C’est au cœur de l’effervescence du mouvement Idle no more et de plusieurs manifestations de la fierté autochtone qu’a été publié le rapport de Human Rights Watch « Ceux-qui-nous-emmènent » sur les disparitions, les meurtres et les violences subies par les femmes et les filles autochtones du nord de la Colombie Britannique.

Durant les mois de juillet et d’août 2012, Human Rights Watch a passé cinq semaines sur le territoire de la communauté carrier Sékani, laquelle a épaulé les chercheurs dans leur enquête. Les chercheurs ont interrogé des membres de dix communautés longeant l’autoroute A-16 – surnommée par les habitants de la région « l’autoroute des larmes » – où des dizaines de femmes et de filles ont disparu ou ont été assassinées depuis 1960. Human Rights Watch a entrepris ces recherches après que le groupe Justice for Girls lui ait remis un document d’information en novembre 2011 qui décrivait des manquements aux droits humains contre des femmes autochtones vivants dans le nord de la Colombie-Britannique.

Histoire

L’époque des pensionnats est l’une des causes, près de vingt-cinq ans après leur abolition, des conditions de vie déplorables dans lesquelles vivent une grande partie des gens des premières nations. 150 000 enfants auraient été enlevés à leur famille, de la fin des années 1880 jusqu’aux années 1990, pour être retenus dans les pensionnats « où il leur était interdit de parler leur propre langue ou de pratiquer leur culture. » Aujourd’hui, les jeunes autochtones sont deux à six fois plus à risque de développer des problèmes liés à l’alcool que les jeunes non-autochtones. Plusieurs des abus commis par des policiers, décrits dans le rapport de HRW ont eu lieu lors d’interventions policières contre des jeunes femmes intoxiquées par l’alcool ou la drogue. Plusieurs récits d’abus physiques et sexuels allégués se sont déroulés dans des cellules de dégrisement alors que les femmes emprisonnées avaient perdu conscience. « Ceux-qui-nous-emmènent » est la traduction française du mot « police » en langue carrier, et fait référence au rôle joué par les agents de la Gendarmerie royale du Canada durant l’époque des pensionnats. Les agents de la GRC « veillaient à ce que les enfants autochtones fréquentent un internat ». La police n’est pas vue comme une source d’aide dans les réserves, mais « [est] l’ennemi de ma communauté quand elle vient ici » selon un homme interrogé par HRW.

Discrimination et violence à l’égard des femmes autochtones

Plusieurs événements soulignent l’échec de la relation entre la police et les femmes autochtones en particulier. L’un des plus marquants est l’affaire du juge Ramsay, qui en 2004 plaidait coupable à des accusations d’agression sexuelle ayant causé des lésions corporelles. Il avait obtenu les services sexuels d’une mineure et d’abus de confiance par un fonctionnaire public, après avoir acheté les services sexuels de jeunes filles de 12 à 17 ans et avoir « brutalement abusé d’elles ». On pourrait aussi citer plusieurs cas d’abus physiques et sexuels commis par des policiers signalés depuis plusieurs dizaines d’années, sans que les plaintes des victimes ne soient pris au sérieux ou que des enquêtes ne soient menées à bien. Ceci empêche pour le moment qu’une relation de confiance s’installe entre la police et les citoyen.ne.s des communautés.

Un sentiment de peur s’est installé chez les femmes et les filles autochtones vis-à-vis ceux qui devraient en principe les protéger. Un contexte de discrimination – où 35% des femmes autochtones de plus de 25 ans n’ont pas de diplôme d’études secondaires (contre 20% dans la population non-autochtone), 8% des adolescentes de 15 à 19 ans sont des mères (contre 1.3% dans la population en général), 14 femmes et filles autochtones sur 100 vivent dans des logements surpeuplés – nuit à la reconnaissance réelle des abus et des problèmes dont elles sont victimes. Le rapport de Human Rights Watch jette une lumière crue sur un problème dont on parle très peu même au Canada. Ce que montre ces presque cent pages d’analyse et de témoignages est une situation où les femmes autochtones ont sept fois plus de risques de mourir de mort violente que les femmes et les filles non-autochtones et huit fois plus de risques d’être victimes d’un homicide conjugal, une situation où 582 femmes ou fille autochtones ont été portées disparues ou ont été assassinées entre 1960 et 2010, et dont 39% des cas se sont produit depuis 2000 (20 meurtres et disparitions par année depuis 2000).

Préjugés et incompréhension

Les femmes autochtones se retrouvent, partout au pays, dans une grande situation de vulnérabilité. La pauvreté, l’éloignement, la violence, le manque d’éducation, la perte ou l’effacement de leur culture dû aux séjours dans les pensionnats et aux pressions économiques du sud font en sorte que la parole des femmes des premières nations n’est pas ou peu prise en compte. À force de pressions, quelques programmes, quelques commissions sont mis en place pour faire taire les revendications, mais aucun processus d’éradication des discriminations n’est amorcée, ce qui laisse les femmes et les filles autochtones seules, au prise avec ces problèmes de violence de la part de ceux-là même qui devraient les protéger et de la société en générale. Les causes de cette violence sont multiples (incompréhension des mécanismes de la violence conjugale, manque d’empathie pour les personnes prise avec des problèmes de consommation – lié au manque de centres de désintoxication –, sentiment d’impunité des corps de police, etc.) et doivent être connues pour pouvoir commencer à travailler à changer les conditions d’existence dans lesquelles elles vivent.

Caroline Laplante

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