dé-confinement par région… Alors que la sortie de confinement apparaît à l’horizon – lundi 11 mai 2020, – le plan du Premier ministre Edouard Philippe semble finalement suivre cette direction. Entretien avec Christian Caoudal et état des lieux du dé-confinement par région proposé dans le plan du Premier ministre.

Christian Caoudal
Christian Caoudal

Ma déformation professionnelle m’incite à toujours regarder les choses différemment, particulièrement lorsque l’on parle de chiffres, d’analyse de données et de mise en place de système d’aide à la décision.

Unidivers – Vos graphiques sont réalisés à partir des sources officielles du Ministère et les sources démographiques. Quel regard avez-vous porté sur ces chiffres pour la conception des graphiques ?

Christian Caoudal – Dés le début de l’épidémie, les informations et commentaires m’ont interpellé. Les données étaient souvent relayées à l’état brut sans contextualisation. Il n’était question que de variations tel que 100 morts de plus par jour, 100 cas de plus, etc. Ces chiffres en tant que tels n’ont aucune valeur, car aucune notion sur ce qu’ils signifiaient était donnée. J’ai commencé à regarder les complémentarités pour réaliser des graphiques afin que les chiffres soient plus révélateurs des évolutions de l’épidémie.

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Graphique et statistiques avec données du 23 mars 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Unidivers – Vos premiers graphiques montrent les taux de concentration et les taux de progression afin de rendre compte de la situation et des évolutions justement. Comment expliquer simplement la lecture des chiffres ?

Christian Caoudal – Le taux de concentration parle plus facilement aux gens. Les chiffres semblent plus abordables si l’on part d’une base de 100 000 habitants plutôt qu’un million : 100 000 équivaut à l’agglomération de Lorient ou de la ville de Brest, des villes à taille humaine. De cette manière, on est plus à même de se rendre compte de l’échelle. Par exemple, 50 cas et 2 décès sur 100 000 habitants signifient une cinquantaine de personnes infectées et 2 décès sur l’ensemble d’une grande ville comme Brest. Ces chiffres sont de suite plus parlants. En comparant ensuite les taux de concentration, on constate les décalages entre certaines régions comme la Bretagne et le grand Est, le cœur de l’épidémie pendant longtemps.

Cette approche a également permis de comprendre pourquoi des hôpitaux étaient débordés (le Grand Est) contrairement à d’autres (la Bretagne). Point qu’il est parfois difficile à approcher sans toutes les données à portée de main. Moi-même je ne comprenais pas au début, car des connaissances issues du milieu médical déclaraient que la capacité de leur lieu n’était pas arrivée à saturation.

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Graphique et statistiques avec données du 23 mars 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Unidivers – En France, 168,62 cas de coronavirus étaient recensés sur 100 000 habitants il y a une semaine contre 204,5 lundi 13 avril 2020 (source). Que révèlent ces chiffres sur la progression de l’épidémie dans l’hexagone ?

Christian Caoudal – Quand on parle de taux de progression, le suivi de la variation quotidien est fondamental. Si l’on observe une région avec un taux de variation inférieur à 10 %, disons entre 5 et 10 %, ce taux multipliera son nombre total par deux au bout d’une semaine selon l’élément suivi – personnes en réanimation, hospitalisées, infectées, etc. S’il monte à 15 % il aura multiplié par 3, à 20 % par 4 ou 5 et ainsi de suite. C’est justement ce qui a été constaté pendant les trois premières semaines.

Suivre plusieurs régions pendant une dizaine de jours m’a permis de voir leur progression : les nombres de cas étaient plus ou moins identiques, mais le niveau d’alerte différent d’un point de vue sanitaire. Avec des taux quotidiens relativement stables, mais qui les pénalisaient énormément, la courbe – au niveau du nombre d’infectés – a progressé de manière affolante une semaine après. C’est ce que l’on appelle la notion d’exponentielle. Ce n’est pas tant la démultiplication au fur et à mesure qui était en jeu, mais plutôt le taux de progression quotidien qui était beaucoup trop important.

