Grands amoureux du cinéma, Nicolas Martin, président du jury de Court Métrange et Simon Riaux, juré, tous deux journalistes et critiques de cinéma, donneront une conférence le 1er octobre au musée des Beaux-Arts. Ils y présenteront le combat qu’ils mènent afin de ressusciter un cinéma de genre et de science-fiction made in France.

Le cinéma français a été pionnier au début du XXe siècle dans les genres de la science-fiction, de l’horrifique et du fantastique. Passablement oublié, il a pourtant inspiré ses voisins européens et américains. Court-Métrange donne un coup de projecteur à ce patrimoine en conviant Nicolas Martin et Simon Riaux à une conférence intitulée « Quel est notre imaginaire fantastique commun ? », le 1er octobre au musées des Beaux-Arts de Rennes.

court metrange
Nicolas Martin (gauche), Simon Riaux (droite)

Le premier, Nicolas Martin, réalisateur et scénariste, est également producteur et animateur de La Méthode Scientifique sur France Culture. Le deuxième, Simon Riaux, critique de cinéma, travaille pour le webzine Écran Large, l’émission Le Cercle sur Canal + et le podcast Pardon le cinéma. Tous deux estiment que ce cinéma perdu s’avère d’une richesse remarquable. Il a cependant subi les coups de boutoir des grandes franchises américaines qui ont été largement imposées par le volet culturel du plan Marshall (soft power) après la Seconde guerre mondiale. Au regard de ce contexte et après un demi-siècle, comment restaurer la réalité féconde de l’imaginaire européen au sein de la production cinématographique ? Entretien.

Unidivers – Quelle est votre relation à la science-fiction et comment votre métier vous a-t-il conduit au cinéma de genre ?

Nicolas Martin – Mon lien avec la science-fiction est organique. Fasciné par l’espace, mes premiers livres et films relevaient de ce type, notamment Alien, une de mes références. La science-fiction a été ma porte d’entrée vers la philosophie, la politique, les sciences également. En effet, après des études de médecine, j’ai bifurqué vers la littérature. En résumé, mon amour inné des sciences a été alimenté par ce genre – vaisseau de l’imaginaire qui ouvre le champ de la pensée tout en proposant des histoires épiques. 

Alien film

Simon Riaux – Comme Nicolas, mon goût pour la science-fiction a été ma porte d’entrée dans le monde du livre et du cinéma. Originaire d’une famille dotée d’un capital culturel modeste, je n’ai pas eu l’opportunité de lire les grands classiques. Ce furent mes premières découvertes littéraires.

Quand j’étais jeune, je distinguais peu le fantastique et la science-fiction. Les deux m’ont servi de grilles de lecture pour décoder le monde afin de mieux l’appréhender. Les découvertes filmiques qui ont suivi ont été très formatrices, d’abord en ce qu’elles m’apprenaient politiquement en tant qu’œuvres, mais aussi dans ce que leur réception, ou le mépris qu’elles suscitaient au sein du cercle culturel, me disaient politiquement sur la constitution de ce pays et de son rapport, ou son absence de rapport, à l’art et à l’imaginaire.

Unidivers Nicolas, vous avez fondé le ciné-club Hurlequin. Vous y présentez les oubliés du cinéma de genre mais aussi des films horrifiques ainsi que vos propres courts métrages. En ce qui concerne vos productions, on pense notamment à Remember me ou Le dernier exercice, lesquels sont rattachables à l’horrifique. D’où vous vient ce goût pour ces deux catégories de films ?

Nicolas Martin – Hurlequin est destiné à redécouvrir des films oubliés autant qu’à revoir des films que j’ai vus en VHS, en qualité améliorée, avec l’ambiance d’un festival comme au festival international de films fantastiques de Gérardmer ou le festival de films de genre à Tours, Mauvais genre. Avoir peur tous ensemble dans une salle, c’est quelque chose d’unique que j’ai voulu retranscrire.

Ensuite, mes premières lectures de science-fiction étaient horrifiques. J’ai adoré avoir peur, la peur en tant que sentiment primaire, presque bestial. On a rarement peur dans la vie. Alors j’aime tenter – avec toutes les difficultés que cela comporte – de recréer la peur, car chaque peur est unique et propre à chacun. 

C’est en quelque sorte renouer avec l’enfant qui a peur du monstre sous le lit. 

Nicolas Martin

Le cinéma d’horreur est un peu l’oublié du 7e art, le sous-genre. Or, si ce n’était qu’un sous-genre, Stanley Kubrick n’aurait pas réalisé Shining ou Ridley Scott Alien. Dans ces deux longs métrages, la charge politique et sociale est capitale, car jouer à se faire peur constitue une autre façon d’appréhender le monde.

Unidivers Pouvez-vous parler de votre collaboration ?

Nicolas Martin – Nous nous sommes rencontrés au festival Mauvais genre, puis à Gérardmer. J’en étais à un moment de ma carrière où je ne voulais plus écrire seul, alors nous nous sommes essayé ensemble au format de film en 48h [48 Hour Film Project, concours visant à réaliser de bout en bout un court-métrage en 48h, ndlr]. Le résultat fut bien meilleur que ce que chacun aurait obtenu seul ; c’est pourquoi nous avons décidé de continuer. Aujourd’hui, nous avons créé deux longs-métrages et demi, deux séries et ce n’est pas fini !

