En coopération avec l’ESAT de Belle Lande*, l’Association UnisVers7 produit, à Dol de Bretagne, un court-métrage fantastique. Sous la réalisation d’Éric Valette, ce film de 7 minutes a la particularité de rassembler sur un même plateau des travailleurs handicapés de l’ESAT et des professionnels du cinéma qui guident ces derniers dans le processus de création.

La légende :

Près de Dol se trouve le menhir du Champ-Dolent.  La légende raconte qu’un jour le Diable, voyant Saint-Samson construire la cathédrale de Dol-de-Bretagne, tenta de la détruire en lançant un rocher arraché au Mont Dol. Il manqua sa cible et la pierre n’atteignit que la partie supérieure d’une tour de l’édifice (aujourd’hui encore manquante) avant de se planter en terre à quelques kilomètres de là.

MENHIR CHAMP DOLENT

Ce projet marque entre autres la volonté, notamment portée par Hélène Pravong (directrice de l’association) d’étendre l’accessibilité de la culture aux handicapés, non plus seulement en tant que spectateurs, mais aussi en tant que créateurs. Le court-métrage intitulé Le menhir du Champ-Dolent sera diffusé hors compétition au festival de cinéma fantastique Court Métrange, à Rennes, le samedi 13 octobre au cinéma Gaumont, et c’est gratuit ! Nous nous sommes rendus sur un des lieux du tournage pour une rencontre en vidéo.

« On ne pense pas souvent à nous »

Olivier, travailleur à l’ESAT de Belle Lande, exprime avec émotion sa fierté de participer à un tournage de cinéma, car, dit-il « ça montre que les handicapés aussi peuvent faire des films ». « On ne pense pas souvent à nous… », ajoute-t-il.
Et en effet, sur quoi nous interroge un tel projet ? Pas tant sur les capacités des personnes handicapées à produire un film, nous en imaginons autant la difficulté que la faisabilité. Il nous questionne davantage sur nos propres capacités à inclure. À inclure un personnel qui ne soit pas « le plus efficace », mais le plus nécessiteux d’inclusion. À inclure, non pas seulement pour faire tourner une équipe de professionnels chevronnés, mais aussi pour tisser des liens nouveaux, primordiaux entre les groupes de personnes, les domaines de profession, les citoyens.

MENHIR CHAMP DOLENTÉtendre le champ des possibles en matière d’accessibilité et pourquoi pas, en matière d’Art. Montrer que c’est possible, pour inspirer d’autres projets et rendre commun l’inhabituel, le dérangeant. Nous nous en doutons, sur un projet aussi hors normes ce n’est pas la rentabilité ni le génie du film qui prévaut, c’est le geste en lui-même. Nous imaginons pourtant que, rendue commune la méthode (d’inclusion, de transversalité), s’épanouiraient des œuvres non plus marginales, mais originales. La beauté de la cause se changerait en beauté de l’effet.

MENHIR CHAMP DOLENT

Pourtant l’avènement de l’accessibilité demande un renversement profond des valeurs sociétales qui sont les nôtres. Nous pouvons nous satisfaire qu’un tel projet ait trouvé une voie de réalisation, mais la route a été ardue et le financement difficile à percevoir, comme nous l’explique Hélène Pravong, directrice de production du court-métrage.

La solidarité peut-elle ne tenir qu’à la volonté acharnée de certains, à contre-courant d’une société en marche vers d’autres idéaux ?

Hélène Pravong, co-fondatrice et directrice d’Unis Vers 7 Arrivé et du festival de cinéma fantastique et d’horreur, Court Métrange. Principale impliquée dans le rapprochement entre l’ESAT de Belle Lande et le Festival Court Métrange, elle en dirige la production. Elle conduit, du 16 au 21 octobre 2018, sa dernière édition du festival, avant de prendre un nouveau départ, pour d’autres projets. Nous l’avons rencontré pour un entretien, peu avant le tournage du court-métrage Le menhir du Champ-Dolent.

Helene Pravong

Entretien avec Hélène Pravong

Unidivers : Bonjour Hélène, tu viens d’annoncer publiquement ton départ de la direction du festival Court Métrange… comment te sens-tu ?