J’ai suivi ce taux afin de voir quand la courbe deviendrait descendante. À partir de moins de 5 % (le point d’inflexion), il y a une inflexion de la tendance et on arrive à ce que l’on appelle le phénomène de plateau, notion évoquée régulièrement ces derniers temps. Arrivé à ce point, le taux s’équilibre petit à petit. Au-delà de 5 %, la courbe continue d’augmenter. On se trouve alors dans une progression que l’on appelle à tendance « géométrique » en statistiques et exponentielle, soit une démultiplication permanente de la courbe. C’est ce qui est inquiétant.

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Graphique et statistiques avec données du 23 mars 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Une semaine après le confinement, trois groupes de régions étaient facilement identifiables :

– un premier groupe avec une tendance exponentielle extrêmement inquiétante : Grand Est, Ile de France et Bourgogne Franche-Comté,
– un second groupe à l’inverse avec une tendance « arithmétique » et linéaire, pas inquiétante : la Bretagne, la Corse et la Nouvelle-Aquitaine.
– un troisième entre ces deux ensembles : les autres régions, proches en chiffres du premier groupe ou au contraire du second.

Le point d’inflexion a été atteint il y a une dizaine de jours. Depuis, la tendance s’est inversée en nombre d’hospitalisations et de réanimations.

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Graphique et statistiques du 13 avril 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Unidivers – La Bretagne enregistre les plus faibles taux régionaux. Un plateau a été atteint il y a deux semaines avant une nouvelle inflation, légère, le 6 avril 2020. Quelle analyse est-il possible de faire à partir de ces données ?

Christian Caoudal – Deux « poussées » ont en réalité été constatées en Bretagne. La première, dès le début du confinement et la seconde, au moment des vacances de la zone C. À l’origine, la Bretagne avait une variation quotidienne relativement faible, mais un pic a eu lieu cinq jours après le début du confinement – mardi 17 mars 2020.

J’ai préféré rester prudent quant à la corrélation directe entre les mouvements de population de la capitale et l’arrivée en masse sur les côtes bretonnes, car ce n’était peut pas justifié. Malheureusement, un nouveau pic a été constaté il y a une semaine (début des vacances de Pâques de la zone C, le 4 avril 2020). Selon les habitants de la côte, les transferts ont eu lieu entre le mercredi 1er et jeudi 2 au soir. Il s’est avéré que le deuxième pic est arrivé justement cinq jours après le jeudi soir. Les chiffres ont de suite révélé ces nouvelles arrivées et ont permis de confirmer la corrélation… Le palier apparaît nettement et permet de montrer l’incidence entre les déplacements de la population des zones sensibles comme l’Île-de-France – aujourd’hui la plus infectée – vers des zones moins touchées comme la Bretagne. C’est flagrant avec notre région à cause de l’importance du décalage, mais ça l’est moins avec la Nouvelle-Aquitaine, les Pays de la Loire et la Normandie.

Ce genre de comportements se comprend. Selon moi, les politiques auraient pu anticiper. Nous avons assisté à une première vague de départs au début du confinement, même sans boule de cristal il était facile savoir que ce type de comportements se renouvellerait.

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Unidivers – Les médias, notamment télévisés, assomment de chiffres (hospitalisations, réanimations, décès), mais au début très peu diffusait le taux de guérisons. Selon vous, que dit la diffusion des chiffres sur la politique d’information des Français ?

Christian Caoudal – Je vais être clair, les informations positives n’intéressent personne. J’ai longtemps hésité à diffuser des données positives, car dans le contexte actuel, la publication de ce genre de données attise plus la critique que le soulagement : «  ce n’est pas bien, il faut continuer le confinement, etc. ». Personne ne m’aurait cru. J’ai fini par publier les articles après avoir hésité une semaine, car le niveau d’inquiétude était élevé même en Bretagne qui se trouve dans une situation privilégiée. C’est une région relativement épargnée par la crise, mais les personnes étaient polluées par les infos nationales où la synthèse des cas les plus morbides passait en boucle. J’étais en permanence en train de rassurer mon réseau amical.

D’autre part, j’ai fait le choix de ne pas intégrer les cas de guérisons, car trop positifs. Les inversions de tendances et les plateaux sont déjà difficiles à accepter alors si les graphiques démontraient une nette amélioration de la situation, on allait me tomber dessus. Je les avais, mais je n’en ai pas tenu compte. Ils m’ont simplement permis de confirmer les tendances.

