Hier, une vidéo a fait le tour de l’internet français en montrant un cadre supposé d’Orange insulter une employée de la SNCF. Il y a comme bien souvent une part d’information et d’intox dans cette affaire virale.

L’information tient à peu de faits. Tout cela s’est passé à Viroflay. Une employée de la SNCF est prise à partie. Elle a précisé à des confrères qu’elle avait demandé à un client « cadre » de s’écarter temporairement de la file d’attente pour ne pas déranger les autres clients puisqu’il répondait au téléphone. Ledit cadre s’est emporté. Depuis, l’accusé s’est bien gardé de se faire connaître et de donner sa version des faits. Le cadre est-il un lâche ou, peut-être, un comédien…

L’intox vient de plusieurs manières. L’ensemble de la presse web qui a repris l’information insiste sur plusieurs points : le fait que la personne gagne 70 000 € par mois, qu’elle soit « cadre » d’Orange et pas d’une société lambda opposant l’individu à une « employée » de la SNCF sans préciser son statut. La vidéo est reprise de manière brute avant que les informations soient consolidées avec l’entretien de l’employée où d’autres témoignages. Orange est à l’évidence un « bon client » avec l’image de société où règne le mal-être (voir la vague de suicide dans les dernières années), sans même parler de l’arrogance  d’un champion de son secteur d’activité (ici la téléphonie).

Selon le titre de la vidéo, 70 000 euros par mois : ça fait 840 000 par an, sans doute plus avec les primes et possible treizième mois (il faudrait connaître les accords dans le domaine chez Orange). Soit, devinez quoi : pile autour de la barre des mythiques 1 million d’euros par an ! Ceux que l’on va taxer à 75% ! Ledit cadre deviendrait ainsi le symbole de cette France des riches qui vit en dehors de notre monde, se moque de tout et n’est pas solidaire d’un pays en crise. Voilà qui tomberait à point nommé pour en faire un symbole justifiant de hausses d’impôts bien plus généralisées qu’il n’y paraît. « Oh regardez comme ils sont arrogants ces gens ! ». En réalité, il vaut mieux comprendre 70 000€ par an, ce qui est aussi une limite psychologique que l’on a vu utilisé par des politiciens ou des journaux pour désigner la classe moyenne par rapport aux riches.

Mais la vidéo montre aussi un autre élément : l’employée de la SNCF est mise dans la catégorie des fonctionnaires, ce qui est faux. Certes, la société fait bénéficier ses employés de solides avantages (notamment d’un parc immobilier étendu), mais comme on trouve d’autres exemples dans l’énergie, la banque, etc. Des avantages acquis de haute lutte en des temps où le travail était certes plus pénible. La jalousie envers ces supposés privilégiés n’est pas nouvelle et le cadre a priori d’Orange oublie sans doute ses propres avantages, sans même parler de sa propre productivité  au travail qui n’est pas, tout le monde en conviendra, mesurable en terme d’heures passées au bureau.

En pratique, avec chaque grève des transports, la rancoeur entre privé et public ressurgit. Elle permet surtout à nos dirigeants politiques d’éviter de lancer la nécessaire feuille de route afin d’allier enfin ces deux mondes bien plus proches que les médias veulent bien nous le faire croire. Pour preuve : un article récent du Figaro magazine sur les « avantages du public » qui assène des chiffres « au gros doigt mouillé » avec des salaires moyens sans précision sur la source, sur ce qui est pris en compte, les temps de présence, etc.

C’est bien une fracture que l’on entretient dans cette France. Une fracture illustrée par cette vidéo, comme une France d’en haut et une France d’en bas, une France des profiteurs et une France de ceux dont on profite, une France de souche et une France immigrée. Les fractures ne manquent pas. Ce qui pose problème, c’est de matraquer des images sans préciser leur contexte. Ce qui pose problème en France : c’est la pensée courte des médias nationaux et de la classe politique.

Quant au « riche », le « cadre sup » qui se sent déjà lésé dans une France perçu comme un pays d’assistés, que va-t-il penser après cette vidéo ? Certains estimeront que, de fait, on ne prend pas assez en compte leurs paroles et qu’on les montre du doigt. Mais bon, de là à penser que toute personne fortunée est nécessairement un abruti pétri de problèmes psychologiques capable de cracher : « Moi je suis supérieur à vous, parce que vous, vous allez crever » – il y a tout de même un fossé, voire une grosse couleuvre qu’on essaie de nous faire avaler tout rond.

Présenté comme cela, certes, il y a peu de chance de voir advenir une prise de conscience dans notre société que la réalité n’est pas scindée en yin versus yang : le riche n’est pas l’ennemi du pauvre, et inversement. C’est la question de l’équité, de ses limites, de la répartition, du vivre ensemble, mais aussi des abus en tous genres : des petits malins qui profitent, il y en a partout et de tous les côtés. Finalement, c’est peut-être simplement la question d’une prise de conscience : la meilleure manière de répondre à un monde cruel, c’est d’éviter de le devenir soi-même.

Quant à savoir si l’homme qui peste, va chaque mois à Saint Domingue et à la Baule est bien cadre chez Orange et gagne autant d’argent par mois, c’est une autre histoire (qu’Orange va certainement tirer au clair étant donnée la précision des informations). L’auteur de la vidéo, Valentin Reverdi, supposé avoir 15 ans, affirme l’avoir mise en ligne car « ça allait intéresser les internautes ». Pas sûr qu’il ait imaginé la portée de son acte. A moins que certaines personnes l’y aient incité. La communication politique est prête à tellement de détours pour (re)gagner son électorat…

Extraits :
« Je gagne 70 K-euros (70 000 euros par an), vous gagnez le smic alors vous fermez votre gueule. »
« Si vous aviez pas de gens comme moi à payer 10 000 euros d’impôts, vous n’auriez pas votre salaire, vous feriez quoi, vous seriez à la rue »
« Moi je suis supérieur à vous, parce que vous, vous allez crever »
« On se casse nous [les gens riches], on en a marre », poursuit-il, fier « d’aller tous les mois à Saint-Domingue pour Orange » et de passer « tous ses week-ends à La Baule ».
« Bon allez pauvre connasse ! »

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MAJ du Samedi 20 octobre

 Le voyageur qui a agoni d’injures une guichetière SNCF à la gare de Viroflay, lui assénant ses « 70K euros par mois » chez Orange, a été identifié par son entreprise. Qui assure qu’il s’agit de « propos fantaisistes ».
Après une enquête interne, l’employé d’Orange qui s’en était pris violemment à une employée de la SNCF a été identifié par son entreprise, rapporte le Parisien. Il s’agit bien d’un cadre de l’entreprise, précise le DRH d’Orange, Bruno Mettling. L’entreprise ne dévoile pas son identité et relativise les propos du cadre : les voyages en République dominicaine pour Orange et le salaire de 70.000 euros par an dont l’employé s’était vanté, seraient « fantaisistes », assure Mettling. Il gagnerait 40.000 euros, précise le Nouvel Obs. Loin de le sanctionner, comme Mettling l’avait affirmé au micro de RTL, Orange va au contraire « accompagner » cet employé, qui serait « en proie à des difficultés personnelles ».

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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