Christopher Wren est né en 1632 à East Knoyle dans le Wiltshire. Son existence débute dans la dernière décennie en France du règne de Louis XIII et se termine avec la fin de la Régence, incluant donc le long règne de Louis XIV. Voilà un homme qui s’est intéressé à diverses sciences et a vécu dix vies alors qu’il aurait pu se complaire dans le domaine de la spéculation métaphysique pure, sa position sociale le libérant vraisemblablement des contingences matérielles. Il reste un modèle d’expérimentateur, de théoricien, de chercheur et de bâtisseur. Entre Oxford et l’Ordre de la Jarretière, un chemin qui va de l’invention de la transfusion sanguine à l’édification de la Cathédrale Saint-Paul en passant par la mise au point de télescopes.

 

Christopher Wren
Portrait de Christopher Wren par Godfrey Kneller, en 1711

La jeunesse Christopher Wren se déroula sous la Révolution anglaise engendrée par un violent conflit entre le Parlement et le Roi qui aboutira à la destitution et l’exécution du roi Charles 1er en 1649. Succéda la dictature du très puritain Cromwell et ses Roundheads puis le retour d’une monarchie amendée et constitutionnelle avec Charles II auquel tentera de succéder son frère le très catholique Jacques II bientôt évincé par le protestant Guillaume III d’Orange Nassau descendant du Taciturne. Wren va donc connaître le passage de la Renaissance aux Lumières dans une époque riche de bouleversements politiques, philosophiques et scientifiques et peu d’hommes peuvent s’enorgueillir d’avoir eu une vie aussi pleine d’émulation intellectuelle tout en se tenant bien à distance des violences qui agitaient son pays.

La Cathédrale Saint-Paul qui est son chef-d’œuvre, mais aussi son tombeau occultera quelque peu l’étendue réelle du champ de ses préoccupations de chercheur et d’honnête homme. Sa famille est très liée à la royauté et aux Windsor, son père prénommé aussi Christopher était le recteur de sa paroisse natale avant de devenir le chapelain du roi Charles 1er. Il sera surtout le Secrétaire de l’Ordre de la Jarretière : ordre chevaleresque, mais sans doute aussi un peu ésotérique doté d’un riche rituel et comprenant des cérémonies secrètes.

 Cathédrale Saint-Paul
Coupole de la Cathédrale Saint-Paul

Le père réussit à sauver les archives de l’Ordre que son fils transmettra plus tard à Charles II. La famille de Wren sera mise à l’écart et quelque peu mise en résidence surveillée. Enfant frêle, Wren sera d’abord éduqué à domicile par un précepteur avant de bénéficier d’une solide formation mathématique auprès de son beau-frère William Holder avant d’intégrer la Westminster School de Londres, refuge des jeunes nobles royalistes. Ensuite, pendant trois ans, il assiste le docteur Charles Scarborough, le futur médecin royal, dans différentes études anatomiques, et fait aussi déjà pour son propre compte des travaux mathématiques sur le cadran solaire et réalise une maquette du système solaire.

Oxford
Oxford

À cette époque, Oxford est clairement une université royaliste à la différence de son éternelle rivale Cambridge. Christopher Wren entre tout naturellement au Wadham College à 17 ans et y reçoit sa licence en 1651 puis sa maîtrise en 1653. Il est ensuite élu Fellow de l’université All Souls la même année et vit dans ses locaux jusqu’en 1657. Il y acquit très jeune une réputation de brillant scientifique en s’intéressant tout d’abord à l’anatomie et à la physiologie. William Harvey le concepteur de la circulation sanguine, réside et enseigne à Oxford, après de solides études de médecine à Padoue auprès de Cesare Cremonini et Fabrizi d’Acquapendente. Au cours de sa carrière, il réalise plus de 40 dissections complètes sur des criminels exécutés, mais aussi sur ses proches faute de cadavre.

Sa brillante réputation lui permet d’être élu membre du Collège Royal de Médecine. Fidèle au Roi, il quitta Londres et le Saint Bartholomew Hospital et s’établit à Oxford où il avait été nommé Directeur du Merton College. Son enseignement influença fortement Tomas Willis père de la Neurologie moderne qui d’ailleurs créa la dénomination et fut l’auteur d’un célèbre ouvrage Cerebri anatome consacré à l’étude du cerveau et plus particulièrement à sa vascularisation. Christopher Wren, réalisa les illustrations très précises de cet ouvrage et utilisa pour améliorer la qualité de l’image une machine à perspective.

