Vous aimez les jeux de mots ? Vous aimez le rêve ? Vous aimez l’irrationnel ? La BD « Prévert inventeur » est pour vous. Tonitruante introduction à une biographie imagée du poète français le plus populaire. 

 

Imagine-t-on l’iconoclaste, l’insaisissable, le surprenant Jacques Prévert, enfermé ? Cloisonné dans une case ? Figé dans un cadre ? Sûrement pas ! Normal donc que les deux auteurs de cette BD survitaminée aient choisi un dessin et une mise en page éclatée, sans case, explosive !

prévert inventeurCar Prévert, « Prévert Jacques » qui se présente ainsi de lui même à la première personne dès la page d’introduction ne fait pas semblant. Déjà sous la tenue de caporal à Constantinople en cette année 1921 (il a alors 21 ans), il apparaît comme un irrésistible trublion, fantasque, amateur de jeux de mots. Le ton est donné et ne va plus quitter ce premier opus foisonnant et débordant de vie.

prévert inventeurBourhis et Cailleaux avaient déjà réalisé avec « Piscine Molitor » un album remarqué lors de sa sortie, album consacré à Boris Vian. Visiblement nos deux compères aiment s’attaquer et s’attacher à des personnages vibrionnants.

prévert inventeurEt virevoltant Prévert l’est dès ses débuts ! L’espièglerie à l’égard des bourgeois, des militaires, la crainte du travail, d’une vie rangée, tout est en place dès sa jeunesse alors que même, lorsque ce premier tome s’achève, aucune ligne n’a été encore publiée par le futur poète. C’est l’homme et son tempérament que ces pages nous font découvrir, un homme dont la chance est d’avoir rencontré très tôt d’autres « marginaux » qui vont se faire une place dans la vie intellectuelle française à cause (ou malgré ?) de leur non-conformisme : Marcel Duhamel, futur créateur de la « Série Noire », Yves Tanguy bientôt célèbre peintre surréaliste, Breton, Desnos et « toute la bande ».

prévert inventeurTout foisonne alors dans la BD dans un rythme effréné, espiègle. Comme sur le dessin de couverture où Prévert semble voler, voler sur des mots, l’ensemble de l’album ne touche pas le sol, les dessins paraissant être en suspension dans l’air. Le texte s’adapte au dessin, le dessin explose le texte C’est un milieu, une époque qui est décrite, un après-guerre où l’on veut oublier, se perdre dans l’inutile, créer un Nouveau monde, une vie sans contrainte. « Moi je fais rien »,  clame Prévert. Un principe de vie qui rend matériellement l’existence du couple Simone et Jacques, misérable

prévert inventeurPourtant c’est la bonne humeur qui prédomine et éclate au fil de ses pages inondées par la gouaille de Titi parisien dans un déluge de dialogues où l’excentricité côtoie une anarchie bon-enfant. Rien n’est respecté ni n’est respectable dans cette société d’artistes en devenir. Picasso en 1907 a réinventé la peinture avec ses « Demoiselles d’Avignon ». Desnos, Breton, Dada, Prévert cherchent en 1920 à réinventer la littérature. L’invention du « Cadavre Exquis », la recherche de phrases subliminales, fruits du hasard, témoignent de cette quête. Car Prévert est alors le roi de la parole, le camelot des mots. Pas encore celui du passage à l’acte, du passage à l’écriture.

prévert inventeurOmniprésent le dessin est heureusement léger, le trait fin, un peu comme celui d’Oubrerie et ses « Pablo », regorge de trouvailles graphiques telles cette vue en plongée d’un appartement où l’on découvre dans l’angle d’une pièce l’aquarium à couleuvres (probablement pour éviter de les avaler), ou la colorisation incandescente de certaines planches

Sans doute est-il préférable de s’intéresser aux mouvements intellectuels de l’époque pour apprécier les pages consacrées au surréalisme même si le portrait d’André Breton renvoie à son image odieuse communément transmise. Mais la légèreté du ton évite le didactisme d’un ouvrage scolaire pour nous emmener dans les endroits de perdition ou d’agitation intellectuelle :  le Flore, le 54 rue du Château, la Rotonde, autant de lieux qui revivent allègrement sous le dessin de Christian Cailleaux dans une prodigieuse sarabande.

prévert inventeurDécidément, la vie intellectuelle à Paris au début du siècle à Montmartre ou à Montparnasse est très à la mode dans le monde de la BD. Cet album pourtant se distingue par sa vivacité et sa bonne humeur. Mais aussi par son foisonnement qui peut aller jusqu’au trop-plein. Lecteur réaliste et rationnel s’abstenir.

 

Prévert inventeur, Hervé Bourhis, Dessins : Christian Cailleaux. Édition : Dupuis. Collection « Aire Libre ». Septembre 2014. 70 pages. 16,50€.

ISBN : 978-2-8001-6225-6. Édition luxe limitée à 777 exemplaires avec un dessin original signé des deux auteurs : 30€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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