Retour tout en émotion sur l’émouvant concert Espoir et résistance du 25 avril 2015 au TNB. L’un de ces instants uniques, comme suspendus, où la création artistique et la culture œuvrent à l’essentiel en affirmant lumineusement qu’elles sont non seulement une lutte mais surtout une victoire « contre ce nivellement universel qu’est la mort » (Pavel Florensky).

 

Hans Krasa
Hans Krasa

« Ce soir la musique vaincra les ténèbres ». Il aura suffi de cette simple phrase pour qu’en un instant tout un théâtre de Bretagne sente sa gorge se serrer et que des yeux s’embuent devant la force symbolique d’une telle affirmation. Si pour beaucoup il fut aisé de se dissimuler dans le confortable anonymat de la foule, Marc Feldman (administrateur général de l’OSB) n’eut pas cette chance et, un instant submergé par une émotion unanimement partagée, se ressaisit vite pour retrouver son habituelle faconde. Ce préconcert ouvert gratuitement aux Rennais sous l’égide des amis de la fondation pour la mémoire de la déportation (AFMD) pouvait commencer. Le sujet en était Brundibar, un opéra pour enfants de Hans Krasa, joué prés de 55 fois au camp de Theresienstadt.

Cet opéra a été l’occasion de voir se produire avec talent deux formations rennaises ; l’orchestre des jeunes de haute Bretagne et la maîtrise de Bretagne, sous la direction de Didier Roussel. Le rôle de Brundibar, méchant de l’histoire, fut tenu par un dynamique et ricanant Richard Dubelski.

Brundibar
Choeur des enfants de Theresienstadt

C’est une œuvre assez simple à la musique dynamique et un peu répétitive qui met en scène une histoire digne des contes d’Andersen. Les protagonistes s’en sortent pourtant avec brio. Les jeunes chanteurs offrent un spectacle de qualité. Le couple de frères et sœurs incarnés par Mémin Ninnoé et l’excellent Guillaume Letortorec est agréablement encadré par Romain, pour lors crémier sans complexe et différents animaux dont un chat, Aline Le Berre à la voix étonnante et prometteuse. Interrogé après le concert à son plus grand étonnement, Guillaume Letortorec partage cette impression de simplicité en ce qui concerne la musique, il reconnaît aussi avoir voulu saisir (du haut de ses 13 ou 14 ans) la signification d’une œuvre comme Brundibar, et c’est bien là que l’on se rend compte de la relative dilution dans l’histoire de ces dramatiques événements. Cette impression sera confirmée par l’échange mené avec un jeune violoncelliste, pourtant plus âgé puisqu’il est en « prépa ». Sans un accompagnement, un dialogue préalable, il est difficile pour ces adolescents de situer cette œuvre dans son contexte politique, celui d’un acte de résistance face à un auditoire de SS et autres tortionnaires et tout cela dans un camp de la mort dans le plus complet dénuement.

Le personnage de Brundibar est le Machiavel de l’histoire, et le second degré n’est pas compliqué à décrypter : « Si nous chantons d’un seul cœur, nous vaincrons le dictateur ». La subtilité n’était vraiment pas la vertu cardinale des nazis. Le choix d’une mise en espace, dépouillée et colorée à la fois, convient tout à fait à l’esprit de l’œuvre. Il s’agit d’un opéra pour enfants et à ce titre se doit d’être explicite. L’orchestre des jeunes de haute Bretagne apportera à ces acteurs d’un soir un soutien sans faille et fournira une prestation digne de tous les éloges. En fond de scène, durant le spectacle des œuvres du peintre Serge Kantorowisz, présent dans la salle, seront projetées.

Déja 20h et le TNB, un instant déserté, se remplit à nouveau pour le concert mettant en lumière Francis Poulenc, Kurt Weill, Erwin Schulhoff et enfin Piotr Illiych Tchaïkovski.

Amira Selim
Amira Selim

C’est avec le récital de cinq poèmes de Max Jacob que commence notre deuxième partie de soirée. C’est un moment tout à fait réjouissant et non dû au hasard qui réunit sur scène la remarquable pianiste Israélienne Michal Tal et la non moins excellente chanteuse Égyptienne Amira Selim. « Chanson bretonne, Cimetière, La petite servante, Berceuse, Souric et Mouric » seront les œuvres présentées. Curieuse et passionnante rencontre de ces deux interprètes que deux cultures si hélas souvent antagonistes séparent. La musique se moque bien de tout cela en ce qu’elle est universelle et Poulenc est fêté de la plus digne manière qui soit. La voix de Amira Selim correspond exactement à l’esthétique musicale de cette époque et le jeu tour à tour subtil et puissant de Michal Chal lui offre l’écrin idéal pour mettre en valeur cet instrument plein de nuances.