Robert Boyle
Portrait de Robert Boyle

Le physicien irlandais Boyle résidait aussi à Oxford ou il conçut avec Robert Hooke la « machina Boyleana » ou « Pneumatical Engine » qui démontrait la nécessité vitale de l’air chez les êtres vivants avant d’énoncer la loi qui porte son nom (à température constante le volume d’un gaz varie en raison inverse de la pression). En 1656, il réalisa avec Wren les premières injections intraveineuses de diverges substances. Christopher Wren administra ainsi de l’opium dilué dans du Xérès à un chien qu’il voulait guérir de la mélancolie. « On doit, pour ce faire, apposer des ligatures aux veines, ouvrir la veine, puis introduire une mince seringue ou le tuyau d’une plume auquel on a fixé une vessie contenant la substance à injecter ». Le procédé qu’il décrit là sera l’ébauche de la seringue moderne reprise par Wood au XIXe siècle. Le chien survécut et fut même volé… Un autre de ses camarades Richard Lower réalise la « première transfusion » d’un chien à un autre quasi exsangue à l’aide d’un dispositif similaire. Ces expériences étranges sont relatées dans l’ouvrage célèbre de Boyle The Sceptical Chymist, mais aussi dans le Journal de Samuel Pepys. Ces grands scientifiques passèrent avec quelques siècles d’avance tout près de l’anesthésie et analgésie intraveineuse sans aller plus loin bien qu’une tentative ait été envisagée sur un domestique. Le but était de comprendre l’action des poisons sur l’organisme et le cerveau en particulier.

Transfusion sanguine
Transfusion sanguine interespèce

Les dernières années d’études à Oxford de Wren le confortèrent sur la voie des sciences « dures » : les mathématiques, la physique et surtout l’astronomie. En 1657, à 25 ans il est nommé professeur d’Astronomie au Gresham College de Londres où il concevra plusieurs télescopes. Il commence à s’intéresser aux lois du mouvement : Isaac Newton lorsqu’il développa ses théories sur la gravitation su reconnaître l’importance de ce qu’il lui devait. Ses travaux portèrent aussi sur les anneaux de Saturne et les orbites planétaires qu’il avait commencé à observer à partir de 1652 dans le but d’expliquer son étrange apparence. Il exposa ses hypothèses dans son article De corpore saturni lorsque Christiaan Huygens présente sa théorie sur ces mêmes anneaux. Wren reconnaît immédiatement que cette théorie est plus satisfaisante que la sienne et ne publie pas. Mais Huygens, à l’instar de Newton, souligna l’importance de ses travaux mathématiques.

Royal Society
Burlington House, siège de la Royal Society

Le collège Gresham était un lieu de rencontre et de conférences d’un informel « Collège Invisible » né initialement au Gresham College de Londres ou se retrouvaient des médecins, des mathématiciens et des scientifiques dont Wren comme Boyle ou Hooke partageaient les conceptions philosophiques influencées par la « nouvelle science » promue par Francis Bacon dans sa Nouvelle Atlantide publiée en 1645. Charles II, le nouveau souverain rétabli sur le trône par le Maréchal Monk qui avait pourtant combattu son père, leur offrit les fonds qui permirent la création de la « Royal Society of London for Promoting Natural Knowledge » ancêtre des sociétés scientifiques modernes et des organismes de recherche de notre temps. Bien en cours auprès d’un souverain qu’il avait connu dans son enfance, Wren en fut le premier Président de 1680 à 1682. De cette société, ouverte sans discrimination de croyance, John Wallis disait en 1678 : « Nous avons banni toute discussion portent sur Dieu, les Affaires d’État et toute autre nouvelle ne concernant pas notre préoccupation philosophique pour se limiter aux questions traitant de physique, d’anatomie, de géométrie, d’astronomie, de navigation, de statique, de mécanique et d’expérimentation scientifique. »

Cathédrale Saint Paul
Cathédrale Saint-Paul

À la trentaine, tout en poursuivant des travaux scientifiques, Christopher Wren démontre par exemple que la croissance de certains coquillages suit une progression logarithmique, mais s’intéresse aussi à la météorologie, l’agriculture, la réfrigération et la balistique. Il démarre sa deuxième carrière, celle dont il a laissé le souvenir le plus important à savoir celle d’architecte. Lui qui était une sorte de génie dilettante et touche à tout, n’allant pas toujours au bout des choses, a l’opportunité compte tenu de ses profondes connaissances en géométrie de participer à la construction d’ouvrages militaires dans le Port de Tanger : il ne donnera pas suite et les Anglais se rabattirent sur Gibraltar, forteresse naturelle et puissant verrou.

