Dans Ce sont des choses qui arrivent Pauline Dreyfus reconstitue un monde disparu dans un livre élégant, d’une belle langue et pointu dans ses références. La chronique d’une époque révolue et d’une certaine France…

1938. Nous sommes chez le Duc et la Duchesse de Sorrente. Elle est née princesse de Lusignan. Jérôme, noblesse d’Empire, est un peu « étroit » d’esprit et très à cheval sur les conventions. Elle, princesse alliée aux Bourbons et dont la mère est une riche héritière américaine fantasque, mais susceptible de redorer le blason Lusignan grâce à sa fortune ! Famille d’épée, de robe, d’Empire, d’aristocratie républicaine… alliances, cousinages, amitiés – tout sert à la survie de « l’espèce » !

1939. La guerre est déclarée. Le couple fuit Paris pour se retrouver à Cannes en zone libre. Tout ce monde tente de se divertir loin du conflit, installés dans leurs résidences secondaires où les uns chez les autres, mais à distance de ce qui se passe à Paris ! La vie s’écoule sur cette Riviera, censée faire oublier les tracas. De bons moments… On parle peu du sort fait aux juifs qui sont nombreux sur la Côte au début de cette guerre qui ne semble pas concerner ce monde. La débâcle, la défaite militaire, ce sont aussi « des choses qui arrivent »… La vie est douce. Les Juifs ! On en parle ; ils sont un certain nombre sur la Côte : « Kahn, Alpes-Maritimes… » un bon mot de Tristan Bernard !

Le couple a une fille Charlotte ; et « chacun vit sa vie »… Nathalie entretient une liaison et se retrouve enceinte ; « ce sont des choses qui arrivent », dira le mari ; et cet enfant sera prénommé Joachim comme son ancêtre (Murat !) et reconnu fils de Jérôme,  point capital pour l’arbre généalogique ! Tout ce petit monde vit selon des principes bien établis et avec ses bons mots pour faire oublier le quotidien.

ce sont des choses qui arriventVoilà que ce petit monde revient à Paris, ignorant l’occupation, la guerre, s’étourdissant derrière des bons mots, une vie sociale, « entre soi », bien entendu, comme si rien ne se passait ! Nous côtoyons Cocteau, les Noailles, les Lucinge, Charles de Beistegui, Jünger, et « autre beau monde » bien reconstitué par l’auteur. Mais le monde de Nathalie va s’effondrer à la suite du décès de sa mère.

Alors que les 3 sœurs se retrouvent pour trier les affaires de leur mère disparue, Nathalie apprend de ses sœurs qu’elle est en réalité leur demi-sœur ! Photos de cette époque, vacances avec une autre famille, et Nathalie va découvrir qu’elle n’est pas une Lusignan, mais la fille d’une aventure de sa mère avec un juif ami de la famille (n’avait-on pas remarqué auparavant qu’elle ne ressemblait pas à ses sœurs : brune et typée !) Tout le monde savait sauf elle.

Tous les repères de Nathalie volent en éclats…et la morphine devient sa meilleure amie. Elle s’intéresse dès lors au sort des juifs dans un monde accroché à ses privilèges et qui veut ignorer ce peuple persécuté. Ce sera alors une longue descente aux enfers pour cette jeune femme déboussolée dans cette aristocratie qui semble indifférente à l’Histoire, car accroché à ses privilèges qui pourtant s’écroulent. Des moments cruels lorsque Nathalie cherche par tous moyens à se procurer cette morphine qui seule lui apporte paix. Nathalie va décliner et meurt en 1945, bien jeune.

Mais tout rentre dans l’ordre pour le mari : les secrets sont bien enfouis, car ensevelis avec cette disparition. Ce sont des choses qui arrivent se termine sur cette fin tragique qui fait écho aux obsèques qui ouvrent ce roman.

1945. Saint-Pierre-de-Chaillot, l’une des paroisses les plus huppées de Paris. Toute l’aristocratie, beaucoup de la politique et pas mal de l’art français se pressent pour enterrer la duchesse de Sorrente. Cette femme si élégante a traversé la guerre d’une bien étrange façon. Elle portait en elle un secret. Les gens du monde l’ont partagé en silence. « Ce sont des choses qui arrivent », a-t-on murmuré avec indulgence.

Pauline Dreyfus offre à ses lecteurs un très beau livre sur les secrets de famille, leurs conséquences et les vieilles ou nouvelles élites. Un très bon moment de lecture.

Ce sont des choses qui arrivent Pauline Dreyfus, Grasset, août 2014, 234 pages, 18 euros.

Ce livre est disponible à Rennes à la librairie le Forum du Livre ou directement en ligne.
Pauline Dreyfus est née en 1969. Elle est l’auteur de Immortel, enfin (Grasset, 2012, prix des Deux-Magots). Ce sont des choses qui arrivent est son deuxième roman.
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