Le 2e jour du mois,  premier dimanche de février 2014, le Lieu unique était invité à investir les Champs libres dans le cadre des Premiers dimanches. Choix particulièrement judicieux tant cette scène nationale rayonne désormais au-delà des frontières de la ville de Nantes. Si les artistes ont largement rempli le contrat avec des performances de qualité, l’organisation de l’établissement culturel rennais laissait à désirer. Une fois de plus.

 

Des invités de qualité

 Les artistes que le Lieu unique a choisis pour le représenter dans la ville (rivale) de Rennes ont donné libre cours à des spectacles de qualité. Quelques exemples piochés au hasard de la programmation : une conférence philosophique pas si loufoque qu’à première vue : « Puis-je lancer un nain qui le veut bien ? » À partir de la décision du Conseil d’État d’interdire le lancer de nains en 1995, le philosophe Guillaume Durand s’interrogeait et interrogeait le public sur des questions d’éthique. Dignité humaine ou liberté ? Les deux valeurs s’opposent-elles fondamentalement ? Ces vingt minutes de grattage de méninges se passaient en fort bonne compagnie puisque l’intervenant convoquait successivement Kant et des victimes consentantes de… cannibalisme !

Vertigo, Olivia Rosenthal
Olivia Rosenthal dans Vertigo

Autre lieu, autre ambiance, la salle de conférence accueillait l’écrivaine Olivia Rosenthal qui livrait un spectacle hors-norme autour de la notion du vertige, intitulé fort à propos Vertigo. Seule sur une chaise avec en toile de fond un écran géant sur lequel défilent des images, elle livre un texte poétique et puissant, qu’elle lie au décès de sa sœur tombée du 7e étage. Le résultat est magnétique. Côté musique, plusieurs choix s’offraient au public, entre de la musique traditionnelle coréenne, ou une chorale a cappella qui voyageait dans le temps en partant de compositions latines pour arriver à Billy Joel… La qualité musicale était au rendez-vous avec des partitions originales comme sait en proposer le Lieu unique.

Shrink, Lawrence Malstaf
Shrink de Lawrence Malstaf

Les visiteurs venus uniquement pour profiter de la gratuité des expositions auront pu admirer la performance qui se tenait dans le Hall d’entrée des Champs libres. Shrink est une œuvre détonante de Lawrence Malstaf : trois perfomers sont placés dans des sacs plastiques transparents dont l’air est aspiré par un tuyau. Leur corps est peu à peu soumis à une pression plus importante. Le résultat avait quelque chose de biblique revisité : trois Christs des temps modernes au supplice, au-dessus des têtes de Rennais amusés.

Une organisation bâclée

Les temps changent, mais l’histoire se répète. Les Champs libres ont de nouveau montré qu’ils n’étaient pas à la hauteur de leurs ambitions (Unidivers avait déjà pointé un regrettable manque de professionnalisme à l’occasion du Premier dimanche du Jardin moderne au mois de novembre). Des erreurs grossières dans les agencements des spectacles ont été commises.

Citons pèle-mêle l’impossibilité de voir les mouvements au sol de l’instantané de Pierre Bolo pour tous les spectateurs à l’exception du premier rang – dommage pour une chorégraphie de… hip-hop ! Était-ce si difficile de prévenir ce ratage en installant une petite scène au lieu de placer le public à la hauteur des danseurs ? Le départ de la représentation de la musicienne E’Joung-Ju s’est fait avec le brouhaha du hall d’entrée comme fond sonore ; résultat : la musique traditionnelle coréenne était complètement noyée. Heureusement, au bout de plusieurs minutes, un agent des Champs libres a eu la lumineuse idée de fermer la porte permettant ainsi à la musique de prendre son envol. Le spectacle Vertigo a, quant à lui, commencé avec 5 minutes d’avance ; un bon tiers du public est donc arrivé en pleine représentation. Quant à la performance Sérendipité, seul un groupe de personnes se trouvant au bon endroit et au bon moment a pu y accéder. Les réservations se sont faites bien avant les horaires indiqués et il fallait être fort au jeu de piste pour retrouver le seul employé apte à vous délivrer un ticket. Ajoutez la mauvaise humeur d’une bonne partie du personnel – sûrement sous pression –, cela vous donne  un cocktail explosif…

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Une forte affluence mal anticipée et encadrée

Cette fois encore les Champs libres n’avaient, semble-t-il, pas prévu une telle affluence de public. Pourtant si les faiblesses de l’organisation étaient pardonnables lors des précédentes éditions, le record d’affluence enregistré par le Premier dimanche du Jardin moderne (10.000 personnes), était un signe avant-coureur de la réussite de cette occupation par le Lieu unique (« le spectacle à ne pas manquer » comme annoncé par Unidivers).

Moyens et ambitions : quelle vision ?

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la bibliothèque vide pour cause de grève

Aux portes des Champs libres, un autre spectacle se déroulait en parallèle. Des bibliothécaires sont en grève pour le deuxième dimanche consécutif. Ils distribuent des tracts, font signer des pétitions et se révèlent plus abordables que leurs collègues de l’intérieur. Leurs revendications?  « Cesser d’être parmi les 10 villes les moins rémunératrices de son personnel de bibliothèque de toute la France ».

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Ma bibliothèque va craquer: les Nantais sont mieux nantis!

Paradoxe : Rennes Métropole est à la traîne sur les salaires tout en nourrissant de grandes ambitions pour cet établissement culturel. Un tel écart entre  ambitions nationales et  retard dans la rémunération du personnel semble peu viable. Cette constatation est à l’image de ce qui se déroulait à l’intérieur. Les Champs libres – unique lieu d’expositions, de documentation et de conférences de grande taille à Rennes – parviennent à attirer un public important grâce à une offre diverse et séduisante quoi qu’inégale, mais ne se donnent pas les moyens de l’accueillir dans des conditions satisfaisantes.

Il n’y a pas de politique culturelle audacieuse, de personnel qualifié et de direction performante sans hommes, sans visions et sans moyens adaptés. Les Champs libres : la nouvelle vitrine culturelle de Rennes ?

Chloé Rébillard et Nicolas Roberti

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Le Lieu unique aux Champs libres : une ambition démesurée

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