Shibumi ? Ce mot ne vous évoque rien ? Alors lisez cette remarquable BD de Pat Berna et Jean-Baptiste Hostache parue aux Arènes en septembre 2022, et vous apprendrez la signification d’un concept essentiel. Dans le monde de l’espionnage, mais aussi dans la vie de tous les jours.

Il est une règle d’or pour un chroniqueur de livres ou de films : ne jamais écrire totalement l’histoire. Évoquer, mais ne pas raconter. Parfois cela est difficile, car le scénario tient tout. Mais parfois, cela est bien utile, même salutaire, pour le rédacteur, comme avec cette BD, Shibumi . Vous prenez les attentats palestiniens de septembre noir aux Jeux olympiques de Munich en 1972, des contre-terroristes israéliens chargés de la riposte, des espions, des contre espions, des contre contre espions, le Mossad, l’OLP, la Mother Company, compagnie américaine qui joue le double jeu, l’armée rouge japonaise, des intérêts pétroliers et au-dessus de cela le Pays basque où réside un individu hors norme, Nicholaï Tel. Joueur de go, né en Chine, élevé par un général japonais doté d’une intelligence exceptionnelle, il est considéré comme l’assassin le plus doué et le plus recherché des services secrets du monde entier.

Vous mélangez le tout et vous obtenez un récit clair, palpitant, fluide, Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache ayant réussi à adapter parfaitement le roman éponyme, tentaculaire, aux trois millions de lecteurs, de Trevanian, auteur américain, philosophe et critique acerbe de son pays — une postface de Philippe Beyvin donne d’ailleurs un éclairage intéressant sur les « mystères Trevanian ». Quarante-trois ans après sa parution, la BD met des images, des visages sur des personnages mondialement connus et nous emmène dans un récit palpitant et captivant aux mille facettes et intrigues, que les auteurs par souci de compréhension du lecteur résument à plusieurs reprises à travers les dialogues des personnages.

À cette histoire, qui est tout sauf cousue de fil blanc et qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page, il faut, comme dans tout récit d’espionnage, d’autres ingrédients. Disons de la politique internationale, du sexe, de l’humour.

Commençons par… le sexe. Il s’agit plus souvent et plus sûrement de « l’avant » et de « l’après », rien qui interdise la lecture aux mineurs si ce n’est la manifestation d’une satisfaction complète finale et quelques obsessions d’un personnage pour les jolis décolletés.

La politique ensuite. Elle est omniprésente et inscrite dans le contexte de la fin des années 1970. Négligemment, le récit dresse une violente critique de la politique des États Unis qui manient l’idéologie libérale quand cela sert surtout ses propres intérêts. Allié officiel d’Israël, mais allié en sous-main des pays arabes fournisseurs de pétrole. Le cynisme est de rigueur à chaque page autant à l’évocation de l’Ira que des services espions de tous pays.

L’humour enfin. Les auteurs nous offrent un décalage formidable, que l’on croirait décrit par un Français, entre le monde américain et le Pays basque. Personnages ruraux exceptionnels de fantaisie et de gouaille, dialogues moqueurs à l’égard des cow-boys américains au sentiment ridicule de supériorité, ami basque de Nicholaï aux principes et aux préceptes souvent basés sous la ceinture, l’humour vient de la confrontation de deux mondes. D’une part, celui d’un village avec ses secrets, ses codes et ses solidarités collectives et d’autre part, l’univers étranger, individualiste, prétentieux et stupide des États Unis. Le sourire devient alors satire féroce et réjouissante même quand les vieilles, qui ressemblent à des silhouettes de Bretonnes des peintures de Paul Gauguin, dressent un portrait peu flatteur, mais hilarant, d’une jeune femme au short trop court, qui va devenir dans leur mépris, une « putain de Bayonne » à qui elles inventent une histoire fantasmée.  

Il ne manque plus alors que le héros, ce Nicholaï, dont on vous a dressé plus haut le pedigree et qui est le personnage central. Disons qu’il est : intelligent, doué, se vend au plus offrant ou gratuitement si la cause est sentimentale. Un peu James Bond. On peut ajouter qu’il est séduisant, beau, ressemblant à des personnages de Christophe Blain, amant exceptionnel et finalement qu’il est… shibumi. Shibumi ? Mais encore ? « Dans la personnalité d’un homme, c’est… comment dire ? L’autorité sans la domination ? Quelque chose comme cela ».

Voilà, vous savez tout. Ou presque tout. Tout est en apparence confus, mais tout est en réalité limpide. Tout est cynique, mais tout est drôle. Tout est prévisible, mais tout est imprévu. Un vrai choc de cultures et de lecture.

Shibumi, Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache, d’après le roman de Trevanian. Éditions Les Arènes. 224 pages. 29,90 €.  

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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