Avec ce récit autobiographique Nine Antico recherche l’origine de son désir des hommes et des difficultés à l’assouvir. Une œuvre très personnelle au graphisme remarquable.
« Je veux juste jouir ». Ce cri du cœur, mais aussi du ventre c’est celui de Nine Antico. Elle l’écrit aujourd’hui encore à plus de 40 ans, mais elle le prononce dès la puberté à quatorze ans quand elle ressent que « tout n’est qu’énergie sexuelle », quand elle est « un aimant prêt à s’attacher à toute surface masculine ». Elle vit aujourd’hui une séparation affective douloureuse qui la conduit à préparer un voyage à Venise, cette ville de Casanova et du désir. Masquée, comme tous les personnages qui ne jouent finalement qu’un rôle, celui des apparences, elle vogue métaphoriquement sur les canaux de la ville italienne (1) en remontant le fil de sa mémoire, à la recherche de son amour originel et puissant pour les garçons et des difficultés à assumer son désir envahissant.

Il ne s’agit pas, contrairement à La vie sexuelle de Catherine Millet, d’un journal d’une vie sexuelle, car si Nine Antico livre et montre un certain nombre de ses relations, elle s’attache plutôt à la recherche des sensations éprouvées lors de ses rapports avec les hommes marquées dès le début par une envie très forte de jouissance mais aussi par des blocages qui font que son désir se cantonne de la bouche au nombril et ne parvient pas à se prolonger en dessous.
Subrepticement au fil des souvenirs, « J’ai douze ans », « J’ai vingt et un ans », surgit alors une histoire traumatisante d’un souvenir d’enfance et d’un certain C âgé de 18 ans, alors qu’elle en a sept ou huit. Pas de viol, en tout cas pas un acte violent vécu comme tel mais une situation qui renvoie bien évidemment au Consentement de Vanessa Springora. Un évènement enfoui mais incontournable dont il faudra des années (ce livre ?) pour en tirer toutes les conséquences.

En tirant le fil, d’autres évènements semblent intervenir dans sa difficulté à vivre pleinement sa sexualité, tel ce jumeau garçon qui ne verra pas le jour dans le ventre de la mère de Nine, puisqu’il n y avait de la place que pour un seul foetus: « C’est toi qui as gagné » lui déclare sa maman. Autant d’éléments possiblement perturbants et bloquants. Raccorder sa tête à son corps, c’est le défi de la dessinatrice qu’elle raconte en tentant de déconstruire les actes et le passé qui nous enferment dans des cases, souvent à notre insu.
Comme Edmond Baudouin, le premier à se livrer en BD à l’introspection, l’autrice nous confie son intimité la plus secrète, elle dévoile ses fantasmes, ses craintes, ses vertiges. Comme Edmond Baudouin, elle utilise le noir et blanc de l’encre de Chine et rompt avec les cases des bandes dessinées. Le blanc laisse l’espace nécessaire pour une inventivité graphique remarquable. Le texte est libéré de toute contrainte et la métaphore vénitienne atténue la crudité du récit. Jamais nous n’avons le sentiment du voyeur car les pages magnifiques nous renvoient à notre propre questionnement face au besoin de faire l’amour, cet acte qui « donne une pulsion de vie… le sentiment d’exister ».

Susciter le désir et l’éprouver sont des constantes de l’œuvre de Nine Antico sous le regard des hommes qui ne sont pas ici, majoritairement des violents prédateurs mais cherchent pour beaucoup à comprendre leur partenaire.
Le récit de Nine Antico révèle en image de fond, que les désirs des femmes et des hommes sont fondamentalement différents dans la manière de l’exercer. Un paradoxe dans une fonction faite d’abord pour la reproduction mais que l’Homme a complexifié pour le plus grand bonheur de l’espèce mais aussi pour une des ses plus grandes difficultés à vivre.
Une obsession de Nine Antico. Editions Dargaud. 292 pages. 29,95€. Parution : 12 septembre 2025. Lire un extrait
(1) Le fond vert, moyen métrage réalisé par Nine Antico, en 2025 qui se passe à Venise est l ‘écho cinématographique de la BD
