Depuis bientôt deux semaines, le festival I’m From Rennes fait vibrer les amplis un peu partout dans la capitale bretonne : du 1988 Club à l’Antipode, en passant par l’Ubu et la mythique salle de la Cité, plusieurs points névralgiques de la vie nocturne rennaise s’agitent aux sons de la jeune scène 100 % locale. Deux apparts et six bars accueillent également des concerts, dont le Melody Maker. Vendredi dernier, celui-ci recevait les groupes Piranha et Marble Arch du Collectif Nothing. L’occasion de gorger ses oreilles de bon son pop-rock, et de poser quelques questions à Yann Razavet, leader de Marble Arch.

piranhaOuvert en 2009 rue Saint-Melaine, le Melody Maker s’est taillé une solide réputation dans le milieu musical rennais. Il faut dire qu’avec un nom aussi évocateur – référence directe au légendaire hebdomadaire musical britannique, – le bar s’est donné une orientation exigeante en matière de programmation rock indé. C’est tout naturellement que ce vendredi le café accueillait les prometteurs Piranha et Marble Arch. Pour cause d’imprévu de dernière minute, les quatre garçons de Piranha doivent se lancer les premiers à 21h. Il reste minutes quelques   minutes pour interviewer Yann Razavet, guitariste de Maria False qui vient de sortir un album solo. Mais, non… voilà que Piranha commence.

piranha
Piranha (photo : I’m from Rennes)

C’est devant une salle bien remplie que les membres de Piranha entament leur set. Ambiance décontractée pour cette bande de joyeux drilles qui affiche déjà un beau palmarès à leur actif – notamment les Bars en Trans en décembre 2012 et le festival Visions #2 organisé par leur label Les Disques Anonymes cette année. Un sourire gouailleur aux lèvres, carrément à l’aise, le chanteur (Tom Beaudoin) dédicace plusieurs chansons à ses amis présents avant d’inviter le public à interpréter une chorégraphie improbable sur le morceau Alaska. « Oui, parce que ça rime avec Lambada… » Mais c’est bien sûr ! Ce n’est pas parce que la rigolade est au rendez-vous que la prestation sonore pâtit, le groupe a de très belles compositions en réserve ! Des morceaux qui alternent synthés planants (influencés par Phœnix) et envolées énergiques à la guitare entrecoupées de rythmes dansants. Il y a une vraie maturité dans les choix d’instrumentation. Quant aux mélodies, elle sont diablement efficaces. Une formation à suivre de près !

Après une pause bière en terrasse, il est temps de retourner dans l’arrière-salle du Melody, en passant devant la guitare rouge accrochée dans la cheminée, estampillée Maria False. Joli clin d’œil à l’excellent groupe – passé également par les bars en Trans – dont est issu Yann Razavet. Pour le coup, le guitariste est seulement accompagné ce soir du batteur de Maria False (Matthieu Richard) dans le cadre de son projet solo Marble Arch.  On peut s’étonner de le voir déjà programmé par I’m From Rennes, car c’est seulement sa cinquième date. Reste que son album The Bloom of Division, sorti en mai dernier, impose le respect.

Maria False
Maria False

À l’écoute, on est tout simplement happé par la beauté de ses compositions mâtinées de shoegaze, à la puissance évocatrice mélancolique, qui nous entraînent dans un long songe brumeux en solitaire. Entre rêverie baignée de souvenirs doux-amères et émerveillement face à la beauté des petites choses qu’on observe de loin au-dehors ; chaque morceau engage de façon ambivalente à l’introspection et à la contemplation du monde extérieur.

Yann Ravazec
Yann Ravazet

En concert, ça donne une pause intemporelle, envoûtante, enveloppant le lieu d’une atmosphère agréablement intimiste. Guitares et pistes de synthés à la fois planants et lumineux, voix éthérée, élégance et retenue se mêlent, sans perdre de vue des riffs de guitare plus rugueux. Pas de neurasthénie ici, juste cette sensation suave de pouvoir interrompre le décompte du temps, de se laisser bercer dans le flou d’un monde intérieur et antérieur. On peut saluer au passage le fait que Yann et son batteur aient mené à bien le concert malgré un événement imprévu, à propos duquel le chanteur a glissé quelques mots dans l’entretien qui suit.

Entretien avec Yann Razavet (Marble Arch)

Unidivers – Yann, pourrais-tu me donner tes impressions/sentiments avant ce concert ? 

Yann Razavec – Cool, tout va bien. Seulement on devait jouer en premier, mais on a eu des problèmes niveau batterie. Du coup on a dû demander gentiment à Piranha s’ils pouvaient jouer en premier. Le batteur est sur Paris en fait. Un peu stressé à ce niveau-là, mais bon c’est plus de la logistique qu’autre chose.

