Que la bêtise soit une réalité de plus en plus présente dans la société n’a rien d’étonnant tant la médiocratie encourage un nivellement vers le bas  dans bien des secteurs. Si le constat est triste, il faut aussi prendre le plaisir là où il est : c’est chose faite avec cet ouvrage consacré à l’une des idoles de notre bonne France intellectuelle, Roland Barthes.

 

Pour lui, la bêtise est doublement intéressante. Il y a bien sûr celle des autres, mais aussi la sienne en propre. C’est d’ailleurs pour mesurer la profondeur de cette dernière que Claude Coste fournit un outil d’étalonnage. Aux plus âgés d’entre nous, il suffit de faire travailler leur mémoire pour se souvenir des attaques virulentes contre Barthes lors de l’avènement de la Nouvelle Critique. Il s’était même fait traiter de ‘con’ par un professeur en Sorbonne. Le milieu universitaire français : ses égos, ses coups bas, ses médiocrités et… ses médiocres.

Barthes est bête. Comme tout le monde ? Tout au moins, comme tout le monde l’est à un moment de sa vie. Reste que son analyse de la bêtise contient aussi l’examen de ses propres errances. Voilà qui est digne d’un honnête homme.

Mais qu’est-ce que la bêtise ? Et surtout dans quel cadre se manifeste-t-elle ?

Bêtise de Barthes retient le versant moral. Et dans toute sa splendeur ! Loin d’une pente savonneuse en direction de la crétinerie, l’erreur ou autres joyeusetés de Cambrai, l’acception retenue est d’un spectre large en retenant une subjectivité radicale. Au diable le stéréotype d’universalisme possible en ce domaine.

Dans ce dessein, ce vaste sujet autour d’un auteur qui ne l’est pas moins se révèle à travers les différentes publications, notamment avec le célèbre Fragments d’un discours amoureux, lequel n’est pas dénué d’une certaine… bêtise.

Un livre intéressant susceptible d’introduire d’une manière efficace Barthes auprès de lecteurs qui ne le connaîtraient pas ou peu. Et puis, dès que Barthes est dans le coin, l’entourage est tout de suite un peu moins bête.

 David Norgeot

Roland Barthes, Claude Coste,  14 octobre 2011, 608 pages, 12€
Barthes était fasciné par la bêtise. La bêtise des autres, bien sûr, mais aussi la sienne. Dans la lignée de Flaubert, il confond volontiers la bêtise avec le stéréotype, le lieu commun ou la répétition. Autrement dit, on est bête toutes les fois qu’on se laisse aliéner par la pensée des autres, que l’on n’est pas « soi », et on y échappera en faisant effort pour sortir du lieu commun ou l’investir de sa propre expérience. Mais que signifie « être soi » ? Y a-t-il plus grande bêtise que de croire à une singularité subjective, à une individualité qui échapperait au « fascisme » de la langue, au « déjà » dit de la culture ? Barthes, hanté par la question tragique par excellence, « qui suis-je ? », mise sur la littérature pour se garder de ces deux formes de bêtise. Analysant le malaise et la créativité qui habitent toute son oeuvre, ce livre se propose donc d’explorer la bêtise selon, de et pour Barthes, dans des domaines aussi variés que la littérature, la critique littéraire, la politique, le voyage, le corps ou la « modernité ». Toute action, au départ habile ou avisée, peut produire de la bêtise. Toute pensée, si intelligente soit-elle, peut, en se pétrifiant, en se répétant ou en déclinant, devenir bête. Car la bêtise n’est pas une essence : elle est incluse à l’état latent dans tout geste et toute posture, finalement réveillée par on ne sait quoi : la répétition ? le seuil d’incompétence ? la volonté de plaire ? la mauvaise foi ? Peut-être simplement par ce moment où, paresse ou habitude, on arrête de penser ce qu’on fait, ce qu’on croit. Dans cette collection, des écrivains nous rappellent qu’il n’existe pas de remède définitif à la pétrification de la pensée et que tenir la bêtise à distance exige de constants exercices de vigilance. Leurs essais sont moins des pamphlets que des avertissements et des appels à la responsabilité intellectuelle. Des sortes de « coins » dans la pensée contemporaine. De stimulants éloges de la liberté d’esprit.


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