Comédie romantique ou comédie dramatique ? Avec ce premier tome d’un diptyque à venir, Jim et Giuseppe Liotti nous proposent une autre vision des fêtes de Noël. Terriblement grinçant. Et réaliste.
Surtout ne pas se fier aux apparences. La couverture annonce un couple amoureux, Eve et Simon, sous les lumières d’un Noël joyeux. Une pastille proclame la BD comme « la comédie romantique de l’année ». Tout est en place pour un réveillon agréable, semblable à celui de l’année précédente, lui même semblable à celui de l‘année d’avant, lui même…. On va réveillonner chez Papy Maxime qui va sélectionner le vin, et chez Mamy Mireille qui préparera ses traditionnelles cailles au four. Seront présents les deux sœurs de Eve, leurs maris, les enfants. Un super Noël ! Enfin un Noël comme d’habitude où il y a nécessité d’être joyeux, de s’extasier devant les cadeaux. Un Noël sucre d’orge. Ou guimauve plutôt. La guimauve, c’est mou, c’est flasque, c’est bon, mais sans consistance véritable. Et finalement, être obligés de se sentir heureux quand on ne l’est pas, c’est difficile. Brusquement, pour une broutille, un mot de travers, un cadeau oublié, les sourires se figent, le vernis se craquelle. Le ton des mots monte d’un cran. Et parfois même les larmes viennent aux yeux comme si la force de l’habitude et du faire semblant étaient un rideau de théâtre qui s’ouvrait enfin sur la vraie vie. Et les vrais sentiments.

Le Papy subit et fait ce qu’on attend de lui. La Mamy s’agite dans le superficiel. Les enfants sont des adolescents énervants et autocentrés. Les soeurs, beaux-frères sont de pâles silhouettes conformes aux attentes familiales. Chacune et chacun jouent son rôle ancestral.
Eve et Simon, quant à eux, traversent peut être la fameuse « crise de la quarantaine ». C’est vrai que leurs existences ressemblent plus au chaos qu’à la sérénité. Vies professionnelles de dingues, gestion de trois enfants, agenda surchargé, il reste peu de temps pour penser à soi et à l’autre. Les vies comme l’image de la couverture se fissurent et le champagne à peine servi, tout explose, les bouchons et les sentiments. Eve et Simon devant les cailles farcies sont à un moment de bascule. Une succession de quiproquos et de coïncidences improbables, mais finalement jouissives pour le lecteur, va peut être les amener à tenter le temps d’un soir, une fuite en avant pour accepter ce fameux « lâcher-prise », tant vanté par les psychologues de plateau télé.


La comédie romantique se transforme alors en comédie grinçante. Les magnifiques dessins de Giuseppe Liotti magnifient cette « magie de Noël », ils montrent la joie devant les vitrines des grands magasins hausmaniens, l’intérieur cossu et joyeusement décoré d’une maison familiale chaleureuse mais aussi, les larmes et les angoisses de Eve face à l’incompréhension de ses parents, le désespoir d’un puits sans fond. L’écart est immense entre des décors de théâtre préparés pour accueillir la fête obligée et des dialogues qui finalement s’apparentent plus au drame qu’à la comédie. Dehors les illuminations féériques, dedans les tensions devant les guirlandes scintillantes.
Pour Jim, le scénariste, le couple « est un des plus grands mystères non résolus » et son récit raconte à merveille cette oscillation entre amour et usure du temps, entre nécessité de réalisation personnelle et effacement de soi devant les obligations familiales. Tout sonne juste comme un miroir de notre époque et de nos vies citadines. Il est impossible de ne pas penser à des situations vues ou vécues lors de cette période de l’année qui est un peu celle des bilans affectifs.


Alors à un mois de Noël, peut être est-il bon de rappeler que la création artistique permet d’imaginer toutes les situations, y compris les plus invraisemblables comme celle d’un réveillon raté. Et que toute ressemblance avec une quelconque réalité serait totalement fortuite. Quoique.
Un Noël à Paris de Jim (scénario), Giuseppe Liotti (dessins) et Gaétan Georges (couleur). Editions Le Lombard. 104 pages. 20,45€. Parution : 3 octobre 2025