Quel batteur qui t’accompagne ce soir du coup ? 

Y.R. – Matthieu est aussi de Maria False en fait. Il s’était mis à la batterie à la base pour nous filer un petit coup de main quand on a voulu commencer à faire des concerts. Il s’y est mis du jour au lendemain pour nous dépanner, je le connais depuis un bon bout de temps. Ça va se passer tranquillement, je pense.

Simon Carpentier (des Popopopops), qui est l’un des organisateurs d’I’m from Rennes, expliquait au mensuel de Rennes que ce n’est pas forcément facile pour un musicien de jouer dans sa propre ville. Est-ce que pour ta part tu trouves ça difficile ou, au contraire, plutôt rassurant ? 

Y.R. – Plutôt rassurant en fait, parce que tu connais les lieux, tu connais les gens… après c’est vrai que tu es peut-être aussi plus attendu au tournant, tout le monde se connaît plus ou moins. Mais c’est toujours cool, parce que tu reconnais des visages, ceux que tu avais vus dans d’autres groupes avant…

Et puis, ça te permet aussi de te constituer un petit réseau dans ta ville… 

Y.R. – Oui, voilà. Même si je ne suis pas de Rennes à l’origine, j’ai fait mes études là, et c’est là que j’ai grandi avec Maria False, mes potes de musique. On a joué pour Rennes Riot avant. À l’époque il y avait Football Club, les Wankin Noodles, Maria False, Glassberies, plein de groupes comme ça, vraiment cool. Après, ça s’est un peu éteint parce que tout le monde est parti.

Comment t’es-tu lancé dans la musique ? 

Y.R. – Je suis arrivé à Rennes, et puis j’étais en coloc avec Yann, qui est chanteur dans Maria False, et qui est dans Future et Venera 4 ; tous sont de très bons amis de primaire (on vient tous plus ou moins de Lannion, et puis on s’est tous retrouvés là, sauf Bernard qui est toujours à Lannion). On a monté Maria False, ça a bien marché, on s’est bien marré. Je suis parti ensuite travailler vers Saint-Brieuc, Yann est parti à Paris, et puis à ce moment-là on se voyait un peu moins alors a tous lancé un peu des projets solo, toujours en gardant Maria False, qui va sortir bientôt un nouvel album.

Ce n’est donc pas fini avec Maria False ?

Y.R. – Non, ça continue toujours ! J’ai vu des petites chroniques de mon album où ils disaient l’  « ex-Maria False ». Or ce n’est pas parce que je sors un truc solo que Maria False est fini, pas du tout. C’est toujours cool d’être ensemble, d’ailleurs Yann (Canévet), le chanteur, est là ce soir !

Comment t’es-tu lié avec les labels Requiem pour un Twister et le Turc Mécanique ? 

Y.R. – Charles de Turc Mécanique avait sorti notre Ep de Maria False, et on l’a connu comme ça. On avait fait des dates, et on s’était lié d’amitié avant. Pendant ce temps-là, Yann et les autres ont sorti un  Ep avec Venera 4, et Future. Future a fait quelque chose avec Dead, le groupe de Bernard (Marie Canévet). Dead et Future ont collaboré avec le Turc, et Venera 4 avec Requiem. Donc c’est grâce à mes potes que je les connais, et quand j’ai sorti l’album sur Bandcamp, ils ont tous les deux eu envie de travailler avec moi. Je savais que le Turc et Requiem se connaissaient, du coup ils se sont entendus, ils ont fait moitié-moitié. Chacun a sa petite quantité de vinyles à vendre. Juste une histoire de bonne entente, quoi ! Je n’ai pas choisi par calcul, je suis partant pour tout !

Collectif Nothing
Collectif Nothing

Pourrais-tu me parler du collectif Nothing ? 

Y.R. – Ce sont vraiment des liens d’amitié en fait. Maria False, Venera 4, Marble Arch, Future, Dead, Sainte aussi qui est une bonne pote à nous, et qui était de Rennes. On faisait tous partie de l’équipe rennaise de Rennes Riot (collectif créé en 2007). Après, tout le monde est parti un peu à Paris, pour essayer de faire des concerts. Nothing, ce n’est pas une asso ou un label, le but est plus de mutualiser les groupes et de faire parler d’une bande d’amis pour pouvoir jouer plus facilement que chacun dans son coin.

D’accord, donc il n’y a pas l’idée d’avoir un son spécifique ? 

Non, non. Si quelqu’un veut faire partie du « crew », on lui dit, voilà, c’est cool, vas-y, viens. Ça grossit, et si quelqu’un demande, il peut en faire partie. D’ailleurs, il n’y a rien à en retirer derrière, il n’y a pas de bénéfice. Ce n’est pas un but intéressé, rien à voir.

