Petit glossaire à l’usage d’une lecture confortable :
U-Bahn = Métro ; S-Bahn = R.E.R
R.D.A. = République Démocratique Allemande (Allemagne de l’Est)

Johann David Ludwig Yorck von Wartenburg

Genèse

Nous sommes le 30 décembre 1812. Johann David Ludwig Yorck von Wartenburg, général de l’armée prussienne, signe la Convention de Tauroggen qui marque avec brio le retournement de la Prusse contre Napoléon 1er. Cette victoire lui vaudra une postérité tardive dans la future Allemagne, qui choisira de lui rendre hommage en donnant son nom à une station de S-Bahn au centre de la rue qui lui faisait déjà honneur. Quatre-vingts ans se sont écoulés lorsque, le 31 mai 1992, cette station est rebaptisée Bahnhof Yorckstrasse.

Les années 30

Adolf Hitler n’aimait pas Berlin qu’il choisit de reconstruire en Germania Welthauptstadt « capitale du monde ». Son architecte, Albert Speer, fut chargé de dessiner les plans pharaoniques d’un projet voué à l’affaissement général. On le sait aujourd’hui, les sols marécageux de Berlin n’auraient jamais supporté la prodigieuse quantité de marbre nécessaire, et Germania se serait enlisée comme une cathédrale au milieu des sables en moins de temps qu’il eut fallu pour la construire. Le stade olympique, le bâtiment du ministère des Finances de la Wilhelmstrasse, et l’aéroport de Tempelhof restent aujourd’hui les uniques vestiges de ce projet. Quel rapport avec Bahnhof Yorckstrasse ? Le projet Germania envisageait une refonte générale du réseau ferré de la ville. En l’attente, plusieurs stations furent déplacées d’une centaine de mètres en aval des terminaux, d’autres ont vu leur entrée changer de rue, l’ensemble devant correspondre au plus exact de l’harmonie hitlérienne. Bahnhof Yorckstrasse releva d’un cas particulier puisque, malgré l’initiation des travaux, son déplacement ne fut jamais finalisé. Elle est depuis entretenue comme l’on rustine une vieille chaudière, avec l’espoir qu’elle se maintienne le plus longtemps possible.

Germania Welthauptstadt : maquette du projet de nouveau Reichstag par Albert Speer
Germania Welthauptstadt : maquette du projet de nouveau Reichstag par Albert Speer

Après guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, la responsabilité des transports ferrés berlinois fut partagée entre les alliés : France, USA, Royaume-Uni et URSS. Ainsi, les structures fixes : rails & gares, devaient être entretenues par les soviétiques, les rames et le matériel mobile, par les pays de l’Ouest. C’était, bien entendu, sans compter la mésintelligence des futures relations Est/Ouest dont la ville deviendra l’épicentre mondial. Chacun investissant au mieux de ses intérêts, l’essentiel des stations de Berlin-Ouest fut consolidé tant bien que mal par le RDA, mais jamais rénové – cela jusqu’au début des années 90. Car reconstruire une gare nécessite des dépenses pharaoniques, à commencer par les tunnels de correspondances, fameuses interconnexions permettant de relier la S-Bahn à la U-Bahn. Raison pour laquelle Bahnhof Yorckstrasse laisse voir aujourd’hui encore un effet délabré de pauvre manoir en ruine, et les touristes s’étonnent qu’il faille sortir à l’air libre afin de passer du réseau interurbain à l’urbain.

Bahnhof Yorckstrasse - Copyright Jérôme Enez-Vriad
Les 25 ponts de la rue…

Aujourd’hui

Au-delà d’être l’hommage d’une ville à un valeureux général tudesque, Bahnhof Yorckstrasse est devenue un lieu incontournable de la culture berlinoise. Les 25 ponts de la rue (vous avez bien lu : vingt-cinq) sont un merveilleux sujet d’étude pour photographes, avec d’innombrables possibilités de mises en place d’images. La lumière est belle, éclatante et sonore. Un amateur sans talent repart avec la certitude d’avoir soustrait celui de Manfred Hamm. On retrouve aussi la rue et sa gare dans de nombreux romans, dans le texte de chansons contemporaines ou d’époques, et il n’est pas rare d’y voir installés les camions d’un tournage. Romans, disques, films et téléfilms, sous les ponts obscurs et ténébreux de Yorckstrasse, l’histoire d’une ville et d’un pays se conjugue… à tous les temps.

Article précédentRendez-vous sous la couette, invitation à la rêverie au cœur de Mettre en scène
Article suivantDu carburant à base d’animaux, quelle rentabilité environnementale ?
Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici