De l’autre côté. Voilà le titre énigmatique du huitième album du groupe de ‘rock rennais’ Complot (la suite du nom ‘Bronswick’ a disparu depuis l’album A kind of Blue). Cette formation fera toujours figure de mystérieuse conspiration dans le paysage, pas si touffu que ça, de la scène musicale bretonne.

Collectif à géométrie variable Complot demeure pour beaucoup de Rennais le brillant et étrange projet artistique à l’origine des albums inclassables que sont Maïakovski et The Dark room’s delight. Enfants terribles et provocants des avant-gardes expérimentales et d’une énergie rock passée à la graisse industrielle et glaciale de la cold-wave. Que reste-t-il alors aujourd’hui de cette énergie créatrice qui osait mêler (depuis l’origine) poésie, rock et expérimentation, images (photos, peintures, vidéo) et théâtre (les spectacles Radix et Iceman, entre autres) ? Une volonté ? Une volonté intacte de faire et de transmettre, fusse par des moyens modestes et artisanaux quand la grande machine de la production (et de la promotion) musicale reste statique et sourde. Demeure aussi et surtout cette mystérieuse certitude de la poésie comme force motrice, comme un paradoxal point d’ancrage, qui lui, contrairement aux grandes machines, n’est jamais statique.

Complot, De L'Autre côté
Complot, De L’Autre côté

Au cœur du Complot c’est Nikolaï Ada (François Possémé) qui œuvre depuis toujours comme point d’ancrage, discrètement, furtivement puisque Complot vit aussi de ça. De cette sorte de secret qui n’en est pas un, que tout le monde connaît, mais qui force un peu le respect. Ce qui prime c’est l’expression, la transmission, la vibration. Se fondre dans un tout qui porte en avant plutôt que se dissoudre dans l’illusoire mise en avant de tel ou tel. Malgré qu’il y eut, inévitables, des conflits au sein du collectif, Complot à toujours su donner cette impression de l’osmose artistique, de la mosaïque harmonieuse et contrastée d’un projet commun. Bien que plus personnel, François le confirme lors d’une rencontre dans un café rennais, l’album De l’autre côté n’infirme en rien cette sensation.

Si la majorité des titres sont signés François Possémé/ Eric Trochu (a.k.a Ert de End of Data), on retrouve comme condensés, à travers les compositions, les sons de guitares, tous ces ingrédients qui ont fait Complot à travers ses multiples facettes. Avec mention spéciale aux titres Je fuis la ville, blues cybernétique sur les rimes poétiques de Louise Labbé, et De l’autre côté qui, si tant est que cela signifie quelque chose, fait sonner de façon très « Complot » les vers superbes d’Emilie Dickinson :

Je me soucierais peu de murs, l’univers fut-il un roc, tant que viendrait son appel clair de l’autre côté du bloc…

Comme François l’explique, de l’autre côté ce n’est pas uniquement ce qui nous fait face ou bien un unique « au-delà » c’est ce qu’il y a encore et encore et toujours par-delà, comme une ligne d’horizon derrière laquelle se cache un paysage dans lequel encore un peu plus loin se dévoilera une autre ligne d’horizon.

De l’autre côté, c’est encore l’autre côté de la page d’un livre qu’on feuillette, la promesse de la suite ou de la fin d’un poème qu’on lit. L’autre côté de cette lecture c’est d’être coincé dans une chambre d’hôtel, en Normandie, face à la mer, mais en ayant eu l’heureuse idée d’amener avec soi sa guitare. Les chansons sont nées là, surgissement d’une voix qui semblait vouloir rester silencieuse. Il y a quelques années une amie comédienne lui suggérait la mise en musique électrique de l’énergie « rock » contenue dans les poèmes de Louise Labbé. Lettre morte, le projet s’éteint. Puis, pris dans cet instant plus lointain, sans contrainte, c’est la voix de cette étrange conjonction qui reprend vie et attire à lui d’autres voix, Emilie Dickinson, Pernette du Guillet… Et si les compositions de cet album sont assumées comme étant plus personnelles, plus intimes, c’est bien l’esprit des expériences accumulées du Complot qui assure la cohésion irradiante de cette alchimie bleue sombre.

Les rythmiques électroniques se font galops de tambour médiévaux et dès l’ouverture d’A force de ciel le ton est donné, le don est entonné ce sera de l’autre côté les trouvailles et fiançailles des communes énergies des amours exhalées dans un souffle humide et brûlant, frais et chaleureux, souffre et mercure. Les mots d’hier des grandes amoureuses poétesses, féminines trouvères, s’élancent sur l’éros électrifié aux saccades haletantes des ménestrels rock numériques. D’aujourd’hui. Une pop électro et expérimentale aussi rugueuse que savamment mélodique pour se laisser glisser « de l’autre côté »…

À noter que COMPLOT sera sur l’antenne de Radio Laser le 22 février 2013, 95.9 Mhz.

Complot, De L’Autre côté, CD 10 titres, 15€, Iconaki, 2012 (à commander à Iconaki)

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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