Ta musique est volontiers associée au mouvement Shoegaze/Noizy Pop. Te revendiques-tu de ces influences ? 

Y.R. – J’ai beaucoup écouté les groupes de cette veine-là des années 90, voire 80, mais bon je n’essaie pas vraiment de me restreindre à un style. J’essaie de faire jouer plein d’influences différentes ensemble. Quand on me demande ce que je fais, je dis « de la pop… » enfin j’en sais rien, je me dis qu’en me cantonnant à une étiquette, je renierais certains aspects de ma musique que j’aime beaucoup aussi. On ressent sans doute l’influence de My Bloody Valentine, oui, mais Jesus and Mary Chain je vois pas, ou Ride… ce ne sont pas vraiment les noms que j’aurais sortis pour qualifier ma musique.

Mais Maria False collerait plus à cette étiquette-là que Marble Arch je trouve. Le son de Maria False est plus pêchu, plus lourd, ça bouge un peu plus, c’est moins vaporeux.

Pourquoi t’être finalement décidé à te lancer dans un projet solo ? 

Collectif Nothing
Collectif Nothing

Y.R. – Quand Yann est parti faire Venera 4 et Future, on s’est un peu dispersé, on a un peu moins répété avec Maria False, donc on a tous fait des petites démos qui traînent à droite à gauche. Mais on n’a pas envie de les garder chez soi… au bout d’un moment tu as envie de les mettre sur internet, ou même de faire une petite compilation des chansons que tu as faites. C’est comme ça que c’est sorti, il n’y avait pas vraiment de réflexion derrière.

Tu avais déjà rencontré les membres de Piranha qui jouent en première partie ce soir ? 

Y.R. – Non, mais j’avais déjà entendu parler d’eux. Je t’avoue que je n’ai pas eu le temps d’écouter, parce que j’ai bossé pas mal cette semaine. J’étais un peu débordé. Hier j’ai joué à Paris, je n’ai même pas eu le temps de faire de communication sur la date. Pareil pour ce soir, je n’ai rien eu le temps de poster sur Facebook. Je suis un peu arrivé à l’arrache, il y a eu des petits soucis en plus. J’ai juste écouté les balances, et ça a l’air super cool, super propre, très intéressant.

Sais-tu pourquoi on t’a programmé avec eux ce soir ? 

Y.R. – Non, c’est une bonne question. Du coup, je ne sais pas trop, peut-être le côté un peu atmosphérique. Ça colle bien, je pense. Après, je suis déjà étonné qu’on me programme à I’m from Rennes, c’est très récent, c’est ma cinquième date ce soir. Et puis quand on était tous à Rennes avec Maria False, il n’y avait plus grand chose qui se passait, on ne nous appelait pas, et d’un coup on revient me chercher. C’est sympa et tout, mais c’est marrant ce petit retour d’intérêt, enfin c’est cool, tant mieux !

D’autres collaborations en vue ? 

Y.R. – Non, pour l’instant les gars du label veulent faire la promo, c’est normal. Moi ce soir, je joue avec un batteur mais j’essaye de monter un vrai groupe aussi avec d’autres : guitaristes, bassiste… pour être plus à l’aise, tranquille, et puis avoir un super son de live. Un vrai live, pas forcément avec des pistes et tout. Pour l’instant je n’ai pas eu le temps de voir ça du tout, j’ai des amis qui sont motivés, on va essayer de monter ça, ce serait bien. Là, j’ai des petites compos pour la suite, mais ce sont vraiment des bribes, rien n’est sorti encore. Par contre, j’ai déjà une proposition avec Beko. C’est un label brestois. Ils sont super ! Splashwave est chez eux, La Femme a collaboré  avec eux au début aussi. Après, il y a beaucoup de groupes américains. C’est très planant, très chill, c’est vraiment super. Il y a même des groupes philippins. Ils en parlent souvent dans Magic magazine.

Petite dernière question : tu étais déjà venu au Melody Maker ? Une petite dédicace ? 

Melody Maker
Melody Maker

Y.R. – Oui, oui, j’y ai déjà joué, c’était ma première date ici ! Avec Venera 4, qui m’avaient invité à leur première partie. C’est marrant de revenir, j’adore Jean-No, le patron. Super sympa, super accueil à chaque fois, c’est vraiment cool. Un bar qui fait encore des concerts à Rennes, c’est vraiment bien, il n’y en a plus beaucoup d’ailleurs. J’ai un ami, Berne (Evol, chanteur du groupe Dead) qui tenait le Sympathic, et ils ne servent plus, il n’y a plus de Sambre non plus… il n’y a plus vraiment de bars qui font ça à Rennes, et ce serait vraiment bien que ça reprenne. En tout cas super ambiance, et bonne mentalité au Melody Maker !

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