Hélène Pravong : Forcément ça remue un peu, parce que c’est ma dernière année et que j’ai co-monté ce festival avec Steven [Pravong], il y a 15 ans. Ce n’est pas rien, mais je suis sereine par rapport à ça, ma décision est actée depuis longtemps. Je suis dans la joie de ce départ.

U : Tu quittes à la fois l’association et le festival…

H. Pravong : Je veux pouvoir laisser vraiment toute la place à la personne qui va me remplacer. Si je suis encore là, je vais vouloir mettre mon nez dedans (rires). Il faut qu’il y ait du sang neuf, c’est important. Je pense que ça va donner beaucoup de force au festival, une nouvelle impulsion. Non qu’on soit sur nos acquis, mais quand même… On a remarqué cette année, avec Cédric Courtoux (directeur artistique du festival), que l’on disait souvent « Oui, mais on faisait comme ça par le passé », et puis on réfléchissait et on se disait « Certes, mais qu’est-ce qui nous empêche de faire autrement maintenant ? ». Cette ouverture au changement est hyper importante, de plus en plus pour le festival et l’association. Il faut vraiment qu’il y ait un nouveau souffle. Et pour moi aussi du coup.

U : Vers quoi te diriges-tu suite à ce départ ?

H. Pravong : Depuis 5 ans j’essaye de développer l’accessibilité à Court Métrange pour les personnes handicapées. Au travers de tous les projets auxquels on a pu les inclure, je vois tout le parcours qu’elles ont pu faire grâce à nous. En particulier un groupe de travailleurs de l’ESAT qui m’ont écrit une lettre me demandant d’écrire et de réaliser un film avec eux [Le menhir du Champ-Dolent]. C’était vraiment touchant. Et quand je vois le bonheur que cela génère chez eux, ça me donne envie d’imaginer des projets pour eux. Donc je vais voir si je peux proposer des choses de ce côté-là, toujours dans le culturel, le cinéma, car c’est vraiment ma tasse de thé.
Ça peut être de la production d’œuvre ou autre, l’important c’est de faire de l’éducation à l’image. Décrypter une image.

U : Parle-nous de ce film avec les travailleurs de l’ESAT

H. Pravong : J’ai monté ce projet de A à Z. Les travailleurs de l’ESAT voulaient qu’on écrive et réalise un court-métrage ensemble. J’ai réuni les fonds de janvier à mai. Ça a été très long avant d’avoir des réponses, mais on a eu la fondation de France, la fondation SNCF, l’Adapei et la DRAC. C’est la moitié du budget… on va faire avec.
Il y aura des professionnels encadrants à tous les postes-clés, qui encadreront le groupe de travailleurs. Ils sont une huitaine. Le but est qu’ils fassent eux-mêmes le film. Ce sont des handicaps psychiques pas trop sévères. Une personne est illettrée, il n’y a pas d’autisme lourd, mais un rapport à la réalité très distancé. C’est intéressant et il faut trouver le moyen de simplifier d’expliquer les choses. Et puis déjà : comment on écrit un scénario ? Comment on construit des personnages ? Quelle histoire veut-on raconter ? Il y a des contraintes aussi : pas de tournage de nuit, des horaires à respecter, pas d’effets spéciaux, car pas les moyens, etc. Donc on part déjà des contraintes en essayant d’être créatifs avec elles. C’est pourquoi 5 jours de tournage pour un film de 7 minutes, c’est confortable.menhir champs dolent film

 

U : De quoi parle le film ?

