Figure marginale de l’intelligentsia britannique, Colin Wilson, disparu en 2013, fut l’auteur de plus d’une centaine d’ouvrages dont Le sacre de la Nuit. Écrivain talentueux, philosophe, Wilson savait intéresser aussi bien sur le plan de la fiction que sur celui de l’essai. Toute son œuvre est traversée par la recherche d’un existentialisme optimiste, jusque dans les territoires les plus obscurs de notre champ d’expérience. Son premier roman, Le sacre de la nuit, constitue une intéressante (et prenante) entrée en matière.

COLIN WILSON LE SACRE DE LA NUIT

Le sacre de la nuit de Colin Wilson s’ouvre à Londres en 1956. Des femmes sont assassinées par un inconnu. Les meurtres rappellent ceux du célèbre Jack l’Éventreur (ils sont également commis dans le quartier de Whitechapel) et la police ne trouve aucune piste. Au même moment, le jeune Gerard Sorme, ancien employé de bureau, écrivain fauché, fait la connaissance de l’étrange Austin Nunne dans une exposition consacrée à Diaghilev. Nunne, homosexuel complexe, laisse entrevoir des zones d’ombre que ne dépareillent pas les rues perpétuellement crépusculaires de Londres en novembre et décembre. De fil en aiguille, Sorme rencontre aussi d’autres personnes: le père Carruthers, un prêtre malade et perspicace, la tante de Nunne Gertrude Quincey, bourgeoise sexuellement refoulée, Caroline, une étudiante sexuellement précoce, et Oliver Glasp, peintre famélique pris dans une relation équivoque avec son modèle de prédilection, une gamine de douze ans.

COLIN WILSON LE SACRE DE LA NUIT

Sorme finit par être convaincu que l’assassin est une personne évoluant dans son entourage. De qui s’agit-il, cependant? S’il y a bien une intrigue policière dans Le sacre de la nuit, premier roman de Wilson paru en 1960, il faut voir dans l’intrigue le prétexte à l’établissement d’un paradigme au milieu du grouillement confus d’une capitale commençant tout juste à se remettre des bombardements du Blitz. L’univers et les êtres se manifestent par trois tendances: 1) la tendance hylique, 2) la tendance psychique et 3) la tendance pneumatique. Colin Wilson, par la suite, écrivit beaucoup sur la psychologie des tueurs en série, le paranormal, l’occultisme et l’ésotérisme, mais dès les débuts de sa carrière littéraire, son cadre de référence se met en place.

COLIN WILSON LE SACRE DE LA NUIT

Les individus marqués par la tendance hylique sont attirés avant tout par la matière, la dimension corporelle des affaires humaines. Ceux chez qui domine la tendance psychique offrent un mélange de matérialisme et de sentimentalisme. Les pneumatiques sont les individus dont la propension à l’intellectualisme est la plus forte. Entre parenthèses, ces trois qualités se retrouvent exposées de la même manière dans l’hindouisme (gunas): à la dominante hylique correspond la tendance tamas (verticale descendante), à la psychique rajas (expansion horizontale), à la pneumatique sattwa (verticale ascendante). Dans Le sacre de la vérité, Nunne est hylique, Glasp psychique et Sorme pneumatique. Wilson s’est également inspiré de trois personnalités historiques: à Nunne correspond Vaslav Nijinsky, tandis que Glasp est une évocation de Vincent Van Gogh et Sorme une variation sur Lawrence d’Arabie (T.E. Lawrence).

COLIN WILSON LE SACRE DE LA NUIT

Ces déclinaisons, pour pertinentes qu’elles soient, menacent souvent de fragiliser l’intrigue du Sacre de la nuit : les meurtres de Whitechapel seraient commis par un proche de Sorme alors que Londres est une ville gigantesque ne manquant pas de suspects, si l’on ose dire. Ici encore, il est indispensable de se rappeler que le tour de force de Wilson consiste à mélanger l’intrigue policière à la réflexion philosophique. Wilson, par ailleurs, fut étroitement associé au mouvement des Angry Young Men, jeunes écrivains et dramaturges britanniques des années 1950, célèbres pour leur critique du conformisme social ambiant. Ce qui est en fait mis en scène dans le roman, c’est la construction (ou plutôt: la reconstitution par le cérébral Sorme) symbolique d’un seul individu dans lequel les trois tendances se mélangent. Comme si une vérité enfouie devait surgir des décombres à la faveur d’une archéologie secrète. Sorme, d’ailleurs, connaît plusieurs épiphanies. Chacune l’amène à voir un peu plus clair dans la nuit des êtres, dans les obscurs et secrets courants qui les font se mouvoir. L’ambiance est, pour dire la chose de manière convenue, propice au suspense psychologique, mais, au bout du compte, seule compte l’accès à la vérité.

COLIN WILSON

Sorme, néanmoins, se retrouve à deux doigts de cautionner les actes du tueur. Une épiphanie finale le fera changer d’avis: la vue de deux cadavres mutilés à l’extrême, dans une morgue où l’a invité un médecin psychiatre de ses connaissances. Il ne s’agit pourtant pas seulement des deux dépouilles: Sorme, qui sait que le médecin en question est un ancien nazi, prend conscience que pour ce dernier, le tueur doit être à tout prix stoppé parce qu’il menace l’ordre social. Pour Sorme, l’absolutisation même de cet ordre (quel que soit le pays, quelle que soit l’idéologie régnante) est une erreur. Avant toute chose, l’individu doit partir en quête de son propre centre, dans une spirale concentrique et ascendante qui le fera passer par l’examen lucide de tous les éléments qui le constituent. Si critique sociale il y a dans Le sacre de la nuit, celle-ci se fonde sur un exhaussement intérieur de l’être humain, démarche proposée par celui qui fut un brillant jeune homme en colère.

Ritual in the Dark, Colin Wilson (26 juin 1931 – 5 décembre 2013), paru en anglais en 1960 et en français sous le titre Le Sacre de la nuit chez Gallimard en 1962 puis aux Belles lettres en 1999.

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