Beggar’s opéra de John Gay et Johan Christoph Pepush déboule à Rennes. A peine dix jours après le succès du conte Ory de Rossini, l’opéra de Rennes ouvrait à nouveau ses portes à une œuvre aussi étonnante qu’inattendue, l’opéra des gueux. Pour les amateurs d’œuvres classiques, friands de divinités exemplaires ou d’attendrissantes idylles, le choc fut rude. Rien de plus iconoclaste et paillard que cet opéra populaire, volontiers grossier et sans complexe. Cet anti-opéra dynamite les codes du genre avec férocité.

Beggar’s opéra a vu le jour en 1728. Il est la vivante manifestation d’un rejet de l’opéra à l’italienne comme le proposait Haendel à cette époque ; jugé trop classique, élitiste, parfois ennuyeux. Parenthèse didactique, c’est cette œuvre qui a inspiré, deux siècles plus tard, en 1928, l’opéra de quatre sous par Kurt Weill sur un livret de Berthold Brecht.

beggar's opera

L’action se déroule dans les bas-fonds de Londres ou voisinent putes, maquereaux et autres escrocs à la petite semaine, mendiants, voleurs, tout cela baignant dans un magma délétère, celui de la misère, de l’ignorance et de la violence. Cela n’empêche pas nos détrousseurs de tous poils d’afficher un bel optimisme et la pièce s’ouvre sur un énergique ballet façon hip hop, au cours duquel nos malandrins affirment la nécessité sociale de leur existence. Ils accompagnent leur danse de chants, de cris et autres vociférations qui nous éloignent d’emblée d’une conception classique de l’opéra. Nous trouverons une éclatante confirmation de ce sentiment lorsque les autres personnages se mettent à chanter. Finies les opulentes cantatrices aux aigus fabuleux. Exit les ténors et leurs morceaux de bravoure.

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Quant interviennent Robert Burt, en Mr Peachum, et sa sulfureuse épouse interprétée par Beverley Klein, deux pensées contradictoires  nous viennent à l’esprit. La première se résume à un mot « gargantuesque» ! L’autre ressemblerait plutôt à : qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Les choses ne vont guère s’améliorer avec l’entrée en scène de l’excellent Filch, alias Sean Lopeman, affublé d’une voix évoquant un chat émasculé qui se serait coincé la queue dans la porte. A ce moment d’alternative, ou l’on adhère ou l’on se sauve de l’opéra en courant. Nous avons décidé de rester, et ce fut une bonne décision.

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Le décor de cartons empilés jusqu’au plafond de manière anarchique se révélera une bonne idée. Il correspond à l’esprit de la pièce. Sa conception modulaire permet de le transformer facilement en porte, en armoire ou en bar en fonction des nécessités de la très dynamique mise en scène proposée par Robert Carsen. Dynamique sera sans doute le mot en forme de fil rouge de cette production. Le public est à tout moment emporté par l’énergie que dégage cette troupe jeune et talentueuse ; et cela, même si les 1h50 de spectacles sans entre-acte, nous mettent un peu à rude épreuve.

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Heureusement Kate Batter, dans le rôle de Polly Peachum, l’amoureuse trahie, nous apportera de jolis instants d’apaisement, elle partage ce compliment avec Olivia Lebreton, dans le rôle de Lucy, tout aussi amoureuse et pas moins délaissée. Le traître, c’est Macheath, accessoirement chef des bandits, grand amateurs de cinq à sept avec des vénus mercenaires et totalement immorales. Il est parfait ! Le rôle sera tenu par Benjamin Purkiss avec un réel brio et une convaincante présence scénique. Même sensation pour Kraig Tomber, dans le rôle de Lockit, directeur de la prison, qui démontre une solide expérience et incarne avec talent un personnage foutrement véreux.

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Et la musique dans tout cela ? William Christie et les membres des arts florissants, au nombre de dix, judicieusement placés sur scène, ont offert une interprétation de qualité. Le son des instruments anciens a restitué l’ambiance particulière des chants populaires des XVIIe et XVIIIe siècle qui sont en quelque sorte «recyclés» et viennent servir l’intrigue. Un long entretien avec la percussionniste, Marie Ange Petit, disciple de Philippe Herreweghe, chef et fondateur de l’ensemble la Chapelle royale, nous a apporté un éclairage des plus intéressants : notamment que la partition de l’œuvre se limitait quasiment à deux lignes mélodiques sur lesquelles les musiciens improvisaient à leur gré. Cela rend leur travail encore plus digne d’admiration et de louanges.

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Vous l’aurez sans doute compris, Beggar’s opera est une œuvre atypique, iconoclaste et anti-bourgeoise qui mérite votre curiosité. Il faut immédiatement accepter la transgression des codes et se laisser aller à l’enthousiasme qui submerge immanquablement un auditeur, fourvoyé par la présence du mot opéra dans le titre.

beggars opera

Sans doute un peu ancêtre d’un genre qui portera plus tard le nom de comédie musicale, on ne peut occulter le désir de singularité si profondément consubstantiel à l’esprit anglais. On peut presque parler d’insularité. D’un anti-opéra à un Brexit, un féroce esprit d’indépendance s’affirme dans la continuité. Lorsque l’on sait que l’Opéra des gueux fut présenté en ouverture à l’occasion de l’inauguration du très sérieux Opéra Royal de Londres, en 1732, (Covent Garden), comment s’étonner que le public rennais ait trouvé cette œuvre So British !

BEGGAR’S OPERA 

Ballad opera de John Gay et Johann Christoph Pepusch
Dans une nouvelle version de Ian Burton et Robert Carsen
Mise en scène Robert Carsen
Conception musicale William Christie

Scénographie James Brandily
Costumes Petra Reinhardt
Chorégraphie Rebecca Howell
Lumières Robert Carsen et Peter van Praet
Dramaturgie Ian Burton
Collaboration à la mise en scène Christophe Gayral
Assistant à la mise en scène Stéphane Ghislain Roussel
Création maquillage/coiffures Marie Bureau du Colombier
Création son Léonard Françon
Directeur de casting David Grindrod CDG
Surtitrage Richard Neel
Stagiaire costumes Jana Höreth
Stagiaire scénographie Ava Rastegar
Avec
Macheath Benjamin Purkiss
Mrs. Peachum / Diana Trapes Beverley Klein
Harry Dominic Owen
Betty Emily Dunn
Jenny Diver Lyndsey Gardiner
Matt Gavin Wilkinson
Dolly Jocelyn Prah
Polly Peachum Kate Batter
Lockit Kraig Thornber
Suky Louise Dalton
Molly Natasha Leaver
Lucy Lockit Olivia Brereton
Mr. Peachum Robert Burt
Filch Sean Lopeman
Jack Taite-Elliot Drew
Robin Wayne Fitzsimmons
Et les musiciens de l’ensemble Les Arts Florissants
Direction et clavecin (en alternance) William Christie ou Florian Carré ou Marie Van Rhijn
Recherches musicales Anna Besson et Sébastien Marq
Edition musicale Pascal Duc (les Arts Florissants)

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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