Deux jeunes Portugais quittent leur pays en 1973 pour trouver du travail et le bonheur à Paris. Une odyssée tendre et réaliste magnifiquement dessinée et racontée.

BD LES PORTUGAIS

Les Portugais sont tous maçons, c’est bien connu. Les mineurs sont polonais, mais les maçons sont portugais. C’est simple, facile et tellement évident. Derrière ce lieu commun éculé et réducteur se cache pourtant une réalité. Dans les années 1960-1970 « le Portugal connait l’exode le plus massif de son histoire. Entre 1957 et 1974, 700 000 Portugais émigrent en France ». Ils fuient la misère, mais aussi les dernières années de la dictature de Salazar qui, à l’inverse des pays occidentaux, poursuit des guerres de colonisation.

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La France des Trente Glorieuses a besoin de logements et de main-d’oeuvre bon marché pour les construire : « Ainsi les Portugais sont-ils devenus maçons ». Olivier Afonso, le scénariste est né en 1975 d’un père portugais. C’est son histoire qu’il raconte ici, une histoire personnelle à portée universelle. Elle est bien documentée désormais cette période où l’on va chercher au bled, en Afrique, des hommes à la dentition parfaite pour faire en France le sale boulot à moindre coût.

Bidonvilles de Nanterre, insalubrité, conditions sanitaires indignes de l’autre côté du périphérique sont des faits historiques désormais reconnus. Cette BD rappelle tout cela, mais du côté de l’intime, des individus, du côté de deux jeunes, Mario, 18 ans et Nel, qui se rencontrent et se découvrent lors de leur passage clandestin de la frontière française. Leurs rêves : les petites femmes de Paris, le Moulin Rouge et quitter cette maudite campagne où les gens meurent de faim. Ils sont tellement différents les deux jeunes à peine sortis de l’adolescence : Nel est le roi du marché noir, des filles au bordel, de la débrouille et des embrouilles aussi. Mario, timide, introverti, reste au pied des escaliers menant au plaisir. Ingénu, tendre, il regarde et agit peu, ou moins.

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Dissemblables, mais indissociables, on les suit de la frontière à la capitale, où ils s’installent dans des cabanes en bois et en tôle, dans des ruelles de boue et de froid. Sans misérabilisme, avec un caractère documentaire indéniable, mais discret, on découvre avec nos deux amis la vie à l’intérieur de cet espace que des bulldozers détruiront lorsque la précarité deviendra trop scandaleuse : la solidarité des communautés, mais aussi leur rivalité, les Blancs, les Noirs, les Arabes, le marché noir, le rôle des chefs de chantier, les employeurs odieux et sans scrupules, « on a trouvé moins cher que vous : du bicot, du négro… du sans papiers en veux tu en voilà », mais aussi le sentiment de l’exil, de la terre native si éloignée, confusément désirée et rejetée.

Les personnages multiples incarnent ces états d’âme de Kader à Zé, le manchot, qui a déserté en Angola. La tendresse du récit, son extrême violence aussi, nous emportent dans une chronique qui sous un ton a priori léger dit beaucoup du contexte social d’années charnières, bientôt frappées par le premier choc pétrolier. Car les auteurs nous racontent aussi l’intime et l’amour, celui bravache et ostentatoire de Nel et celui introspectif et timide de Mario.

Les conditions de vie difficiles ne font pas oublier les sentiments, les moments de joie dans la chaleur des draps ou devant un match de foot à la télé, quand joue le Portugal. On ne désespère pas totalement, pas tout le temps et derrière les coups de poing des nervis patronaux, le rouge sanguinolent laisse parfois la place à des clins d’oeil au beurre noir bravache. Un jour cette douleur finira, un jour la dictature de Salazar s’effondrera.

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Le 25 avril 1974, la Révolution des oeillets, fait tomber le dictateur portugais. Dans des cases magnifiques, Aurélien Ottenwaelter fait danser les femmes et ouvriers dans la lumière nocturne, transformant le bidonville en une place de village. On retrouve le trait de Christophe Blain, mais aussi celui de Larcenet, comme si le visage et la silhouette de Blast s’étaient transformés dans le personnage de Zé. Des séquences sur des fonds blancs, des pages de calendrier du « Paris Coquin » rythment magnifiquement cet album qui sait passer de scènes intimistes à des scènes de bar enfumées et bruyantes.

Ce sont des tranches de vie qui nous sont proposées et l’humanité qui s’en dégage rend cette lecture douce et émouvante. Olivier remercie notamment à la fin de l’ouvrage Pascal Rabaté. Un merci comme une forme d’apparentement dans le regard amoureux et bienveillant apporté aux gens de peu. Qu’on se le dise : « les Portugais sont donc d’excellents maçons, mais ils peuvent devenir, eux-mêmes ou leurs descendants, d’excellents scénaristes BD accompagnés de magnifiques dessinateurs. »

Les Portugais d’Afonso (scénariste) et Aurélien Ottenwaelder dit Chico (dessins). Éditions Les Arènes. 136 pages. 21,90€.

Olivier Afonso (scénario), Chico (dessin) et Émilie Rouge (couleurs).

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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