H. Pravong : Ce sera bien sûr un film fantastique, puisqu’il a vocation à être diffusé hors compétition au festival Court Métrange. On est parti d’une légende pour le scénario, celle du menhir du Champ-Dolent. 90 % du scénario c’est eux et moi. Après il y’a quand même eu besoin de trouver des enchaînements logiques donc on a peaufiné de notre côté. Et puis j’ai travaillé sur les dialogues avec les comédiens.
Tout va être dans l’expression de ce qu’est un plan, comment il se construit, faire des propositions artistiques et puis leur demander de choisir et de s’exprimer.
La scripte et le premier assistant ont fourni un document que je trouve génial. Il y est écrit en grosses lettres les personnages qui sont présents dans la scène, et dans la colonne « accessoires » tout est illustré par des images. Ça donne un plan de travail accessible à tous. Je trouve ça magnifique qu’ils aient fait ça, ça me (émue)… parce que c’est pas évident pour ces professionnels-là. Et ils ont compris tout de suite.

U : Revenons au festival Court Métrange. Après des premières éditions relativement underground, le festival connaît aujourd’hui un grand succès. Est-ce que ça a changé votre façon de faire ?

H. Pravong : Non, c’est toujours une nouvelle aventure. Déjà on n’est pas dans nos petits chaussons, on n’est jamais à l’abri d’une subvention qui s’en va, d’un partenaire qu’on perd. On est toujours sur le qui-vive.
C’est vrai que la question financière est très importante. En 15 ans d’existence et malgré le succès, on a un budget de 130 000 € seulement. Avec un salarié. Donc on est tout le temps en train de s’accrocher. C’est ce qui fait notre créativité, mais c’est épuisant aussi.
Après toutes ces années, je trouve dommage qu’on n’ait pas plus de reconnaissance publique, qu’on rame encore autant pour obtenir le moindre argent. Cette année plus particulièrement. On a eu une aide régionale pour mon poste, qui s’arrête aujourd’hui au bout de 4 ans, sans relève ni rien. Nous sommes capables de financer un poste à hauteur de 50 %, pas plus. Et pourtant à côté de ça on embauche des intermittents sur le temps du festival, on a 2 CDD en plus, l’attaché de presse et Cédric Courtoux (directeur artistique). Et puis là on se rend compte qu’on va être obligé de supprimer des postes, juste pour en faire vivre un seul.

U : Comment expliquerais-tu cette difficulté à obtenir des ressources financières ?

H. Pravong : J’ai tenu ce festival, comme on me l’a souvent dit « comme une bonne mère de famille ». Et ça a été mon gros défaut, je crois… Il m’a toujours importé d’équilibrer les comptes. On devait faire des bénéfices, disons entre 500 et 1000 € et c’était notre marge de manœuvre pour démarrer l’année. Autant dire, rien. Donc il m’importait d’équilibrer. Et puis je ne pouvais pas m’endormir le soir tranquillement si on n’équilibrait pas. Mais si tu équilibres et que tu envoies un bilan positif à la fin du festival, ce qu’on te dit c’est : « Très bien, vous n’avez donc pas besoin de plus d’argent. ». Mais moi j’estime et je suis convaincue qu’en démontrant des comptes sains, on devrait avoir plus de chances de nous aider à nous développer. Si on démontre qu’on est négatif tous les ans ça veut dire quoi ? Est-ce juste une stratégie pour demander plus d’argent ? On demande à se développer, mais on ne se développe pas sur du négatif, sur des problèmes, si ? On se développe justement parce qu’il y a un engouement du public et une bonne gestion. C’est ma logique en tout cas.

SPOILERS RENNES

U : Comment est né le festival Court Métrange ? On le sait être atypique dans le panorama européen...

H. Pravong : Avec Steven Pravong, mon mari de l’époque, on est parti d’un simple constat : il n’y avait pas de festival, en France et en Europe, dédié au court-métrage de genre. C’est lui qui m’a dit : pourquoi on ne monterait pas un tel festival ? J’ai adoré ce moment-là parce que ça s’est fait à une vitesse grand V en fait. Et c’était un peu ça, nous deux, il partait d’une idée et je la mettais en place. Il a trouvé le nom « Court Métrange » que je trouve être un super beau titre. J’étais alors enceinte jusqu’au cou et je démarchais de partout en ville, les financeurs, les partenaires, etc. Et la première édition est née l’année d’après. Notre fille a le même âge que le festival, 15 ans en fin d’année.

U : C’est un festival engagé alors ?

