La petite île de Chypre a été soudainement dans l’actualité. Psychose autour des banques. La raison invoquée : Une soudaine taxation des transactions bancaires dans l’île pour répondre au problème de la dette selon la volonté de la « Troika » européenne. Diktat des technocrates ou hold-up des banques, beaucoup de choses ont été dites…
Situation

Chypre est une île proche de la Grèce et de la Turquie et coupée en deux depuis le conflit de 1964. Ici, il s’agit bien de la partie « grecque », reconnue par l’Union européenne et les Nations-Unies. Cette portion d’île a adhéré à l’Union européenne en 2004 sous la pression grecque qui y voyait un moyen de faciliter les investissements. En effet, Chypre a longtemps été une plaque tournante de la finance ainsi qu’un pavillon de complaisance étant donné ses avantages fiscaux.

Pour entrer dans l’Europe, Chypre a dû pourtant faire des concessions dans ses largesses fiscales et son culte du secret, pourtant moins avantageux que le Luxembourg. Mais Chypre est aussi un intermédiaire historique entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale. Ainsi de nombreux investisseurs russes y ont trouvé refuge et des sociétés se sont implantées pour faire du commerce avec les pays de l’Est ou la Turquie dans des conditions privilégiées. Après, un tel tableau idyllique, que s’est-il passé pour en arriver à une taxation inédite ?

Le million de Chypriotes n’avait pourtant rien à voir avec les cousins grecques concernant une supposée « vie à crédit » quand bien même nombre d’entre eux avaient dû recourir à un second travail lors après le passage à l’euro. L’île apparaissait comme créditrice jusqu’à ce que la dette grecque soit renégociée. Principal investisseur dans ce pays, Chypre et ses banques ont perdu des milliards dans la restructuration de la dette grecque. Ce faisant, elle s’est créé une dette artificielle du jour au lendemain. Il s’agit donc d’un effet domino qui peut donc se poursuivre chez les investisseurs principaux dans l’archipel, à savoir les Russes, touchés pour 2 à 3 milliards d’euros en théorie. (En pratique, beaucoup ont été prévenus de cette manœuvre avant que la population ne le sache.)

Pourtant si l’on revient à la cause-racine de cette dette, il faudrait examiner la dette grecque avant la crise financière et le pourquoi de son explosion soudaine qui a conduit le pays à une quasi « banqueroute ».

Source : www.les-crises.fr
Source : www.les-crises.fr

Une politique d’investissement hors de contrôle depuis les années 80
Les taux d’intérêt ont anesthésié une politique d’investissement hors de contrôle depuis les années 80, soit depuis l’entrée dans l’Europe. L’explosion des taux d’intérêt vis-à-vis de la Grèce pose pourtant des questions alors que ce pays représentait un risque très relatif. Créant un effet boule de neige (plus ils augmentent, plus la dette augmente, plus ils sont renégociés à la hausse), ils montrent la dépendance de l’économie face à des indicateurs et des décisions pas toujours logiques ou maîtrisables.

En réalité, cette frilosité soudaine des investisseurs fait suite à la crise bancaire et au manque de recouvrement possible des banques en faillite, celles-ci recevant par ailleurs des aides des États pour se sauver de la faillite. En recherche soudaine de finances, elles se retournent vers ceux auxquels elles ont prêté et bloquent les investissements à risque ou pratiquent des taux astronomiques. Là encore, l’effet domino joue à plein et la cause-racine se retrouve être à la fois le manque de contrôle sur les investissements des pays européens les plus pauvres et, surtout, le manque de contrôle dans les spéculations financières.
Aucun de ces domaines n’a subi de profonde restructuration depuis et aucun des organismes ayant profité de ce système, n’a été puni depuis. La solution proposée par la Troika n’est donc qu’un pansement sur une égratignure pendant qu’ailleurs le corps de la zone euro continue à perdre de son sang. En proposant de « punir » les banques chypriotes par cette taxation, elles punissent en réalité leurs utilisateurs, sans distinction, même si le gouvernement de l’île a proposé des dispositions pour les petits épargnants, refusées par le parlement ce mardi et conduisant à une situation de blocage.
Bientôt la France ?
Mais la question qui inquiète soudainement nos concitoyens, bien plus que le sort des pauvres chypriotes qui voient leurs économies taxées et bloquées pour éviter une fuite de capitaux, c’est de savoir si la même sanction pourrait s’appliquer en France. En effet, l’interaction entre pays et banques de la zone euro est patente de même qu’avec d’autres pays investisseurs (Dubaï a connu une telle mésaventure il y a quelques mois). L’Espagne ou même le Portugal pourraient très bien se retrouver face à un tel chantage de l’aide conditionnée à une taxation soudaine et brutale étant donné la situation économique de ces pays et le fait que les banques, sans être des paradis fiscaux, n’ont pas été raisonnables dans leurs investissements.
Par effet de cascade, les pays investisseurs et détenteurs de leur dette se retrouveraient donc en état de faiblesse après une renégociation. Les fonds français sont détenteurs de 16% de la dette portugaise, 8% de la dette grecque (source Le temps.ch). Les banques allemandes détiennent 9% de la dette espagnole et 13% de la dette portugaise. Il est donc clair que le risque existe. Pourtant, il faut tenir compte de l’aspect démographique de la question : qu’une population insulaire de 1 million d’habitants se révolte face à un tel diktat est moins risquée que pour plusieurs centaines de millions d’épargnants – c’est bien par ce type d’estimation et de raisonnement que ces décisions ont été prises. Par ailleurs, on peut s’étonner du traitement du Luxembourg et du cas Dexia, qui a couté très cher à la France et à la Belgique, mais qui a été démantelée par la suite (la filiale luxembourgeoise a été revendue au Quatar).
Un dangereux immobilisme
Plus que le risque, c’est l’immobilisme de l’Europe et de ses membres et le manque de réponse pérenne qui devraient inquiéter. Cela fait hélas plusieurs années que des économistes tirent la sonnette d’alarme. Le si brillant Dominique Strauss-Kahn appelait la renégociation de la dette grecque, provoquant l’ire de ses confrères. Devant un problème aussi profond et généralisé, il est difficile de se contenter de consensus. Sortir de cette dépendance des marchés et des taux d’intérêt pourrait être une solution à condition que le rôle de la BCE puisse être redéfini dans de tels cas d’urgence. Reste à l’UE à s’entendre sur les modalités de ce type de mécanisme. En attendant, les dominos continuent de tomber.
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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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