Que sait-on vraiment de la vie quotidienne en Allemagne entre 1935 et 1945, loin des grandes figures de l’Histoire ? Avec Columbusstraße, Tobi Dahmen relève un pari délicat : raconter, sans détour ni héroïsation, ce que fut la Seconde Guerre mondiale vécue par une famille « quelconque ». Et le résultat, fruit de dix ans de travail minutieux, forme une roman graphique monumental qui raconte l’ordinaire de la guerre.
Tout commence par une découverte : celle, par l’auteur, d’une correspondance familiale oubliée. Une plongée dans le passé qui devient peu à peu une véritable enquête, nourrie d’archives, de témoignages et de repérages. Dahmen reconstitue patiemment l’existence de ses aïeux à Düsseldorf, tiraillés entre fidélité familiale et survie sous un régime qui broie toute indépendance.
Dans ce pavé de plus de 500 pages, l’auteur déploie une narration serrée, presque clinique, mais toujours profondément humaine. Ici, pas de héros, pas de monstres caricaturaux : seulement des êtres ballotés par l’époque, parfois lâches, parfois dignes, souvent ambivalents. Le père qui collabore par obligation, les fils envoyés sur le front russe puis en Italie, la fille mobilisée pour l’effort de guerre… Tous tentent de tenir bon alors que leur monde s’effondre.
Graphiquement, Dahmen adopte une ligne claire subtile en tons de gris, délibérément sobre. Mais derrière cette apparente simplicité, chaque regard, chaque détail de décor vibre d’une émotion retenue, décuplée par la pudeur du trait. Le lecteur traverse l’album comme on traverserait une maison en ruines, les poches pleines de souvenirs et d’ombres.
Ajoutez à cela un impressionnant appareil documentaire en fin d’ouvrage – glossaire, sources, remerciements – et vous obtenez bien plus qu’une BD : un geste de mémoire. Un hommage discret mais bouleversant à ceux qui, au cœur du chaos, ont tenté de rester debout.
À l’image de Maus d’Art Spiegelman ou de L’Ascension du Haut Mal de David B., Columbusstraße s’inscrit dans la tradition des grandes bandes dessinées autobiographiques et historiques. Sans chercher à ériger sa famille en héros ou en martyrs, Tobi Dahmen propose une plongée bouleversante dans une époque où l’individu était broyé par l’Histoire. Un album long, dense, exigeant – et nécessaire pour qui veut comprendre ce que fut la guerre vécue de l’intérieur par des Allemands ordinaires.
- Titre : Columbusstraße
- Auteur : Tobi Dahmen
- Éditeur : Robinson (Hachette)
- Date de parution : 23 avril 2025
- Format : One-shot, 525 pages
- Public : Ados – Adultes
- Tarif : 30 euros
- Note : ★★★★☆ (4/5)