Avec Le Sang des cerises, neuvième et dernier opus des Passagers du vent, François Bourgeon clôt magnifiquement une série mythique. Hissez les voiles !

C’est un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. C’est un temps où les héroïnes ne couraient pas les rues, ni les pages des BD, sauf à être sexy. Et pourtant François Bourgeon avec le premier tome des Passagers du Vent donnait la première place à une femme, Isa. C’était il y a quarante-trois ans, la période nécessaire pour que le créateur achève enfin les neuf volumes de la saga qui fait déjà date dans l’histoire de la Bande dessinée. Près de cinq ans de gestation par album pour raconter un peu plus d’un siècle d’histoire, de Louis XVI à la naissance de la IIIe République, période de ce dernier album. Une série qui commence par un cri « Un homme à la mer ! » et qui s’achève par « N’empêche … c’est beau la mer ». L’océan comme un trait d’union entre ces neuf albums, un lien narratif et graphique incontournable, des mâts de misaine aux vagues tempétueuses de Haïti et de Bretagne.

Avec son premier tome, « La fille sous la dunette », Isa s’embarque, déguisée en homme, à bord d’un vaisseau de la Royale. Elle choisit l’exil, vit de multiples révolutions en Amérique et devient dans le cinquième album du premier cycle, mère. Dans les deux albums suivants, Zabo, arrière-petite-fille d’Isa subit de plein fouet les violences et les ravages de la guerre civile américaine avant, dans le troisième et dernier cycle, de retourner en France. Deux femmes exceptionnelles racontées par un homme qui déclare qu’ « apprendre à rester moi tout en utilisant ce qu’il y a de féminin en moi est un enrichissement de chaque jour », profession de foi qui s’accompagne tout au long du récit de préoccupations politiques permanentes, tant l’Histoire dit et télescope le présent.

Ce récit résumé de manière linéaire est juste mais aussi incomplet et inexact car comme Pierre Lemaitre qui sait dans ses romans raconter à la manière d’un conteur au coin du feu, François Bourgeon nous prend par la main et nous transporte ailleurs avec un sens inné du découpage, de la chronologie fragmentée qui alterne les flash-backs, les ellipses, en gardant au récit toute sa fluidité. On traverse ainsi les périodes mythiques de notre Histoire, de la guerre d’indépendance américaine à la traite négrière sans négliger la révolution haïtienne, la guerre de Sécession et finalement la Commune de Paris du Sang des cerises.

Que dire du dessin du « breton de cœur », Prix du meilleur dessinateur à Angoulême en 1980, qui s’est bien entendu modifié au cours de ces décennies pour s’aérer mais reste toujours aussi empreint du détail « vrai » ? On connait l’atelier du créateur empli de maquettes de bateaux, de villes et villages reconstitués en carton pour restituer les lieux et les objets à la perfection. Un auteur qui lorsqu’il décrit un crime une nuit de pleine lune en 1351, s’adresse à l’Observatoire de Paris pour avoir le calendrier des lunaisons, non pas pour paraitre sérieux mais comme il le déclare « pour croire à mes propres histoires car j’ai besoin d’être un lecteur convaincu ».

Plus que cinquantenaire, lecteur convaincu on l’est. On a vu Isa et Zabo vieillir au long de ces six cents pages mais, comme l’indique la quatrième de couverture, l’héroïne n’en a jamais moins aimé la vie, une vie qu’elle a fait partager tout au long de ses quarante ans. Quatre décennies que les jeunes chanceux vont pouvoir découvrir en quelques heures de lecture, en une fois, sans attendre quatre ans pour connaitre la suite. Et sans vieillir !

Le Sang des cerises, tome 9 des Passagers du Vent de François Bourgeon, Éditions Delcourt. 132 pages. 23€95. Parution : 23 novembre 2022.

Les Passagers du Vent se composent de neuf albums.
Cycle 1 : cinq albums : La fille sous la dunette, Le Ponton, Le comptoir de Juda, l’Heure du serpent, Le Bois d’ébène.
Cycle 2 : deux albums : La petite fille Bois-Caïman.
Cycle 3 s’achevant avec Le Sang des cerises (deux tomes).

Les propos tenus par François Bourgeon sont extraits du dossier de presse des éditions Delcourt.

Lire un extrait

Article précédentParoles du pénitencier, Jardin punk maison
Article suivantPrès de Rennes. Coraline ouvre une friperie à Saint-Senoux
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici