Les Mains de Ginette. Un titre en forme de conte pour un album surprenant qui ne s’adresse pas aux enfants. Jalousie, manque d’amour, tels sont les thèmes de cette BD énigmatique et profonde.

Il ne faut jamais croire aux dessins de couverture. Encore moins aux couleurs douces et acidulées. Ni au titre. « Les mains de Ginette », est-il écrit. Et des gants, plein de gants, de toutes les formes, de tous les usages est-il dessiné. Comme dans un conte pour enfants.

Pourtant, un détail étonne. Au milieu de ses gants, en surbrillance, apparait une forme orange, presque rouge, violente : une pince de crabe. Un intrus. Une alerte.

Et puis Olivier Ka est mentionné comme scénariste. Si on a bonne mémoire on se souvient qu’il avait écrit le texte de la BD Pourquoi j’ai tué Pierre qui racontait l’histoire du dessinateur Alfred, le récit biographique d’un viol. Pas franchement une Bd pour enfants.

les mains de ginette

Dès les premières pages, on se dit en effet que quelque chose cloche. Le dessin est léger, mais de vilains enfants hurlent la haine. Une vieille femme, Ginette, est victime de ses moqueries. Muette, elle respire la tristesse, la mort. Potiche, elle se traine dans les commerces du village.

Et on continue la lecture, se demandant où l’on met les pieds, où l’on pose les yeux. Et on n’arrête plus de tourner les pages, attiré par ce puits sans fond qui nous emmène vers l’amour fou ou vers la haine? Vers le bonheur ou le malheur? On ne sait plus tant nos sens se sentent trompés, en perte de repères.

C’est la jalousie et ses effets pervers qui se dévoilent alors au cœur de cette Bd si originale et décoiffante. Mais aussi l’amour fou, celui de Marcellin, un homme, passionnément et sincèrement amoureux de Ginette, de ses mains, qui glissent sur la peau pour une descente aux enfers irrespirable. La jalousie voisine toujours avec la passion, la peur de sa perte. Pour une fois ce sont les femmes qui incarnent cette crainte et la violence qui parfois l’accompagne. Mère, épouse, terrifient de leurs cris, de leurs bouches déformées. Les hommes sont un peu bêta, primaires, guère méchants, soucieux du bonheur de Marcellin, leur ami, détruit peu à peu par Ginette. C’est l’homme qui est victime de violences, une situation rare, mais réelle.

On pense à Marcel Aymé, quand le récit oscille entre le réalisme et le fantastique, au sein d’une communauté rurale où tout se sait, s’apprend, et où les histoires de chacune et chacun s’entremêlent. Les êtres ne sont pas forcément méchants, ni vilains, mais promènent leur passé avec eux. Le dessin léger de Marion Duclos, autrice notamment de Ernesto contribue au sentiment général de malaise : il est léger comme une plume, coloré comme un album de jeunesse et illustre les pires violences. Le visage de Ginette, ces cheveux d’un noir absolu terrifient le lecteur jusqu’à ce que la page devienne complètement rouge. Rouge et noir pour un album aux couleurs pastels, le symbole d’un album paradoxal et dérangeant.

Les Mains de Ginette de Olivier KA (scénario) et Marion Duclos (dessins). Editions Delcourt. 104 pages. 16,50€. Parution : 24/03/2021

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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