Simon Riaux – Notre collaboration est rare. En plus d’être amis, nous sommes complémentaires dans nos qualités et défauts, mais aussi dans nos rythmes d’écriture. Il y a peu d’égo. Nous avons un univers commun. L’écriture à deux est effectivement incroyable, à deux c’est encore mieux que seul.

Je compléterai le propos de Nicolas en ajoutant qu’avec le déterminisme, l’héritage, et plein d’autres raisons qu’on ne saisit pas forcement, nous sommes tous sensibles à un univers plus qu’à un autre. Moi, comme Nicolas, c’est la science-fiction.

metal hurlant

Unidivers Pouvez vous me parler en quelques mots de la conférence qui aura lieu le 1er octobre ?

Nicolas Martin – La conférence est fondée sur une question qui nous obsédait tous les deux : quelles histoires a-t-on envie de raconter ? Aujourd’hui, qu’est-ce-que le cinéma de genre raconte ? Il nous raconte des histoires dont le fond imaginaire est préempté par le cinéma de genre anglo-saxon et nord américain, lequel n’est en réalité pas le nôtre. Un pays riche en histoire, en patrimoine et également en traumatismes constitue un terreau parfait pour donner vie à des histoire. Trop de scénaristes continuent à prendre pour exemple l’univers américain.

C’est pourquoi nous interrogeons cette mythologie locale riche. C’est le cas dans notre premier court-métrage, La Battue, histoire d’une chasse à l’homme où l’on visite la mythologie locale de la chasse sauvage. L’objectif est de redécouvrir notre culture plutôt que de continuer à s’inspirer d’une mythologie qui, si elle a été à l’origine d’œuvres remarquables, a fait son temps et n’est pas la nôtre.

Méliès sur la lune
© La Cinemathèque française

Simon Riaux – Il y a effectivement un terreau très riche. Longtemps en France, il y a eu une culture du fantastique et de ce qu’on appellera plus tard la science-fiction. La Seconde Guerre mondiale a créé un grand renouveau dans tous les domaines et cet imaginaire particulier s’est perdu. Seul l’univers de Jules Verne a survécu. Et les États Unis ont répandu, voire imposé, leurs biens culturels dans tous les pays libéraux. Résultat : les cinéastes ont oublié l’existence d’une culture SF populaire qui a influencé le monde entier, à l’image de Métal hurlant, film français qui a eu une influence notable. Aux États-Unis, les professionnels du cinéma peuvent en parler pendant des heures ; en France ce film est quasi oublié… On semble avoir baissé la tête devant la suprématie américaine alors que la science-fiction française en est la source !

Jules Verne
©DR 20 000 lieux sous les mers, de Jules Verne, édition Hetzel

Unidivers Quels seraient, pour vous, les remèdes à l’encontre de cette désertification du public pour le film de genre à la française ?

Simon Riaux – D’abord, il faut lutter contre l’idée reçue qui se répand chez le grand public selon laquelle en France, les films et livres fantastiques ou de science-fiction sont médiocres. La seule solution est de proposer des œuvres. Les difficultés rencontrées sont sur le plan de la production, les moyens sont trop faibles.

Nicolas Martin – Ce n’est pas faute de bons auteurs, ou de réalisateurs. Mais avec les difficultés de production française, les professionnels se forment en France et partent ensuite aux États-Unis où ils sont mieux accueillis, avec des budgets supérieurs. 

Si les producteurs voient les films de genre différemment, le regard du public doit cependant être reformé. Trop de bons films de genre français sont oubliés au profit de grands films de franchises qui ne sont plus que des coups de marketing. Peu à peu, on comprend que des films comme Titane peuvent remporter la Palme d’or à Cannes, qu’ils disent puissamment quelque chose de notre société. Ce ne sont pas juste des défouloirs comme le sont les grands films de franchises. 

Pour un pays qui est l’inventeur et du cinéma et de la science-fiction, avec Jules Verne et Georges Méliès, le constat est amer.

Nicolas Martin

Simon Riaux – Un chemin a été parcouru grâce aux plateformes, notamment Netflix, qui hébergent des films français que les cinémas ont ratés. Ceux auxquels on n’a pas cru mais qui reçoivent au final un très bon accueil par le public. Le film de genre intéresse et doit être pris en compte sérieusement.

Nicolas Martin et Simon Riaux – Pour conclure, nous dirons qu’on ne raconte jamais mieux que ce qui nous concerne, nous touche. À une époque où l’on est dans une sorte de panique délirante, rappeler qu’il existe des identités qui sont sources d’émancipation, d’ouverture, et explorer l’identité et l’imaginaire de ce pays et de ce continent, est quelque chose d’enrichissant et d’émancipant.

court métrange

Nicolas Martin et Simon Riaux tiendront la conférence le samedi 1er octobre à 15h au Musée des beaux-arts, 20 quai Émile Zola.

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