Grande Loge de Londres
Sceau de la Grande Loge de Londres

Fin latiniste, il avait lu durant ses études l’ouvrage « De l’architecture » écrit par le célèbre constructeur Romain du 1er siècle av. J.C, Vitruve. En 1663, il visite Paris et Rome rencontre les grands architectes de ce temps, dont le Bernin. Il sera très impressionné par le dôme de Saint Pierre de Rome, mais plus encore par ceux de la Sorbonne et des Invalides dont il ramènera de nombreux croquis et dont il s’inspirera plus tard à Londres avec, semble-t-il, le secret désir de les surpasser… Le théâtre de Marcellus l’inspira pour construire le Sheldonian Theatre d’Oxford ou la Bibliothèque du Trinity College de Cambridge. Le grand Incendie de Londres de 1666 avait ravagé une partie de la ville dont ses plus beaux monuments. L’incendie eut cependant l’avantage de détruire des habitations insalubres et de mettre un terme à la Grande Peste tout en libérant des terrains qui permirent d’embellir la ville.

Grande Loge de Londres
Blason de la Grande Loge de Londres

En 1669, Christopher Wren est nommé Surveillant de la Loge de la Cathédrale Saint-Paul, qui était une loge opérative comme celle de la Cathédrale de Strasbourg. En 1683, vénérable de la loge de Saint-Paul, il est élu Grand-Maître de la « Très ancienne et vénérable confrérie des Maçons libres et acceptés d’Angleterre ». Il sera réélu à cette charge en 1698, mais s’en démettra après avoir été destitué de ses fonctions d’architecte de la Couronne par le roi Guillaume d’Orange.

Bibliothèque Wren
Bibliothèque Wren à Cambridge

La Cathédrale Saint-Paul bâtie par les Normands était très délabrée. Il entreprend  au début des années 1670 des travaux de reconstruction qui dureront 35 ans : son grand œuvre parmi les 200 monuments et églises dont il a dirigé les travaux en Angleterre. Il sera épaulé par un autre architecte célèbre Nicolas Hawksmoor chantre du baroque anglais. Deux réalisations architecturales de Wren illustrent certaines facettes du personnage jamais éloigné de la spéculation scientifique.

RGLE-web
Règle maçonnique

La première est la construction du dôme de la Cathédrale Saint-Paul, dont on dira brièvement que ses plans par leur ampleur inquiétèrent les commanditaires, qui refusèrent effarés les dimensions annoncées. Il sut avec acharnement mener discrètement l’ouvrage à son terme selon ses projets : il est à noter que le dôme permis aussi de vérifier la loi de déformation de Hooke son grand et plus proche ami.

Grand incendie de Londres
Monument en mémoire du Grand incendie de Londres

La seconde est le monument qui commémore le Grand Incendie de Londres : cette tour de 200 pieds (60 m de haut), ouverte sur le ciel, s’avère aussi, ce qui est peu connu un laboratoire conçu dans le but de réaliser des mesures barométriques et astronomiques en utilisant le fut de cette colonne creuse comme un télescope zénithal fixe permettant le chronométrage précis du « passage » d’une étoile d’un point fixe à un autre permettant de confirmer la rotation de la Terre.

Bien que proche d’Elias Ashmole à qui il aurait permis de consulter des archives de l’Ordre de la Jarretière, sa participation réelle à la Franc-Maçonnerie au sens moderne du terme fait encore débat. La dernière partie de sa longue vie, près de deux vies d’homme de cette époque, reste très active malgré quelques vicissitudes politiques Guillaume III l’écarte de ses fonctions d’Architecte du Royaume. Christopher Wren perd ses amis dont Hooke son confident et complice en expérimentation et surtout sa fille Jade qui lui était très proche.

tombe christopher wrane
Tombe de Christopher Wrane

Il verra cependant achevé par les soins de son propre fils, les travaux de la Cathédrale Saint-Paul, son grand œuvre. Il mourut en 1723 d’une pneumonie à l’âge canonique de 91 ans et fut enterré dans la crypte de la Cathédrale Saint-Paul. Près de sa tombe est gravé « Lector, si monumentum requiris, circumspice » : « Passant si tu cherches un monument, regarde autour de toi  ». Certains avancent qu’il faudrait plutôt lire : « Passant si tu cherches un tombeau, examine-toi ».

Sources :

Learoyd P. The history of blood transfusion prior to the 20th century-part 2. Transfus Med. 2012; 22:372-6

 Gibson WC Biomedical pursuit of Christopher Wren Medical History 1970; 14 : 331-341

Hunter M The Making of Christopher Wren. The London Journal 1991; 16:101–116

Webster C New Light on the Invisible College the Social Relations of English Science in the Mid-Seventeenth Century

Transactions of the Royal Historical Society (Fifth Series) 1974; 24:19-42

Jardine L. On a Grander Scale: The Outstanding Career of Sir Christopher Wren Harper Collins 2003

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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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