H. Pravong : Engagé, réflexif. C’est-à-dire qu’il n’était pas question de faire du cinéma de divertissement. On voulait démontrer qu’il y avait dans le cinéma de genre une vraie vision artistique et de la part des auteurs une véritable envie de parler de leur culture, leur histoire, leurs malaises, et d’un pays à l’autre c’était tellement différent… C’est une richesse cinématographique qu’on voulait vraiment mettre en avant. C’était dur de les montrer parce que les critiques et les subventionnements n’en avaient rien à faire du cinéma d’horreur/fantastique. Et puis pas tant que ça, en fait. Et le public lui était là tout de suite, c’est ça qui était bien aussi. On connaît la suite. Mais voilà, j’ai adoré ce début, cette mise en place, l’idée. En fait ce sont souvent des gros challenges qui me portent et me tiennent à cœur.

court metrange
RENNES COURT MÉTRANGE 2018 : 17-21 OCTOBRE 2018

U : Qu’espères-tu pour les prochaines éditions ?

H. Pravong : J’aimerais que l’accessibilité reste en place. L’accessibilité pure et dure est arrivée il y a 5 ans, quand on a mis en place des projections audiodécrites et sous-titrées pour le public non voyant. On continue les séances sous-titrées pour les sourds et malentendants. L’inauguration est signée (sourds et malentendants), il y a aussi une master class qui est signée. Je m’inspire beaucoup du Festival de cinéma de Douarnenez (Finistère) où il y a une grosse communauté de sourds et malentendants, et des dispositifs intelligents mis en place pour faciliter l’accessibilité. Mais tout ça est un travail de longue haleine, ce n’est pas encore gagné. Je pense qu’ils conserveront ça, oui. Après, la nouvelle directrice proposera un nouveau projet, j’ai hâte de l’entendre d’ailleurs. Mais elle sait combien c’est important, même pour le festival, le développement des publics et sans doute elle en tiendra compte.

U : Qu’est-ce qu’on te souhaite ?

H. Pravong : J’aimerais voyager, partir au Mexique pendant 1 mois (rires). J’adore la civilisation ancienne, et les civilisations mayas et aztèques c’est un rêve d’enfant de les découvrir.

Le menhir du Champ-Dolent est un projet extraordinaire pour des personnalités peu ordinaires, où la maîtrise de la technique, la précision et la concentration sont de mises. Un film à découvrir en avant-première le samedi 13 octobre 2018, à 11 h, Gaumont, Rennes.

MENHIR CHAMP DOLENT

L’objectif de ce projet en collaboration avec les travailleurs de l’ESAT la Belle Lande Dol de Bretagne est l’inclusion de personnes en situation de handicap dans l’écriture et la réalisation d’un court métrage fantastique. Elles ont été accompagnées par des professionnels de l’audiovisuel : le réalisateur Éric Valette (réalisateur de La proie, Une affaire d’État, Le serpent aux mille coupures et de séries comme Braquo et Crossing Lines), une équipe technique 100 % bretonne et les comédiens Marie Murat, Cédric Courtoux, Klervie Casteret et Emma Pravong. Le tournage s’est tenu du 17 au 21 septembre, à Dol-de-Bretagne. Le film finalisé sera sous-titré pour sourds et malentendants.

*ESAT : établissement et service d’aide par le travail. C’est un établissement médico-social de travail protégé, réservé aux personnes en situation de handicap et visant leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle. L’ancienne appellation était : CAT.

Avec le soutien de la Fondation de France, la Fondation SNCF, l’Adapei Les papillons blancs d’Ille-et-Vilaine et la Drac, Direction des Affaires Culturelles et l’ARS, Agence Régionale de Santé de Bertagne, dans le cadre de l’appel à projet « Culture – Santé ».

Le menhir de Champ Dolent (Champ de douleur) est situé sur la commune de Dol de Bretagne / Ille-et-Vilaine. C’est l’un des plus grands menhirs du Massif armoricain : 9,30m de haut pour 8,70m de circonférence. Son poids est estimé à 120 T. Il provient du filon granitique de Bonnemain, situé à un peu plus de 4 km de là.

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