Ce mercredi 19 mars le premier choc fut de constater l’importance de la file d’attente qui s’étirait sagement de l’entrée de l’opéra jusqu’au pied de l’hôtel de ville. Quoi? Campra dont on donne à entendre si peu d’œuvres chaque année, un Carnaval de Venise dont la dernière représentation connue se situe à Aix au cours de l’année 1975, Campra, cet auteur de l’époque de Lully et de Jean-Philippe Rameau, crée un événement d’une telle ampleur, et cela nous aurait presque échappé!! inacceptable.
Bien Campé dans l’époque baroque André Campra (12/1660- 06/1744) nous propose avec cette œuvre,sur un livret de J.F. Regnard, ce qu’il convenait , à l’époque de Louis Quatorze, d’appeler une comédie ballet. C’est un genre dans lequel il excellera.
L’intrigue en est mince et l’argument, même s’il s’en inspire, n’atteint jamais vraiment au Cornélien.Pourtant, servi par une musique rafraîchissante, passant avec facilité du sérieux au comique, il entraînera le public dans une histoire amusante portée par une mise en scène très créative. En résumé, Léonore et Isabelle sont toutes deux amoureuses de Léandre, celui-ci donne sa préférence à la seconde provoquant l’ire de la première comme la jalousie de Rodolphe qui lui, aime Isabelle. Les amants malheureux décident de tuer l’inconstant mais, par chance, se trompent de cible et Léandre réapparaît, fringant, décidé à fuir sous d’autres cieux avec celle qu’il aime. Ces événements se déroulent sur fond de carnaval et permettront aux deux metteurs en scène et plasticiens,Yvan Clédat et Coco Petipierre, de se livrer à un festival de couleur et de formes tout à fait enchanteur.Sur la scène une sorte cercle aux éléments modulaires, rappelle par instant la ville de Venise et à d’autres moments la piste d’un cirque où évoluent des artistes en répétition. De curieux personnages en forme de polichinelles blafards, disgracieux et bossus, évoluent à leur gré comme des observateurs pas tout à fait indifférents.Ils semblent être comme une huile qui permet à l’œuvre de se dérouler sans accrocs et à l’intrigue de se transporter d’une ambiance à l’autre. La dimension comique, peu évidente au début prend peu à peu sa place et nous transporte même dans une autre œuvre bien connue «Orphée et Eurydice» sous forme d’un pastiche. D’énormes boules de couleur se promènent sur scène comme des jouets ou même descendent des cintres comme des planètes. Petit coup d’œil à l’ambiance Vénitienne, cinq glands de passementerie de grande taille viennent animer le décor et servent de cachette à l’un des protagonistes. Si la musique est bien servie, le chant et la danse sont aussi célébrés. Les cinq solistes accompagnés par les membres du chœur du studio IL CARAVAGIO soutiennent avec énergie une partition clairement teintée de joie de vivre à l’Italienne. Anas Séguin plante un acceptable Léandre, Anna Reinhold et Victoire Brunet, en Léonore et Isabelle, se répondent avec talent, Apolline Rai-Westphal étincelante dans son costume de minerve manque un peu de puissance mais a une belle présence scénique, Clarisse Dalles est vraiment une bonne fortune, toutefois notre préférence, pour cet opéra, ira à Guilhem Worms solide dans tous ses rôles et même jubilatoire en Pluton. C’est d’ailleurs l’occasion d’évoquer les costumes, fabriqués dans les ateliers de l’opéra de Rennes et qui sont une remarquable réussite. La danse des démons autour de Pluton les met en valeur et la démarche de ces diables à la manière des danseuses populaires Russes est une vraie trouvaille. Dommage que, passés les premiers moments cela ne devienne un peu trop brouillon. Cette fois encore Guilhem Worms s’y montre exemplaire, malgré l’épaisseur de ses semelles de10 à 12 centimètres peu opportunes pour un ballet.
Coté musique, tous les feux sont au vert, l’ensemble IL CARAVAGIO distille de chatoyantes mélodies où la furia Italienne comme l’exactitude Française s’équilibrent avec élégance. Le mérite en revient, en partie à la jeune cheffe Camille Delaforge qui tient sa troupe d’une main précise et bienveillante, laissant ses musiciens s’exprimer. Ainsi le percussionniste Laurent Sauron, debout durant une grande partie du spectacle, nous invite à découvrir toutes sortes d’instruments avec une communicative énergie.
Cette nouvelle collaboration des membres de «La coopérative», rassemblement des forces vives de plusieurs maisons d’opéra et de spectacles, se révèle être un authentique succès . Tout y est, créativité, couleurs, brio, lumière. Notre regard comme notre esprit se perdent dans un tourbillon d’éclats et c’est précisément ce que nous recherchons, et ce que doit être l’opéra, un spectacle total.
Déjà bien représenté sur les scènes Françaises, «Le carnaval de Venise» d’André Calpra continue, après Rennes, une tournée hexagonale et offrira à un nombreux public de partager le beau moment vécu à Rennes ce mercredi.