42 195. Si ce nombre à cinq chiffres évoque pour vous un multiple de 3,14 ou l’âge du capitaine Haddock, vous pouvez passer votre chemin. Mais si ce nombre vous évoque une course, ce livre de Bernard Thomasson est pour vous.

 

Courir est mon plaisir. Une échappée belle à portée de jambes. Courir est un besoin. Une bulle qui suspend la vie. Courir offre une liberté insolente. Une ligne de fuite. Mais courir peut rendre prisonnier. Moi, courir m’a sauvé.

Bernard Thomasson En ajoutant deux petites lettres « km », comme….kilomètre, vous en êtes désormais certain: il s’agit de la distance du marathon, pas celle entre Sparte ou Marathon et Athènes mais celle entre le château de Windsor et la ligne d’arrivée sous la loge royale d’Édouard VII du stade olympique de Londres en 1908. Vingt-six miles et trois cent quatre-vingt-cinq yards. La distance mythique venait de naître. Elle allait entraîner dans son sillage une cinquantaine de participants par épreuve dans le début des années soixante-dix et plus de cinquante mille adeptes il y a un mois à Paris. Comme les triathlons ou les sports extrêmes, ces trente dernières années ont vu croître le nombre de ces femmes et de ces 42 km 195hommes soucieux de repousser leurs limites physiques et psychologiques pour combattre un confort matériel de plus en plus grand ou chercher un dépassement de soi. Valeur référentielle pour tous ces coureurs en herbe, le marathon est devenu un mythe et le maillot « finisher » remis à chacun après sa réussite, un signe de reconnaissance entre « initiés ».

Initié, Bernard Thomasson, journaliste à France Info, et romancier, l’est assurément (il a couru une vingtaine de ces épreuves dans le monde) et ce statut l’autorise à écrire sur le sujet et surtout à le comprendre et à le maitriser. Impossible en effet pour un romancier de traiter un tel thème sans l’avoir vécu. La description de sa propre foulée, le mouvement de ses bras, la respiration syncopée, la courbe sinusoïdale des sentiments, le « mur » des trente kilomètres, l’envie d’arrêter, toutes ces sensations, Bernard Thomasson les décrit parfaitement comme un habitué et ses mots restituent avec justesse les enjeux personnels de trois à quatre heures d’efforts d’efforts sur le bitume. Mais en bon romancier, même en manipulant les mots avec justesse, il sait que cet itinéraire personnel n’est pas suffisant pour le lecteur. Alors son « je » n’est pas un coureur comme les autres, mais un détenteur d’un secret qui le distingue des autres participants de ce marathon de Paris qui sert de support au récit.

Bobbi Gibb
Roberta « Bobbi » Gibb

Pour élargir le thème, le journaliste crée un personnage essentiel Maverick, écrivain (tiens, tiens ?) qui a publié un livre référence sur le sujet et parcouru déjà quarante-deux marathons comme les quarante-deux chapitres du livre. Par le truchement de cet auteur et les extraits de son ouvrage, le texte quitte ainsi l’asphalte parisien pour évoquer les marathons du monde entier, leur parcours, leurs anecdotes et leurs histoires parfois étonnantes comme celle de Roberta Gibb qui prit le départ du marathon de Boston en 1966 cachée derrière un bosquet en raison de sa condition de femme. Ce n’est qu’en 1984 à Los Angeles que les femmes purent ainsi prendre part sur cette distance à la fête olympique.

Appuyé de nombreuses références littéraires empruntées, ou d’autres formules de son crû, « un marathon c’est trente kilomètres d’attente et douze kilomètres cent quatre-vingt-quinze de course », Bernard Thomasson a voulu embrasser dans un seul récit de nombreux types d’ouvrages liés à ces parcours mythiques. Parfois, les ficelles deviennent un peu grosses mais dans un ouvrage unique romancé, se trouvent ainsi liées une histoire individuelle, où chacun des athlètes-lecteurs anonymes devrait se retrouver, et une histoire collective, sportive et littéraire. Si l’on oublie les procédés littéraires, la lecture qui file de la place de la Concorde aux voies sur berges de la Seine, en passant par la Maison de la Radio (un clin d’œil qui ne pouvait être oublié), est un agréable moment de détente où l’on peut prendre le temps de respirer et de récupérer. On a même envie de rejoindre Bernard Thomasson dans sa quête pour aller courir à Tromso en Norvège ou à Marrakech, fouler le sol sous le soleil de minuit ou sous les palmeraies marocaines, car courir un marathon c’est aller à la découverte de soi mais aussi de paysages inconnus.

« 42km195 » est un livre à destination des marathoniens amateurs, de leur entourage. Un livre à se procurer à toute allure. À grandes enjambées.

 Bernard Thomasson 49 km 195, Flammarion, mars 2015, 18€

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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