BD Rébétissa de David Prudhomme : Bis repetita, en couleurs et en grand format

rebetissa prudhomme

Quatre mois après sa parution, Rébétissa de David Prudhomme revient aux éditions Futuropolis. En grand format et en couleurs cette fois-ci. Toujours aussi magnifique.

Ce n’est pas professionnel du tout. Ce peut être même une faute grave, capable d’entraîner votre licenciement de la part de votre rédacteur en chef préféré : chroniquer pour la deuxième fois une même BD, cela ne se fait pas. Tant pis. Prenons le risque. Et puis pour ma défense je pourrai toujours arguer du fait qu’il ne s’agit pas vraiment de la même BD. Le 28 novembre dernier, dans ces mêmes colonnes, l’album Rébétissa de David Prudhomme était qualifié de « chef d’oeuvre » (voir chronique). Pourquoi alors réécrire sur cette même BD, seize semaines plus tard ? Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas de la même BD. Certes le dessin est le même. Les textes et les dialogues sont absolument identiques, à la virgule près. Oui mais. Rébétissa 2024 était dans un format à l’italienne. Rébétissa 2025 est dans un format vertical traditionnel. Rébétissa 2024 était sans couleurs. Rébétissa 2025 utilise toute la palette des coloris.

rebetissa david prudhomme

Vous voyez cher(e) lecteur(trice), je possède de solides arguments pour ma défense. Certes, il y a quelques mois, j’avais laissé sous entendre que le tirage limité en avant première était peut être suffisant et que revenir à une édition traditionnelle n’apporterait pas grand chose de plus. Mesdames, messieurs, je dois reconnaître modestement mon erreur, ma faute. Si j’ai commis un impair ce n’est pas de rédiger une nouvelle chronique à double emploi, mais plutôt de ne pas avoir imaginé que la couleur apporterait un nouveau bonheur de lecture.

Car il est magnifique ce Rébétissa « définitif ». Magnifique de couleurs et d’espace. La beauté de la couverture suffirait presque à rendre inutile ces lignes. Elle dit tout. De la beauté du trait et des nouvelles nuances apportées à cette édition. Les tonalités brunes et ocres, majoritaires, disent la nuit, l’intérieur, les bars où se joue le Rébétiko, ce blues grec, musique rebelle aux pouvoirs en place. Plus rare est le bleu, celui du ciel de ce Portugal des années trente assommé par la dictature. Le bleu préfère laisser la place aux jeux d’ombre et de lumière, dans des cases exceptionnelles où à la manière de Monet et des impressionnistes le violet des ombres s’invite à un déjeuner sur l’herbe amical. Les noirs sous les étoiles sont désormais profonds, les contrastes dans les bars plus forts, la lumière dans une chambre d’amour devient plus aveuglante. La poésie monochrome a pris des couleurs.


rebetissa david prudhomme

C’est tout ce que j’ai à dire pour ma défense. Et c’est beaucoup. Rébétissa 2025 est bien un autre album donnant le droit à l’écriture d’une autre chronique. Et ceci sans rappeler, combien est belle cette histoire d’amitié entre Markos, Bàtis, Stravos et Artémis, musiciens exceptionnels, qui vont reprendre avec Béba la chanteuse, le Rébétiko abandonné par l’orchestre habituel, sous les menaces de la police du régime.

Puisque vous me donnez votre pardon, je profite du nombre des signes qui me sont accordés pour vous redire que Rébétissa reprend les lieux et les personnages d’un autre chef d’oeuvre (je suis désolé, je sais que cela fait beaucoup) de David Prudhomme, qui le fit entrer il y a quinze ans dans la cour des Grands : Rébétiko. Deux albums qui se suivent mais qui peuvent se lire séparément et se complètent à merveille. Les éditions Futuropolis rééditent très opportunément cette BD multi primée d’Angoulême à Saint Malo avec une couverture nouvelle, pendant de celle de Rébétissa, telle un clin d’oeil suggérant que cette dernière était un peu la version féminine de la BD précédente. Ils sont beaux Béba et Stravos. On a envie de les mettre côte à côte. De placer ainsi les deux ouvrages pour qu’ils entament ensemble une danse endiablée, une danse sous les notes d’un petit baglama.

Lire et relire les deux BD consécutivement c’est aussi se pencher sur des questions d’actualité, celle des réfugiés, du maintien d’une culture et de sa transmission au delà des frontières. C’est aussi dire la vie des gens de peu, de ceux qui tentent de survivre même sous le soleil éclatant de la Méditerranée. C’est dire la beauté de l’art, sa capacité à résister aux pouvoirs. C’est faire entendre une musique, ce Rébétiko qui sourde lorsque vous tournez les pages. Tendez l’oreille. Ou alors, tournez la manivelle de votre gramophone. Fermez les yeux et imaginez : Béba et Stravos lèvent les bras tels des oiseaux de nuit. Ils baissent la tête, regardent leurs pieds. Ils dansent. Ensemble. Ils sont beaux.

Rébétissa (l’antidote) de David Prudhomme. Éditions Futuropolis. 112 pages EN COULEURS ! 22€. Parution : 2 avril 2025. Feuilleter

Réédition de Rébétiko (première édition en 2009). Éditions Futuropolis. 102 pages. 22€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.