Dans Bilqiss Saphia Azzeddine brosse le portrait tragique d’une Shéhérazade moderne car Bilqiss a osé chanter l’adhan : l’appel à la prière. Elle l’a chanté à la place du muezzin, en haut du minaret ; l’une des nombreuses choses interdites pour les femmes. Traînée devant ses juges, hauts dignitaires garants du droit islamique, elle risque la peine de mort par lapidation. Pourtant, dans un face à face avec son juge, Bilqiss, telle Shéhérazade, repousse de nuit en nuit, grâce à son intelligence et son insolence la date fatidique de sa mise à mort.

 

Saphia Azzeddine, dans ce roman choral, brosse les puissantes personnalités de Bilqiss, de Hasan le juge et de la journaliste américaine Léandra.

« Vieille d’une heure et déjà accusée par son sexe », Bilqiss comprend vite qu’elle sera toujours la proie dans ce pays de charognards. Mariée à treize ans à un vieux pêcheur ventripotent, elle subit son sort en écoutant toutefois les paroles de son ancienne maîtresse Nafisa, femme iconique et inspirante qui lui apprend la littérature et la liberté ou les conseils d’un soldat américain amusé par son audace. Avec sa bonne connaissance des sourates, son impétuosité, Bilqiss s’indigne contre les interprétations du Coran à l’encontre du droit des femmes et des gens simples.

Vous flattez Dieu, mais jamais vous ne L’honorez.

L’auteur n’hésite pas à énumérer les nombreuses absurdités des lois islamiques brimant un peuple reconnu reconnu autrefois pour son savoir et muselant leurs moitiés au prix fort. Bilqiss accuse ces hommes qui contraignent les femmes à se protéger derrière les burqas aux belles couleurs pour leur plaisir personnel.

Protéger de quoi ? hurla-t-elle, les yeux révulsés. Protéger de qui ? De vous, les hommes ? Vous admettez donc que vous êtes dangereux ? Que vous êtes le problème ? Ai-je demandé à être protégée, moi ? Si vous êtes dangereux, c’est vous que l’on doit tuer, pas nous que vous devez sacrifier…

Bilqiss Saphia Azzeddine Intelligente et audacieuse, Bilqiss affronte ses accusateurs attisant leur colère, mais elle séduit aussi le juge Hasan qui a toujours préféré les diablesses impétueuses aux femmes soumises et souffreteuses. Après la mort de Nafisa, la maîtresse d’école qu’il a contrainte au mariage par passion, il vit paisiblement avec une jeune femme servile. Son nouveau métier lui impose la rigueur, mais son âme cherche le piment d’une autre façon de vivre.

Des vies plus légères comme celles entrevues sur les émissions télévisées des chaînes câblées ou celles de cette journaliste, Léandra venue de son riche milieu américain dans ce pays aux maisons détruites par les obus, aux femmes en burqas et aux nombreuses règles à respecter.

Léandra, riche juive américaine venue chercher un sujet à sensation ne parle pas le même langage que Bilqiss. L’auteur ne rate pas l’occasion de caricaturer cette Amérique qui torpille pour venir ensuite panser les plaies sous le prétexte de l’humanitaire, un humanitaire qui devient lui aussi un acte commercial.

Léandra, c’est la raison pour laquelle il faut se méfier de ses bonnes intentions. Elles ne suffisent pas. Ce que nous connaissons de vous, c’est le pire: vos soldats, vos mercenaires, le pillage que vous faites de nos biens et vos chanteuses dénudées. Vous arrivez chez nous, trop belle, trop gaie et trop chanceuse. Je sais que vous êtes admirative de notre famille et que, une fois rentrée dans votre pays, vous direz à tout le monde que nous ne sommes pas tous des terroristes, qu’il y a des gens incroyables ici, mais cela ne changera rien à nos vies. Nous sommes profondément malheureux, amers et désespérés. N’essayez pas de vous faire aimer de nous, nous n’en avons pas les moyens.

Miroir de son personnage frondeur, Saphia Azzeddinne en femme de caractère écrit un roman courageux qui pointe ce qui indigne en tant que femme, notamment femme musulmane et ce qui choque dans la différence de perception entre orient et occident. La construction autour de différents points de vue, la personnalité des narrateurs et l’ironie grinçante de Bilqiss donnent un rythme soutenu et accrochent au récit jusqu’au dénouement inattendu qui nous rappelle que nous sommes aussi dans une fiction romanesque.

Avec Bilqiss, Saphia Azzeddine écrit un vibrant hommage aux femmes du monde qui se battent pour défendre leurs droits.

Bilqiss Saphia Azzeddinne, Stock, mars 2015, 216 pages, 18€

Saphia Azzeddine est une écrivain et scénariste franco-marocaine. Elle a publié entre autres La Mecque-Phuket et Confidences à Allah, qui a été un bestseller, et a écrit et réalisé Mon père est femme de ménage.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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