La Montagne entre nous, un première bd réussie pour Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers

la montagne entre nous bd

Trente ans plus tard, peut-on renouer avec un amour raté ? Dans ce premier album réussi, Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers nous invitent à la nostalgie entre résignation et colère.

Il suffit parfois de feuilleter une BD pour en connaitre immédiatement la tonalité. Il en est ainsi avec La Montagne entre nous, premier album en duo de Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers. Les nuances des couleurs sont douces et calmes. On y voit des paysages sereins de montagne et un petit village. Saumon, ocre, gris ou bleu pâle colorient le silence, le recueillement. Quant au trait estompé et imprécis des personnages, il leur confère d’entrée une tendresse délicate. La tension du récit viendra des situations et des mots, pas des cases poétiques et mélancoliques qui nous font tourner les pages lentement. La tension va venir progressivement même si dès la troisième page, un souvenir douloureux à peine esquissé, sur un quai de gare, éveille notre attention. C’est Marcia qui arrive sur ce quai. Marcia, c’est ce prénom qui la désigne comme une femme, tant son physique est celui d’un homme mûr. Une silhouette, des vêtements, une coiffure qui éliminent toute trace de féminité. Une manière de dire que notre corps ne nous définit pas. Nous sommes en 2013, le mouvement réactionnaire « La manif pour tous » bat le pavé contre la loi Taubira. C’est le moment choisi par la sexagénaire pour revenir, sous le prétexte d’une sépulture, dans son village natal. Elle loge à l’hôtel et pas chez sa mère, premier signe d’un passé douloureux, qui va émerger au fil des pages et des rencontres. Sa mère, muette et immobile, Elise la patronne de l’hôtel et gardienne des secrets du passé, Florence la veuve du défunt et amie de Marcia, vont l’aider à dévoiler des secrets, des malentendus, des « trajectoires de vie basées sur un mensonge ».

Par un crachat sur une tombe, des demi-mots, des silences on comprend que ce retour est celui d’une dernière partie de vie, le moment où il faut choisir entre pardon et vengeance. Réfugiée à Paris, Marcia a vécu ses décennies dans l’amertume et la tristesse, celle d’un amour lesbien impossible dans une société hostile. De retour dans son village natal, elle revient pour clôturer son histoire, ses histoires, avant qu’il ne soit trop tard. C’est ici, entre ces montagnes, que Marcia a vécu un d’amour raté. Elle vient pour la première fois, trente ans plus tard, renouer avec ce fil brisé.

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Le récit est subtil comme lorsque sur une place de marché, l’homosexualité de Marcia nous est confirmée par les propos d’une marchande qui n’envisage pour Marcia qu’un garçon comme objet d’amour. Il n’en est pas pour autant militant. Il trouve sa force dans le ton juste et poétique que symbolisent magnifiquement des dessins de l’amour et des corps de femmes âgées. Justes, touchants, rappelant ceux de Aimée de Jongh dans L’obsolescence programmée des sentiments (1), ils amènent une lenteur poétique qui épouse le dévoilement progressif du passé. Les corps se dénudent comme les souvenirs et les révélations.

Ce retour en arrière permet aux auteurs de traiter de nombreux sujets sensibles. Le poids des conventions sociales, l’homosexualité, les secrets familiaux, l’amour entre moins jeunes, l’intolérance, l’extrême vieillesse et la fin de vie, la campagne et la ville, traversent les pages de manière diffuse, sans lourdeur.

Nous errons avec Marcia dans les rues du village, nous ouvrons des portes, écoutons les conversations, celles du quotidien qui décryptent les démarches administratives mais aussi celles essentielles qui décident d’une existence. La vie est paisible entre ces montagnes, et pourtant là, à l’ombre des cimes, des drames se sont joués.

Pris sous le charme, de la nostalgie, nous refermons doucement la BD. Des questions nous viennent. Nos vies peuvent elles dépendre de deux lettres ? Quelle est la part de hasard dans nos existences? Marcia et Florence y répondent à notre place.

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La montagne entre nous de Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers. Editions Sarbacane. 160 pages. 24€.

(1) Avec Zidrou chez Dargaud.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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