Un catalogue d’exposition est souvent un livre que l’on laisse sur une table de salon comme un objet de décoration. Celui consacré à l’exposition Vermeer, du 10 février au 4 juin 2023 au Rijksmuseum d’Amsterdam, mérite un meilleur sort. Magnifique en la forme, il est une Bible accessible à tous. 

Ils sont peu nombreux : 37 tableaux connus dont un volé en 1990, cinq disparus, pour probablement un ensemble d’une cinquantaine d’œuvres soit deux créations par an. Et pourtant, ces peintures de Johannes Vermeer ont marqué l’histoire de l’art. Elles sont des énigmes devant lesquelles le spectateur reste interloqué, séduit, décontenancé. Mystérieux sont ces personnages, souvent des femmes, mutiques, perdus dans des pensées inconnues. Que font-ils ? À quoi pensent-elles ? Baignés la plupart du temps dans une lumière latérale, presque divine, ces êtres nous laissent imaginer ce que nous souhaitons. Trois siècles plus tard, Edward Hopper fera ressurgir dans ses toiles silencieuses les mêmes secrets.

Mystérieuses les œuvres de Vermeer, comme mystérieuse est la vie du peintre hollandais dont tous les manuels d’histoire de l’art témoignent du vide. Décédé à quarante-trois ans, il n’a laissé aucun portrait officiel de lui mais uniquement des questions : est-il celui qui regarde le spectateur dans son tableau L’Entremetteuse ? Où et par qui a-t-il été formé ? Quelle fut sa vie ? De quoi est-il mort ? Autant de questions qui ne concernent pas une vaine curiosité mais des interrogations pour mieux cerner un créateur qui s’implique obligatoirement dans son œuvre. Lui et sa personnalité, lui et son temps, lui et son mode de vie, lui et sa place sociale, lui et sa vie affective sont autant de portes d’entrée dans une œuvre magistrale. 

Catalogue exposition Vermeer Amsterdam
L’Entremetteuse, 1656

Le catalogue de l’exposition exceptionnelle qui se déroule actuellement au Rijksmuseum d’Amsterdam, exposition réunissant pour la première fois 28 peintures du peintre de Delft, répond parfaitement à un souhait : être « plus près de Vermeer ». Il apporte de nombreuses réponses à ces questions en gardant un principe rédactionnel essentiel : décrire le plus justement possible avec un niveau de lecture accessible à tous. En deux mots : expliquer simplement.

Ainsi la description du logement de la famille Vermeer à partir de l’inventaire dressé quelques semaines après la mort du peintre n’est pas qu’un remarquable exercice d’érudition qui dit beaucoup sur le mode de vie dans le milieu du XVIIe siècle à Delft mais une étude qui nous renseigne sur l’environnement des tableaux de Vermeer et de sa capacité à ignorer le décor réel pour y substituer celui né de son imagination et de son génie pictural.

A travers l’analyse groupée par thème, et donc souvent chronologique, des différents tableaux exposés, une constante s’impose : le temps semble s’être arrêté. On peut imaginer que les personnages peints, perdus dans leurs pensées au milieu du XVIIe siècle dans la société hollandaise, réfléchissent à des problèmes de foi et de vertu mais rien n’empêche aujourd’hui de leur prêter d’autres pensées intimes en relation avec notre monde contemporain. Le repli sur soi, sur son intériorité reste une constante de l’âme humaine et la rend intemporelle comme les tableaux de Vermeer traversent les siècles. Les sujets n’ont pas, ou peu, d’interaction avec d’autres individus contrairement à la plupart des tableaux de l’époque. Le génie de Delft reprend des thèmes communs à ces contemporains tels Gerard ter Bosch ou Jan Steen, des portraits domestiques, des savants, des moments musicaux ou d’occupations domestiques, mais lorsque ces artistes peignent des scènes de genre transformées en anecdotes, lui peint des scènes intemporelles, méditatives, introverties. Il nous emmène ailleurs, dans une réalité autre.

Le catalogue complète les magnifiques reproductions intégrales des œuvres par des détails présentés en pleine page qui illustrent à la perfection les indications du texte. On sait que Vermeer était un coloriste exceptionnel qui s’appuyait sur une connaissance parfaite de la perspective et des effets de la lumière. Chez lui, le trait ne dessine plus les contours des objets ou des êtres mais c’est l’intensité chromatique et la perception de la lumière qui tracent les formes. Ces détails généreusement agrandis le démontrent à évidence et donnent au lecteur le sentiment de pénétrer dans la peinture elle-même. 

Intimité et chose publique, intérieur et extérieur, ombre et lumière, profane et sacré, ce catalogue didactique est un vrai manuel soucieux de conserver avec lui le lecteur tout au long de ses 320 pages, comme il le fait en début d’ouvrage en dressant le répertoire chronologique des œuvres numérotées mais réduites à un dixième de leur taille pour appréhender leurs proportions réelles.

Catalogue exposition Vermeer Amsterdam

Tout est ainsi pensé pour nous aider à vraiment « être au plus près de Vermeer ». Pari réussi donc mais pourtant rien, même le plus exceptionnel des catalogues, ne pourra jamais expliquer le trouble ressenti devant les silences des toiles et devant ces touches de bleu, de jaune qui emmènent le spectateur dans un univers inconnu. Jamais, et c’est tant mieux car telle est la magie de l’art. Et du génie d’un homme. 

Vermeer, catalogue de l’exposition au Rijksmuseum (Amsterdam). Pieter Roelofs et Gregor J.M. Weber. Éditions Hannibal, Rijksmuseum. 2023. 320 pages. Prix : 59 €

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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