Tant attendu le tome 3 du Château des Animaux, aux éditions Casterman arrive enfin avec son credo : la non violence au service de la justice. Un vaste programme que Delep et Dorison proposent à des animaux terrifiés. Édifiant et remarquable.

Vous n’allez pas le croire. Imaginez une société où un chef unique maintient une population dans la terreur pour son profit personnel. Imaginez que ce chef, un « dictateur », règne grâce à une milice capable d’enfermer, de torturer, de perquisitionner, des récalcitrants. Impossible me direz vous ! Et vous aurez raison. Alors, il faudra concevoir ces peurs et ces cauchemars dans le domaine de la fiction, une fiction qui remplacerait les humains, incapables de tels méfaits, par des animaux. Le dictateur serait, par exemple, un taureau. Il s’appellerait Silvio. Et la milice serait constituée de chiens. Le lecteur n’aurait plus ainsi qu’à se laisser aller pour se faire peur à moindre frais et se dire que les sociétés humaines idéales dans lesquelles nous vivons pourraient virer parfois au mauvais rêve. Une fiction pour nous inciter à la vigilance. Sait on jamais.

Cet univers fictionnel effrayant, Delep et Dorison le décrivent avec maestria dans le troisième et avant dernier tome de la série Le Château des animaux. Nous retrouvons Miss B, la chatte blanche, leader malgré elle du mouvement de résistance, le lapin César, Dom Juan de ses dames et Azélar le vieux rat voyageur, sage et leader philosophique en quête d’un monde meilleur, sans dictateur mais à conquérir par la non violence. Dorison enfonce le clou dans cet opus, privilégiant des combats dont il faisait des modèles dans sa préface de 2018 : Gandhi, Martin Luther King, Lech Walesa ou encore Nelson Mandela. Contrairement à Orwell et à sa Ferme des animaux, les auteurs essaient de proposer des solutions au constat implacable du romancier américain. Une suite en quelques sorte, une ouverture des possibles suite aux tragédies du XX ème siècle.

Précédemment le bois de chauffe, grâce à la volonté des animaux, avait été rendu gratuit, un premier pas qu’il convient désormais de prolonger par d’autres combats alors que sont mis en oeuvre par Silvio et sa bande, tous les moyens possibles pour opprimer: contrainte psychologique familiale, avantages et privilèges accordés à certains, mensonges et cynisme, invention d’ennemis imaginaires. Et même au final la proposition d’un vote démocratique.

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Le caractère de fable du récit n’exclut aucunement la dureté du propos et du dessin. L’effondrement physique d’un taureau qui amènera la milice à emmener, par représailles, sa mère pour un « voyage », ou l’avilissement dans les geôles du donjon du lapin gigolo, ne laissent pas le lecteur de marbre. Delep, qui eut l’immense honneur de commencer sa jeune carrière à 25 ans avec cette série, coopté par l’infatigable Dorison qui ne voulait que lui, ajuste son dessin à cette violence, évitant des atmosphères enfantines ou naïves. Fable, conte, ne signifient en aucune manière, mièvrerie ou morale facile. La magnifique couverture illustre l’ambiance générale de l’album : ombre et lumière, tendresse du regard et dureté des barreaux de fer. Ce n’est pas à un récit enfantin que nous sommes conviés mais à un véritable livre politique dans lequel chaque lecteur apporte ses références personnelles. À l’image d’Azélar, ferme mais ouvert, aucune injonction n’est donnée et les solutions se déclinent plutôt par soustraction, par abandon de perspectives violentes et donc inefficaces.

Le quatrième et dernier épisode livrera t-il une fin heureuse et positive aux luttes et souffrances de la population du château ? Il va falloir attendre quelques mois avant de le savoir, mais il semble opportun à la clôture de cette chronique de préciser que toute ressemblance du combat entre Silvio et ses sujets, avec le monde des Hommes serait totalement fortuite. Rien de cela n’est envisageable en 2022 sur notre bonne vieille terre bien réelle. Heureusement.

Le Château des animaux. Tome 3 : « La nuit des Justes ». Dessin : Felix Deep. Scénario : Xavier Dorison. 72 pages. 15,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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