Seules les femmes peuvent s’opposer à la violence des hommes et à la destruction de la Terre. Dans La Louve boréale, magnifique BD aux allures de conte, Nuria Tamarit réalise, grâce à un dessin exceptionnel, la prouesse de faire cohabiter noirceur et poésie.

Il y a mille manières de dessiner une femme. Mille, mais aucune ne ressemble à celles de Nuria Tamarit. Les femmes de la jeune dessinatrice espagnole ont une silhouette faite de rondeurs, de courbes entourées de traits noirs comme ceux des peintres nabis. Surtout, elles ont des cheveux tels des casques enveloppants, des visages allongés, un petit nez discret. Et elles sont grandes, très grandes. L’égal des hommes, voire plus comme la BD précédente Géante (1) (Voir chronique), véritable révélation dans laquelle au fil des pages se côtoyaient déjà des principes chers à l’autrice, le féminisme et l’écologie, auxquels on peut ajouter un goût certain pour les contes et le fantastique. Ce deuxième album, où cette fois ci Nuria Tamarit réalise à la fois le dessin et le scénario, nous emmène donc dans un univers connu, proche de Géante, où les hommes sont souvent violents et les femmes victimes.

louve boréale Nuria Tamarit

Les hommes, des orpailleurs, ont les traits marqués, taillés à la serpe, leurs bouches n’expriment que des jurons, ne crachent que des menaces. Leurs dents sont identiques à celles des loups ou des chiens qu’ils utilisent comme des armes de combat. Ils détruisent la Terre qu’ils ne contemplent que par l’or qu’elle est susceptible de leur donner. Peu importe d’être enchainés si leurs chaines sont en or. Ils règnent sur le Nouveau Monde qui est un monde en voie de disparition. Il y fait froid, la lumière est rare et les tempêtes fréquentes. Ils détestent les femmes, faibles, qui les retardent dans leurs voyages.

Les femmes sont au nombre de trois. Toutes estropiées physiquement et moralement par la vie. Et par les hommes. Opa est la femme médecin, celle qui accompagne les hommes lors de leurs expéditions et qui doit les sauver de leur imprudence et de leur forfanterie. Tala est la guide, soumise à un homme qui a tué ses parents. Elle connait le Monde comme personne et peut perdre les intrus. Joana est la conteuse. Elle vient d’ailleurs, elle est différente, elle a échoué dans la neige et le froid, fuyant un autre Monde autrefois béni mais détruit par la guerre. Et après avoir échoué dans sa quête d’or, elle ne rêve que d’une chose, retrouver son pays d’avant, celui du chaud et du soleil, de la Terre harmonieuse qui donne beaucoup lorsque l’on lui demande peu. À trois que peuvent-elles faire contre des hommes veules et forts ? Elle peuvent s’unir dans un voyage où elles allient leurs forces, leurs histoires et leurs vies si différentes.

louve boréale Nuria Tamarit

Contrastes : lumière/noirceur, bonté/méchanceté, bonheur/malheur, solidarité/égoïsme, ce sont deux mondes que Nuria Tamarit dessine avec un talent inouï. Comme le Bien et le Mal ses pages alternent entre une flamboyance lumineuse et une noirceur sans concession. On tourne une page et on quitte un dessin concentrationnaire pour retrouver une Arcadie rêvée. Les couleurs explosent comme dans un Paradis perdu. On pense bien entendu à Jack London et à son monde de violence même si cette fois-ci les chiens et les loups sont les alliés des hommes dans leur violence. Peut être faudra-t-il alors une louve gigantesque, dessinée de manière allégorique exceptionnelle pour rendre justice ? Comme dans les contes pour enfants qui donnent à réfléchir aux adultes.

Impossible d’ignorer cette ode à la nature magnifiée par des dessins pleine-pages d’une beauté à couper le souffle. Levers et couchers de soleil, nuit intemporelle, le lecteur n’a qu’une envie, conserver dans la rétine de ses yeux, ces images si proches et si lointaines.

louve boréale Nuria Tamarit

On discerne un talent de dessinateur(trice) notamment quand on reconnait l’auteur(trice) dès les premières cases d’un album. En deux ouvrages Nuria Tamarit a créé une poésie du trait identifiable entre tous. En deux ouvrages Nuria Tamarit a créé un monde qui n’appartient qu’à elle. Et à ses lecteurs qui vont croitre au fur et à mesure de la découverte de son immense talent.

La Louve Boréale de Nuria Tamarit. Éditions Sarbacane. 216 pages. 28€.

(1) Scénario Jean Christophe Deveney

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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