Eric Bescond
Eric Bescond

Bien qu’il ait été célèbre en son époque et musicien respecté, beaucoup feront la connaissance d’Erwin Schulhoff au travers de ce concerto pour flûte, piano et deux cors. C’est une œuvre assez étonnante par les contrastes qu’elle offre. Une des parties est entamée vigoureusement par les altos, reprise ensuite par les violons puis les violoncelles et enfin, plus tard, les contrebasses comme s’il se fut agi d’une fugue de Bach, mais avec une touche de moquerie qui vient ensuite souligner le côté pastiche. Avec Schulhoff, on est souvent déconcerté, mais amusé également par les changements d’ambiance. Ce sera l’occasion pour Eric Bescond d’exposer l’étendue de son talent et c’est un réel plaisir de voir le flûtiste de l’Orchestre symphonique de Bretagne ponctuer ses interventions d’un sonore claquement de talon ou d’un amusant saut à pied joint, démontrant à quel point il vit sa musique et s’y investit totalement.

L’ambiance sera aussi détendue et plus familière avec la suite pour petit orchestre de l’Opéra de Quat’sous de Kurt Weill et Berthold Brecht. Cette œuvre déroutante, qui se veut à elle seule un manifeste anti-bourgeois, est tirée de The Beggar’s Opéra, autrement dit l’opéra des gueux de John Gay. Souvent présentée en Allemagne jusqu’au début des années trente, elle sera considérée comme décadente par les esthètes du Reich. Si elle se teinte des couleurs de la musique dite classique, cette œuvre serait bien dans l’incapacité de renier la prédominance du jazz dans ses mélodies. Chacun entendra avec plaisir la ballade de Mackie, le foxtrot, la chanson de Poly et Charleston, alors que dans la salle, passe, diaphane, la silhouette fantomatique et ironique d’une Lotte Lenya souriant au Berlin des années 20.

La symphonie N°5 de Tchaïkovski viendra conclure cette soirée particulière, on peut dire, et sans insolence, « en fanfare ». Pas moins de 57 instrumentistes ont été nécessaires pour donner à cette œuvre, l’amplitude qui lui est due.

Aurélien Zielinski
Aurélien Zielinski

Marc Feldman nous rappelle à cette occasion que l’orchestre de Leningrad avait joué cette œuvre jusqu’à la dernière note malgré la pluie de bombes qui annonçait l’arrivée imminente dans la ville des troupes allemandes. Si le premier mouvement commence par des notes assez sombres, évoquant la soumission au destin, « fatum», « moïra » suivant qu’on soit latiniste ou helléniste, il évolue rapidement et le second mouvement devient une marche au caractère inexorable. Curieusement, un rythme de valse vient tempérer cette montée en puissance qui cependant se réaffirme à chaque mouvement ; telle une marée, la musique s’amplifie jusqu’à nous submerger par sa démesure. Le splendide pupitre des cuivres apporte un éclat et un brio sans pareil. Il est soutenu par des percussions omniprésentes et splendides. L’orchestre de Bretagne offre une interprétation à la fois dramatique et inspirée, un impressionnant moment de musique ! Il sera dirigé de main de maître par un chef inspiré, Aurélien Azan Zielinski, remplaçant au pied levé Anthony Hermus indisponible. Ce jeune chef, à l’expérience déjà conséquente, s’implique pleinement dans sa musique et semble avoir obtenu l’adhésion des musiciens de l’OSB (qui le connaissaient déjà). Sa direction est précise, efficace et manifestement liée à des qualités humaines perceptibles.

osb tnbL’hommage a été rendu à toutes les victimes de la folie humaine. Pourtant, ce n’est pas un sentiment de tristesse qui réunit le public à la sortie du TNB, mais plutôt le désir de partager un dernier moment ensemble. Ceux qui ont disparu n’ont pas été pleurés, ils ont été célébrés. Magda Hollander-Lafon, rescapée d’Auschwitz et présente à cette soirée, préfère au « devoir de mémoire » l’expression « devoir de fidélité » envers ceux qui ont continué à créer malgré d’insupportables souffrances. De toute cette souffrance, de toute cette injustice, la musique et l’ensemble de la créativité humaines restent invaincues ! Et cela, les ténèbres ne l’ont pas compris.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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