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Graphique et statistiques du 13 avril 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

La crise a révélé tout un type de comportements, notamment un : si vous diffusez des données objectives, vérifiées et indiscutables, vous ne changerez pas le point de vue d’une personne qui a une conviction profonde. Quand vous expliquez que le coronavirus a provoqué 100 décès la semaine dernière, 90 en début de semaine et 80 aujourd’hui, ces personnes trouveront le moyen de vous contredire en mettant en doute les chiffres eux-mêmes. Moi-même, je suis resté prudent alors que mon seul but est de donner de l’information.

Un exemple assez drôle : le Président du Conseil Régional de Bretagne Loïg Chesnais Girard a fait un facebook live il y a quelques jours. Par chance, la première question à laquelle il a répondu était la mienne. J’interrogeais sur la régionalisation de l’analyse et demandais si, à la fin de confinement des mesures régionalisées pourraient être envisagées. Non seulement, ma question a été mal comprise, mais la réponse a montré une vraie crainte que les gens changent leurs habitudes dans le confinement… alors que je parlais de la phase d’après ! La question a donc été traitée plus par rapport à des habitudes de fonctionnement sur le sujet.
 
La période actuelle est très intéressante, elle permet de voir les réactions par rapport à des informations objectives qui sont souvent interprétés comme des avis, comme si nous ne savions plus faire la différence entre les 2.
 
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Graphique et statistiques du 13 avril 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Unidivers – Au début de l’épidémie, le Morbihan était le département le plus touché. Au mardi 13 avril 2020, la Bretagne recense 496 cas dans le Morbihan, 377 dans le Finistère, 414 en Ille-et-Vilaine, 223 dans les Côtes-d’Armor, 107 non résidents Bretons et 60 à la localisation inconnue.

Christian Cadoual – Il m’est difficile de vous répondre en détail, car je suis parti du niveau européen vers une approche régionalisée. Par contre, ce qui est intéressant au niveau départemental c’est la réduction en proportions – pas en nombres – de l’écart entre le Finistère et le Morbihan. Au début, nous étions sur un rapport de trois si je me souviens bien pour le nombre de personnes infectées entre ces deux départements, aujourd’hui on est plus sur une proportion de 30 %.

Habitant le Morbihan, j’ai constaté très tôt la prise de mesures. Les cours que je donne en groupe à l’Université (en Licence & Master à l’Université de Bretagne Sud et à la Chambre de Commerce du Morbihan) en ont été affectés. Les attitudes me paraissaient exagérées, mais je me trompais, ils ont eu raison de réagir aussi vite. Grâce à ces mesures, la Bretagne ne s’est pas retrouvée avec un département ultra infecté et d’autres aux capacités de réanimation quasi vide. Le département a bien réagi et a su maintenir le niveau. Aujourd’hui, il est un peu plus touché, mais globalement les chiffres sont proches les uns des autres.

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Graphique et statistiques du 13 avril 2020 © Christian Caoudal – Ajila Conseil

Unidivers – Il y a quelques jours, le déconfinement du pays par région était une des hypothèses avancées. Selon vous, l’idée d’une gestion de la crise au niveau régional n’est pas à négliger afin d’endiguer l’épidémie plus rapidement.

Christian Caoudal – En effet, je milite pour cette solution depuis déjà un mois. Pour une raison simple : dès la première quinzaine de mars, de grandes différences ont été constatées selon les régions. Certaines augmentaient de 1,6 ou 1,8 leur nombre de personnes infectées et d’autres par 5. Nous ne sommes pas dans les mêmes comportements à analyser.

Avec les dernières données publiques (mardi 14 avril 2020), j’ai dressé une cartographie européenne pour comparer le nombre de décès par pays et par région française. Depuis un mois, on vante les mérites de l’Allemagne sur la gestion de la crise avec 38 décès par million d’habitants, soit 10 fois moins que l’Espagne, 380 dphm. Avec la Belgique (353 dphm) et l’Italie (333 dphm), ces trois pays sont les zones les plus touchées en Europe. Si on s’attarde maintenant sur les régions en France, la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine sont respectivement à 39 dphm et 32 dphm, un chiffre égal à celui de l’Allemagne. En comparaison, la région Grand Est est à 382 dphm, soit le même niveau que l’Espagne.

