Le dessinateur italien Manuele Fior nous invite à musarder dans les allées du musée d’Orsay pour une rêverie poétique autour de tableaux impressionnistes. Magnifique et envoûtant.

 

les variations d'orsay

C’est une étendue grise, ou plutôt brune, noire parfois. Elle se déplie et semble vouloir prendre tout l’espace. Seule la marge blanche de la double page l’arrête. Des stries claires brisent la monochromie figeant un horizon lumineux. Et puis en bas à droite, comme un intrus, un oiseau improbable va quitter l’espace de papier. Il a un bec de pélican, un corps de flamant rose et plane, plane comme dans un rêve, comme enfui d’un tableau du Douanier Rousseau. Comme un symbole de la dernière BD du talentueux Manuele Fior. Le dessinateur italien nous invite dans une balade onirique à redécouvrir au gré de ses états d’âme le lieu et les tableaux de la gare d’Orsay devenu musée en 1986. Après l’iconoclaste « Moderne Olympia » de Catherine Meurisse (voir chronique Unidivers), les éditions Futuropolis et le musée parisien poursuivent ainsi leur collaboration. Le registre abandonne l’humour de la dessinatrice de Charlie Hebdo pour celui de la déambulation poétique.

les variations d'orsayUn préalable est indispensable pour la lecture de cette BD : lâcher prise, accepter de mettre ses pas dans ceux du dessinateur italien, car l’histoire est sans histoire. Ou presque. On se glisse parfois dans les pensées d’une gardienne de musée ou de la Charmeuse de serpents de Henri Rousseau. On est parfois en 1889 à l’ouverture de l’exposition universelle de Paris, ou en 2015 avec un audio guide. On déambule ainsi dans le temps et dans les travées du musée portant notre rêverie sur quelques tableaux majeurs de Monet, Cézanne ou Gauguin. Les peintures ne sont pas fidèlement reproduites, mais suggérées, vues à travers l’imagination de chacun même si Fior en connaît parfaitement l’histoire. Edgar Degas, ce peintre misogyne, antisémite, peu sympathique demeure le seul point d’ancrage de ses « variations », celui qui sert à raconter la naissance du mouvement impressionniste, la première exposition des « Intransigeants » chez le photographe Nadar. Fior nous invite à partager par touches la petite et grande histoire de cette période fondatrice de l’Art moderne pour mieux nous offrir son imaginaire.

les variations d'orsay
L’auteur avait été révélé au grand public en 2011 avec son magnifique ouvrage Cinq mille kilomètres par seconde qui avait obtenu le Fauve d’or au festival d’Angoulême (*) où ses dessins avaient éclaboussé l’ouvrage primé. Cette fois-ci la gouache sert de support à une BD où toutes les pages s’harmonisent dans une dominante chaude de brun, marron, couleur chair. Fior, sans copier a cherché à se placer dans la démarche des peintres, dans leur technique, pour mieux capturer leurs œuvres et leur donner une nouvelle vie. Le modèle de « La Source » de Ingres est ainsi magnifiquement dessiné et peint dans un portrait somptueux plus proche de Modigliani que du portrait original. Fior a visiblement voulu éviter la reproduction s’offrant le privilège d’interpréter des œuvres universelles.

Manuele Fior
Manuele Fior

« La charmeuse de Serpents » du célèbre Douanier, qui nous guide dans la gare y compris dans les sous-sols, est mentionnée dans une notice explicative comme annonçant « les rêves surréalistes à venir ». « Que de conneries » s’écrie à cette lecture une gardienne du musée. Fior s’évertue tout au long de ses 72 pages à démontrer à cette employée imaginaire que les œuvres du musée d’Orsay sont une fracture dans l’histoire de l’art et ont ouvert en grand les portes de la création. Un siècle et demi plus tard, l’auteur poursuit le chemin. Sans trahison, mais avec toute la liberté qu’offre la création. Une liberté que les impressionnistes avaient revendiquée en leur temps. Et que Fior s’arroge à son tour, avec tout son talent.

Les variations d’Orsay Manuele Fior, Coéditions Futuropolis Musée d’Orsay. 72
pages, octobre 2015, 16 €.

(*) ce magnifique album est réédité dans une version agrandie et sur un papier de meilleure qualité mettant encore plus en valeur les magnifiques aquarelles du dessinateur.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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