Dans cette BD originale par son traitement historique, Pelaez et Porcel, nous invitent à réfléchir à la déshumanisation totale que génère la guerre. Mais aussi à constater qu’un homme mauvais peut s’y révéler bon. Ou moins mauvais.

D’entrée de jeu, le lecteur est informé :

« le sang du soldat a coulé, et il a une belle couleur bordeaux ».

PINARD DE GUERRE

La guerre et le vin, tels sont les deux thèmes de cette BD documentée sur un phénomène connu des historiens. Pour envoyer des hommes au combat, à l’abattoir, il vaut mieux leur donner

« l’ivresse pour qu’ils oublient le colis qui n’arrive pas, l‘enfant qu’ils n’ont jamais vu, la femme qui ne les attend plus ».

PINARD DE GUERRE

Officiellement décrié, le « Pinard », qui viendrait du cépage bourguignon pinot, est portant régulièrement acheminé vers les tranchées. Au début de la guerre on distribuait 25 centilitres au Poilu quotidiennement. Deux ans plus tard la dose sera d’un litre. Le marché, on le devine aisément, est juteux et nombre de marchands, de négociants vont s’infiltrer dans les hautes instances pour écouler leur production.

PINARD DE GUERRE

Parmi eux, un bourgeois d’avant-guerre, un gros costaud mais une petite pointure économique. Alors que des trains entiers transportent des milliers d’hectolitres du précieux breuvage, lui, petit joueur en apparence, livre directement sur le front avec une carriole tirée par deux chevaux. Il s’appelle Ferdinand Tirancourt. Peut-être. Cynique, il délivre des tirades cinglantes sur la « grandeur » de la guerre faite pour profiter aux profiteurs, et abaisser les petits. Il est l’ignominie même.

PINARD DE GUERRE

Mais, ce fieffé margoulin, détaché de tout, va pourtant se retrouver plus près du Front qu’il ne le souhaite. Il va marcher dans les cloaques que sont devenues ces tranchées boueuses. Il va côtoyer ces pauvres hères, terrifiés à l’idée de monter à l’assaut. En changeant de lieu, en quittant les quais de livraison du précieux breuvage en provenance d’Algérie, Ferdinand, horrible individu, va peu à peu donner une image de lui-même moins caricaturale et amener le lecteur à transposer son animosité vers d’autres personnages aussi hideux qu’arrogants : les officiers de l’État-Major que Porcel dessine avec talent, engoncés dans leur rigidité qui n’a d’égale que leur couardise.

Cette BD raconte finalement l’histoire d’un homme qui ne voulant en aucune manière s’engager dans la guerre et mu, ému, par la grâce d’un danseur perdu dans le No man’s land, va aller au-delà de son rejet. Certainement le plus lucide de tous les personnages sur la déshumanisation que génère le conflit armé, il va laisser apparaître peu à peu une humanité qui manque tant à d’autres qui s’en réclament à grands plastrons de médailles. Comme si tout n’était pas totalement noir. Ou totalement blanc.

PINARD DE GUERRE

La Première Guerre mondiale est un sujet classique de la BD, mais en y pénétrant par la petite histoire, les auteurs nous invitent à une réflexion moins légère qu’elle n’y paraît. La voix off de Tirancourt invite à la relecture et les dessins de facture classique de Porcel en soignant notamment les expressions des poilus comme ceux des officiers, apportent une belle dose d’humanité à ce récit original et bien mené où ne manquent ni rebondissement, ni réalisme historique et que complètent, avec à propos, 8 pages en fin d’album décrivant l’évolution de la perception de l’alcool au croisement des deux derniers siècles.

PINARD DE GUERRE

Un récit qui en appelle un autre, une suite dont on peut dévoiler dès aujourd’hui le titre: Bagnard de guerre, une manière de dévoiler la fin possible de ce premier opus.

Dans son roman Au revoir là-haut Pierre Lemaitre dévoilait le trafic économique de cercueils à l’arrière du front. Pinard de guerre explore le marché du vin dans les tranchées. Deux regards sur le cynisme humain même dans les périodes les plus noires. Deux regards qui n’oublient cependant jamais le romanesque.

Pinard de guerre. Scénario : Philippe Pelaez. Dessinateur : Francis Porcel. Éditions Grand Angle. 64 pages. 14,90 €. Parution le 1er septembre 2021.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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