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Ma question est simple : l’Espagne et l’Italie gèrent-ils leur politique de la même manière que l’Allemagne ? Pas du tout. L’Italie du Nord et l’Italie du Sud sont-elles gérées de la même façon ? Absolument pas. En France, on gère l’épidémie sur l’ensemble du territoire alors que l’arc atlantique a des taux égaux à celui de l’Allemagne – même meilleur pour l’Aquitaine, car elle n’a ni été testée en masse, ni pris de précautions particulières supplémentaires. Ils ont maîtrisé l’épidémie, mais les mêmes règles sont imposées… je ne comprends pas. C’est un mystère. Les conséquences économiques, sociologiques et psychologiques futures sont aussi à prendre en compte dans cette crise.

Selon moi, et ce n’est que mon avis, il aurait été bienvenu de peut être commencé à lancer une démarche de sortie du confinement de manière régionale. Au vue du discours du Président Emmanuel Macron, ce n’est pas la voie choisie. Pourtant les chiffres parlent d‘eux-mêmes. Les situations ne peuvent être gérées de la même manière.

Unidivers – Je vous remercie Christian Caoudal.

MISE A JOUR DU 30 AVRIL 2020

« Vivre avec le virus, agir progressivement, adapter localement, voila les trois principes de notre stratégie nationale  », Édouard Philippe

Depuis plusieurs semaines, des équipes travaillent sur la question d’un dé-confinement territorialisé en fonction de l’impact de la pandémie. De « probable, et je dis bien probable » (déclaration du mercredi 1er avril 2020), la sortie de confinement par région est devenue « très nécessaire ». Elle est même un des éléments principaux du plan de dé-confinement proposé mardi 28 avril 2020 par le Premier ministre devant l’Assemblée Nationale. « La circulation du virus n’est pas uniforme dans le pays. Certaines parties ont été durement touchées, certains territoires connaissent encore aujourd’hui, après 6 semaines de confinement, un nombre quotidien significatif de nouveaux cas, mais dans d’autres, le virus est quasiment absent ».

Face à ce constat géographique et à la spécificité de la propagation de l’épidémie selon les territoires, un dé-confinement ne peut se faire en une fois et de manière généralisée. Le Gouvernement semble prend finalement en compte ces différences dans l’organisation de la sortie de confinement afin de « ne pas appliquer le même schéma dans des endroits où la situation n’est objectivement pas la même, mais aussi pour laisser aux autorités locales, notamment aux maires et aux préfets, la possibilité d’adapter la stratégie nationale en fonction des circonstances ».

À compter de jeudi, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, présentera tous les soirs la carte avec ces résultats, département par département. Cette carte guidera ainsi chaque département dans la préparation du 11 mai. Dans un même temps, et de manière contradictoire, certaines dates et mesures fixées à l’échelle nationale semble non négociables et pourtant, elles pourraient avoir un impact sanitaire à l’échelle locale : la réouverture des écoles, le nombre d’élèves par classe fixée nationalement à 15, etc. Ainsi, dans quelle mesure les régions auront un pouvoir sur l’adaptation de la stratégie nationale ?

« Il est logique que, tout en gardant la plus extrême prudence, nous proposions un cadre de dé-confinement adapté aux réalités locales de l’Hexagone comme de l’Outre-Mer »

Par ailleurs, trois critères – établis par la direction générale de la santé et Santé Publique France – permettront d’identifier les départements où le dé-confinement doit prendre une forme plus stricte :

• Soit que le taux de cas nouveaux dans la population sur une période de 7 jours, reste élevé, ce qui montrerait que la circulation du virus reste active ;
• Soit que les capacités hospitalières régionales en réanimation restent tendues ;
• Soit que le système local de tests et de détection des cas contacts ne soit pas suffisamment prêt.

Retranscription de la déclaration du Premier ministre sur la stratégie nationale du plan de dé-confinement à l’Assemblée nationale

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